— Alors mon vieux, cette coccinelle, toujours envolée ?
Pavel répondit à son collègue par un sourire crispé, qui accentua l’hilarité de ce dernier alors qu’il donnait un coup de coude complice à son associé.
— Tu vois Jihm, dans cette agence on a de tout ! Des grands détectives comme toi et moi, ou des petites puces bonne à rien comme Pavel ! Enfin… Continue mon grand, peut-être qu’un jour on te proposera une affaire plus sérieuse !
Le lutin afficha un nouveau sourire crispé qui le fit passer pour un imbécile heureux et se contenta de finir de siroter sa tisane. Il avait horreur de passer par la salle de pause, mais il n’avait pas eu le temps de repasser par chez lui et il avait besoin d’un peu de carburant pour se mettre en forme.
Ses deux collègues se plongèrent finalement dans une conversation sans intérêt au sujet de la nouvelle stagiaire et Pavel leva les yeux au ciel avant de retourner dans son bureau. Il avait mieux à faire que de perdre son temps avec ces crétins.
— Monsieur Erkum, on vous a confié une nouvelle affaire, lui annonça la secrétaire en lui tendant un nouveau dossier.
— Ah, merci.
Le détective observa un instant le dossier d’un air indifférent, puis le rendit à la lutine.
— Pouvez-vous le poser sur mon bureau ? Je m’en occuperai dès que j’aurai retrouvé la coccinelle de Monsieur Grikel.
— Comme vous voudrez.
Il observa un instant ses boucles brunes se balancer au rythme de ses pas, pendant que sa jupe pervenche voletaient autour de ses jambes minces, puis il se ressaisit. Ce n’était pas le moment de rêvasser.
Tout en parcourant les rues de Bellwade, Pavel se récapitula mentalement les différents éléments que lui avaient livrés le gnome. Sa mère s’était tardivement remariée avec un gobelin d’une contrée voisine, qui était venu vivre avec elle avec ses propres enfants, un garçon et une fille. La coccinelle appartenait à sa mère. La pauvre femme était morte récemment, et il était tout simplement impossible de mettre la main sur son testament. Le gnome soupçonnait sa belle-famille de le dissimuler car il n’était pas à son avantage. Il pensait aussi que c’était eux qui avaient enlevé la coccinelle, sans être capable d’expliquer pourquoi.
Pavel sentait que quelque chose clochait et qu’il en savait plus au sujet de la coccinelle que ce qu’il voulait bien avoué, mais un client était un client, et il trouverait bien ces informations par lui-même.
La belle-famille de Grikel vivait dans une immense bâtisse dans l’une des banlieues chic de Bellwade, et le lutin resta un instant immobile devant l’immense portail de ferraille, intimidé. Jusque là, jamais aucune de ses petites enquêtes ne l’avait amené ailleurs que dans les quartiers populaires.
Alors qu’il venait à peine de tirer sur la petite clochette, le portail s’ouvrit de lui-même. Le sol trembla très légèrement, et il devina qu’il s’agissait d’un complexe réseau d’engrenages et de fils enterrés qui permettaient cette prouesse technologique. Les gnomes et les gobelins n’avaient pas leur pareil pour ce genre d’ingénierie, il était bien forcé de l’admettre.
Il fut accueilli par une jeune gobeline alors qu’il était à mi-chemin de la porte d’entrée, qui se trouva être la fille de Kliene NacKriel, le veuf de Madame Grikel. Elle se révéla être une hôte extrêmement serviable et polie, qui l’installa dans un immense salon avec une tasse de thé en attendant que son père revienne de son rendez-vous en ville.
Alors qu’il patientait, Pavel détailla d’un œil critique la décoration. Chaque petit détail respirait le luxe à plein nez, et il se demanda dans quel domaine la famille Grikel avait pu prospérer à ce point. Il n’avait jamais entendu ce nom nul part, et il nota mentalement de passer aux archives pour faire quelques recherches à ce sujet.
Quand le veuf arriva enfin, il se leva et le salua poliment. Il n’avait aucune légitimité à se trouver là, aussi adopta-t-il un profil bas.
— Que me vaut l’honneur, Monsieur Erkum ? demanda le vieux gobelin une fois que les présentations furent faites.
— Eh bien… Je suis vraiment confus d’avoir à profiter ainsi de votre temps, mais votre beau-fils, Hektor Girkel, a fait appel à mes services pour retrouver la coccinelle de sa mère qui a mystérieusement disparue de son domicile.
Le gobelin répondit par un claquement de langue agacé et sa fille s’empressa de lui servir une tasse de thé pour le détendre.
— Parlons-en de ce Hektor !
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