CHAPITRE V : Père

Il pleuvait depuis longtemps. Combien de temps exactement ? Aucune idée. Cela faisait comme une éternité que j’errais dans les rues malsaines du quartier. Je ne savais pas quelle heure il était. Tout ce que je savais, c’était que je venais de commettre un acte impardonnable… Quelque chose de monstrueux… D’inhumain… Il faisait sombre. Il n’y avait personne dans les rues. En même temps, avec cette averse, c’était cohérent. Je me sentais seul. J’entendais Blood qui me parlait. Mais que me disait-il ? Bonne question. Je ne le savais pas moi-même. J’ai tué un homme… Et le motard est décédé par ma faute… Ce jour-là, le contrôle de ma vie m’a échappé. Ces pouvoirs, ou plutôt…ses pouvoirs… Ils ne m’ont pas aidé, mais m’ont amené à la frontière de la folie ! Pourquoi m’a-t-il choisi, distingué parmi tant d’autres ? Je ne suis qu’un insignifiant lycéen, malgré quelques idées différentes. Et cette cabine, cette foutue cabine téléphonique ; pourquoi y suis-je entré ? Elle m’a complètement changé… J’y ressens l’impression d’être enfermé dans une cage, une atroce prison de verre. Où cela me mènera-t-il ? L’esprit de ce démon va-t-il rester dans ma tête jusqu’à ma mort ? Il semble que lui-même ne le sache pas. Alors il va falloir vivre avec ce poids… et avec ces pouvoirs… Je devais sans doute avoir reprit ma forme originelle. Mes pouvoirs devait s’être estompés, c’est sans doute ce que me disait Blood… Des larmes coulèrent de mes yeux…

« Qui a le droit de vie ou de mort sur les autres ? me demandai-je »

Je m’affalai sur une pierre mouillée, pointant mon visage vers le ciel, d’un œil morne et ténébreux.

« Ai-je choisi la mauvaise voie ? Je me suis peut-être trompé sur la notion de Bien et de Mal… Ce que j’ai fais… Est-ce mauvais ou bon ?! aboyai-je vers le ciel, à pleins poumons .
– C’est pas lui qui va te répondre ! Il n’existe pas, niark ! affirma Blood. »

Lentement, un souvenir resurgit dans ma mémoire. Le rêve étrange que je fis la veille raviva mes pensées. Était-ce un plan de Blood ? Était-ce lui qui m’envoyait ces images ? Je n’en savais rien. Et en fait, j’en avais rien à foutre. Le tonnerre grondait. La pluie arrosait mes vêtements. Le vent fouettait ma peau. Mes larmes fusionnaient avec l’eau qui coulait le long de mes cheveux. Quelle misérable existence qu’est celle de Levi Kotori… Voilà ce que je pensais. Subitement, une voiture s’approcha. Et si j’allais mettre un terme à tout ça, sous les roues de cette voiture ? Non.. J’avais trop la flemme de bouger. Puis elle s’arrêta près de moi, m’illuminant de ses phares. Une portière s’ouvrit lentement. Une jambe en sortit, puis deux. Une silhouette d’un homme apparut et s’approcha de moi à une vitesse équivalente à celle d’un homme impatient et en colère… Plus elle approchait, plus j’étais terrifié à l’idée que ce soit un kidnappeur, un violeur ou quelque chose dans le genre… Arrivé à deux pas de moi, la forme masculine me tendit sa main en m’ordonnant :

« Lève-toi, fils !
– P…Père ?! bredouillai-je, assez surpris, mais tout de même rassuré»

En effet, c’était bien la personne qui a engrossé ma mère pour que je naisse. Hidenori Kotori. Un sacré numéro celui-là, d’ailleurs… Il travaille dans le commerce. Quelle branche ? Je n’en sais rien, ! Tout ce que je sais, c’est qu’il est haut gradé, rien de plus… Il ne me parle jamais de son boulot… De toute façon, il ne me parle jamais tout court, sauf quand il s’agit de me rabaisser le moral. Il est très sévère, très strict, et excessivement pointilleux, comparé à ma mère, Shoshana Kotori, qui est douce et attentionnée. C’est un stéréotype du père japonais, mais en vrai… Je vous laisse voir par vous-même…
Attrapant sa main, il se mit à me soulever, puis, à mi-chemin, me relâcha, me faisant tomber dans la boue dans laquelle j’étais assis.

