Il était une fois une colonie.
Elle n’était ni prospère ni jolie, mais elle était le seul espoir de ceux qui y vivaient. Ils avaient tout quitté, tout laissé derrière eux, ne conservant que des souvenirs de leurs anciennes vies. Mais l’espoir était encore loin, très loin devant. La colonie ne serait autonome que quand elle aurait remboursé la dette colossale qu’elle devait à la Compagnie, une dette contractée dès que le premier trait de crayon fut tracé sur les plans d’un architecte, lui aussi au service de l’omnipotente Compagnie. Elle ne serait effacée que dans très, très longtemps, lorsque plusieurs générations de colons auraient sué sang et eau sous le dur labeur de l’extraction du minerai.
L’architecte, s’il connaissait bien son boulot, n’avait guère fait preuve d’imagination. Il avait dessiné une ville fonctionnelle, aux bâtiments parfaitement agencés et ordonnés, des zones bien délimitées et définies, ici les habitations, ici les commerces, là le secteur administratif, et ici la zone industrielle. Bâtie exactement sur le même modèle que toutes les autres colonies que la Compagnie avait financées, elle n’avait pour âmes que celles de ses habitants, et pour substance, celle qu’avaient apportée ceux qui l’avaient bâtie de leurs mains.
A la fin du 21ème siècle, la conquête spatiale avait fait un bon en avant avec la découverte que les trous de vers, des passages à travers notre univers, pouvaient être maîtrises et contrôlés, même si on ne les comprenait pas vraiment. Les distances astronomiques entre les astres étaient maintenant abolies, et coloniser des planètes lointaines n’était plus une utopie. Il était temps, car la vieille Terre croulait désormais sous le poids de la surpopulation et de la pollution qui en résultait. Oui, il était temps, car la planète était condamnée à moyen ou long terme, tout comme les gens qui vivaient dessus.
La Compagnie avait été la seule entité autonome suffisamment puissante et riche pour déclencher les vagues de colonisation. La seule à laquelle avaient profité les crises économiques successives du siècle mourant. Elle finançait tout, du simple boulon au déplacement des colons, et, une fois les installations sur place fonctionnelles, récupérait sa mise de départ, en fait bien plus que ça, en s’accaparant la majeure partie du travail des colons : dans le cas de Perséphone, un minerai précieux et unique que l’on ne trouvait que sur cette planète perdue aux confins du cosmos. Une fois raffiné, il présentait la caractéristique de résister à presque tout. Cette propriété lui conférait beaucoup de valeur, notamment dans l’industrie de l’armement.
Le nom de Perséphone, déesse du monde souterrain, mais aussi associée au retour du printemps, avait été donné par des scientifiques qui n’y mettraient jamais les pieds, pourtant il allait particulièrement bien à cette planète, clin d’œil du hasard ou prescience inconsciente.
Un enfer qui gardait l’espoir de renaître un jour en paradis.
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