Alors que les derniers rayons du soleil éclairaient encore le fond de la grotte, un homme en émergea. Un grand vêtement bouffant habillait de sa soie grise son corps. Sa maigreur était perceptible à la taille, marquée par une mince ceinture. A ses pieds, de légères bottes de cuir noir, poussiéreuses. Les fins cheveux blonds tombaient sur ses épaules en boucles légères, encadrant un visage étroit. Deux fins arcs de cercles d’or soulignaient ses yeux, des ailes du nez jusqu’aux tempes. Le métal tranchait sur sa peau, objet dur serti dans la chair blanche. Il porta sa main à ses lèvres, salua le soleil d’un grand geste, et monta la pente raide au dessus de la caverne d’un pas léger. Parvenu sur une plate-forme qui surplombait le vide, il étira ses longs bras, lança un cri aigu qui répercuta longtemps sa joie dans l’écho des sommets. D’entre les fentes de ses habits, surgirent deux ailes diaphanes qui reflétèrent les derniers rayons du soleil quelques instants. Elles se tendirent pour oublier les raideurs de l’immobilité, se gonflèrent, battirent une fois, deux fois. L’être s’élança dans le vide pour remonter rapidement dans la pénombre naissante.
Rapidement il prit de la vitesse, battant des ailes, le corps penché en avant. Ses bras avaient disparu dans les replis de la tunique. Celle-ci flottait, rendue folle par le vent frais. Le début de la nuit étendait ses ombres parmi les pics. Les derniers rayons du soleil jouaient sur les incrustations insolentes de métal précieux de son visage. Il plongea bientôt vers une vallée qui s’ouvrait largement, marquant la fin des rocs orgueilleux. La rivière qui en avait taillé l’embouchure était maintenant à sec, montrant ses entrailles sableuses et ses os de pierre polis. Plus loin s’étendaient ce qui avait été un champ. Plus loin encore un village. Les vivants avaient fuit les deux avec la rivière. Il dépassa la vallée aride, rapide et léger, à peine dévié par les vents traversant sa route. A un moment, il sortit une main, abritant ses yeux pour explorer le paysage enténébré. Repérant sa destination, il obliqua, calant sa route droit sur le soleil. Celui-ci n’en finissait pas de mourir, ses derniers rayons s’attardaient, s’étiraient sans fin comme agrippés au décor.
Arrivé au dessus de la plaine, il descendit un peu. Ses ailes ralentirent leur rythme, freinant la descente. L’ombre uniforme devint petits points noirs, puis les bâtiments d’un village. Des arbres surgirent du sol, étirant leurs silhouettes noires. Il choisit un petit champ cerné de haies. Ses bottes noires touchèrent doucement le sol, pendant que ses bras sortaient pour remettre un peu d’ordre dans sa mise après l’ivresse agitée du vol. Ses ailes se repliaient lentement, se dégonflaient petit à petit, se racornissaient. Elles disparurent bientôt à l’abri des regards dans les replis du tissu. Il releva la tête. Rien ne le distinguait à présent d’un homme. Un homme élégant, un homme étranger, un homme de la ville. Riche et sans doute puissant. Il fit quelques pas, se réhabituant à la lenteur de la marche, et s’avança sans hâte vers le village.
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