Après une tape amicale à l’animal, il rejoignit son compagnon dans la grande salle, le trouva en discussion avec un moine. Il observa la pièce immense, attendant qu’ils terminent leurs affaires de lettrés. Des drapeaux richement brodés amenaient une note vive sur la pierre claire, et de larges colonnes surmontées d’arcs soutenaient le plafond. D’autres moines travaillaient sur les lutrins, voûtés sur des livres précieux. Chacun était éclairé d’un petit cristal qui jetait sa lumière bleue sur le livre et l’homme. Le silence était presque total, les quelques paroles et frottements de pieds comme absorbés par l’espace.
Erwin lui fit signe d’approcher, et lui présenta le moine.
— Le frère exorciste nous remercie pour l’aide que nous leur apportons.
— Un démon de cette puissance est toujours une bonne nouvelle. Et les cristaux conteneurs nous sont nécessaires pour stocker l’énergie qui en résulte. Le père abbé sera ravi de vous féliciter en personne.
— Accumuler autant de puissance me semble dangereux, d’autant plus issue de démons, grommela Argon. Que cherchez-vous ? Quel but poursuivez-vous ?
— Contentez-vous de savoir que c’est notre quête. Allez voir le Père quand nous aurons fini le transfert. Il a également exprimé son désir de vous parler d’autres sujets, votre curiosité pourra peut-être être étanchée. Vous passerez ensuite à l’économat.
Ils se dirigèrent vers une petite porte, qui s’ouvrit sur un escalier plongeant dans l’obscurité de la terre. Un geste du moine illumina la descente. Arrivés dans une salle aux murs de pierre nue et au plafond bas éclairée par des torches, ils rejoignirent deux autres frères. Sur l’invitation du plus âge, un vieillard courbé par les ans, Erwin tira la petite boite de fer de sa ceinture, et la déposa sur un bloc de pierre situé au centre de la salle. Les trois moines se placèrent en triangle autour, une main tendue vers la boite. Lentement, sans bruit, son couvercle commença à se dévisser. Des marques apparurent sur l’objet, devinrent lumineuses, tirant les ombres dans la salle, finissant par éclipser les flammes. Le couvercle tomba à côté, avec le bruit sourd d’un rocher tombant de la falaise. Les marques avaient disparu, un nuage presque invisible flottait au dessus de l’énorme pierre. Elle semblait aspirer la lumière des torches. Les trois mains des moines se raidirent ensemble, et le démon longtemps enfermé rugit, furieux d’échanger une prison pour une autre. Le rugissement retentit encore quand les moines commencèrent l’incantation, qu’ils hurlaient pour couvrir la colère du démon. Petit à petit, la fumée s’agrégea en grains noirs qui tombèrent sur la pierre et furent absorbés. Dans un cri final, le démon disparu, la lumière revint à la normale.
Argon se rendit compte à ce moment là que ses mains laissaient échapper des gouttes de sang tellement il serrait les poings. Il n’avait peur d’aucun adversaire, mais les démons n’en étaient pas. Pas pour lui, en tout cas. Erwin paraissait comme à son habitude en ces conditions perdu dans ses pensées. Après un signe de la tête aux moines qui, épuisés, s’étaient assis à même le sol, ils remontèrent, heureux de retrouver le bruit de la salle principale et la lumière du jour. Se rappelant l’invitation, ils partirent en direction des quartiers de l’abbé.
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