Ne pouvant décemment pas se permettre d’accueillir Adelyn dans son petit appartement de lutin célibataire, Pavel s’était vu dans l’obligation de lui demander discourtoisement d’attendre dans le couloir le temps d’enfiler une tenue plus présentable pour l’emmener ailleurs. La secrétaire, habituée aux frasques du détective, s’était contentée de sourire et l’avait attendu patiemment.
Quand il était finalement ressorti quelques minutes plus tard, Pavel était frais et pimpant dans le seul ensemble propre qu’il possédait encore, son éternelle casquette beige vissée sur sa tête. Il lui avait proposé galamment son bras et l’avait bien rapidement attirée loin de chez lui.
Les deux lutins étaient à présent installés à une table dans l’un des cafés des quartiers populaires que Pavel appréciait pour sa discrétion et sa banalité. Pour ce qu’il savait, il n’y avait jamais eu une seule fois la présence de la police depuis l’ouverture plusieurs mois plus tôt, ce qui était un événement suffisamment rare pour être notable. Ce ne serait probablement pas ici qu’ils seraient dérangés ou épiés.
— Je suis désolée de venir vous chercher ainsi alors que vous ne travaillez plus pour le cabinet, mais j’ai vraiment besoin de votre aide.
Trop heureux de se retrouver là avec elle après toutes ces longues journées en tête-à-tête avec ses meubles, Pavel se contenta de hocher la tête en souriant. Cela n’avait pas tellement d’importance qu’elle l’ait contacté pour lui demandé de retrouver le chat de sa sœur — car c’était assurément pour une affaire de cet acabit qu’elle était venu le chercher.
— Ne vous en faites pas. Je ne suis pas particulièrement débordé par le travail ces temps-ci.
— J’aurais cru que vous auriez postulé dans une autre agence… Cette carrière avait l’air de compter énormément pour vous.
— Que puis-je faire pour vous aider ?
Pavel n’avait pas envie de s’attarder sur ses propres échecs. Il savait qu’il aurait dû prendre les choses en main plutôt que de rester enfermer chez lui, mais c’était ainsi qu’il était : il avait besoin de faire tourner ses méninges pour se sentir vivre, et la paperasse avait plutôt tendance à l’assommer.
— Et bien, l’affaire a été rejetée par l’agence. Vous connaissez le règlement, nous ne gérons pas les affaires concernant nos propres employés…
Cette règle avait toujours paru totalement stupide à ses yeux. Au contraire, pour lui, une bonne agence devait s’assurer qu’aucune affaire ne venait contrarier le travail de ses employés. De plus, cela ne faisait qu’encourager les personnes concernées à se tourner vers la concurrence, ce qui était immanquablement sanctionné d’un blâme qui se répercutait aussitôt sur la paie.
— J’ai entendu parler de l’aide que vous avez apporté sur l’affaire Grikel-MacKriel, et j’ai pensé que peut-être… Vous pourriez m’aider.
Pavel afficha un sourire encourageant pour l’inciter à continuer. La lutine repoussa derrière son oreille l’une de ses boucles brunes et le détective sentit un étrange fourmillement venir chatouiller le bout des siennes.
— Mon compagnon a reçu plusieurs lettres de menaces au cours des derniers mois, et le directeur a refusé de donner le dossier à l’un de nos détectives. Je ne sais plus vers qui me tourner, mon compagnon continue à se rendre chaque jour à son travail et je n’arrive plus à vivre avec la crainte de ne pas le voir rentrer un soir.
Un étrange bourdonnement vint couvrir partiellement le bruit de sa voix alors que Pavel encaissait le choc. Il se rendit compte au bout de quelques secondes qu’Adelyn s’était interrompue et qu’elle attendait une réaction de sa part, et il se racla la gorge rapidement pour s’éclaircir la voix.
— Avez-vous une idée de l’auteur de ces lettres ?
— Aucune. Mais la dernière était jointe à un colis dans lequel se trouvait une tenue d’arlequin. Mon compagnon est devenu pâle comme un linge mais a refusé de me dire quoi que ce soit.
Pavel la sentit sur le point de fondre en larmes et il s’efforça de la rassurer comme il le put ; pourtant, son propre entrain s’était totalement envolé. Il convint d’un nouveau rendez-vous auquel participerait cette fois-ci le compagnon d’Adelyn, et il l’écouta attentivement lui donner tous les renseignements possibles sur son emploi et sa vie. Le lutin paraissait parfait sous tout point de vue, impliqué et honnête dirigeant d’une petite entreprise de scierie.
— Je vous promets de faire de mon mieux, dit-il finalement.
Alors qu’il remontait les rues de la ville d’un pas traînant, Pavel se demanda comment il avait pu accepter une telle demande, mais le visage inquiet d’Adelyn se dessina dans son esprit et il soupira. Il connaissait la réponse à cette question…
Complètement abattu, il tourna au coin de sa rue et inséra sa clé dans le petit portail en ferraille qui menait à l’arrière-cour — c’était là que se trouvait l’accès à l’escalier menant sous les combles. Alors qu’il s’y engageait en soupirant, son regard accrocha une inscription fraîchement peinte en lettres rouge sang sur le mur.
« Ne songe même à lui apporter ton aide. »
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