« Tu sais l’heure qu’il est ? Il est 22h23 et 16 secondes ! Tu n’as en aucun cas le droit de sortir après 20h00 et 0 seconde ! Tu es privé de sortie jusqu’à nouvel ordre ! gronda-t-il.
– J’ai personne avec qui sortir, papa…
– Comment oses-tu m’appeler « papa » ?! Je suis ton père, et non ton « papa » !
– Ça revient au même… répondis-je, d’un ton vide et monotone. »

Il me donna une gifle, et me souleva devant lui, me regardant d’un air menaçant, et vociféra :

« J’exige de ta part plus de respect envers ton père ! Lorsque tu t’adresses à moi, tu me parles sur un autre ton, on est d’accords ?!
– Mon ton était vide et monotone… (C’était écrit en plus ! )
– Si tu continues de répondre ainsi, je vais devoir te renvoyer de ton lycée adoré !! Tu ne reverras plus tout tes copains qui te font sortir tard le soir ! »

Ça tombe bien ! J’en ai pas ! Et me casser de ce lycée serait mon vœu le plus cher… Mais je ne répondis rien tout de même. Il me regarda fixement avec ses yeux noirs profonds, puis il me relâcha.

« Monte dans la voiture ! Ta mère et ta sœur étaient très inquiètes de ton absence ! m’ordonna-t-il d’un ton ferme. »

Je ne désobéis point. Je venais à peine de m’asseoir et de fermer la portière qu’il se mit en route et qu’il me cria :

« Et ta ceinture alors ? Elle va se mettre toute seule, peut-être ?! »

J’exécutai l’ordre sans broncher. Sur la route, nos bouches restèrent muettes. Lorsque nous arrivâmes à la maison, ma mère et ma sœur se jetèrent sur moi, même si j’étais complètement mouillé et couvert de boue.

« J’ai eu très peur, mon chéri ! Je pensais que tu t’étais fait kidnapper ! s’exclama ma mère.
– Pareil pour moi ! s’égosilla Lisa.
– Le plus important, c’est qu’il aille bien. Il n’y a que cela qui compte ! maugréa mon père. »

Je posai mon sac par terre. Il était couvert de boue lui aussi. Je me demandais comment il était à l’intérieur.

« Il va falloir que l’on me rachète un sac… constatai-je, discrètement.
– Pas de soucis, mon chéri ! J’irai en acheter un demain, dès que les magasins ouvriront ! déclara ma mère.
– Merci…
– Levi ! s’écria mon père, Comment oses-tu parler en français à ta mère ! Si je t’ai enseigné les bases du japonais, ce n’est pas pour le jeter aux orties ! Et en japonais, on ne dit pas « merci » ! On dit …
– Arigatō, okaasan… coupai-je mon père.
– Très bien, mon fils, acquiesça-t-il. 
– Va te reposer, mon chéri ! Tu en as besoin ! me conseilla ma mère.
– Se reposer ? Il a déjà loupé le repas d’hier soir ! Levi, viens manger ce que ta mère a cuisiné tout de suite ! ordonna mon père, furieux. »

Tout le monde avait déjà mangé. Je me mis à table, seul, et je me servis. Je mourrais de faim. Je n’avais en effet rien mangé hier soir, et je ne m’étais nourri que de merde toute à l’heure au lycée. Comme un goinfre, je dévorai tous les plats un à un, sans transitions entre chacun. Mon père me fixait, assis sur sa chaise, croisant les bras. Lorsque toute la nourriture fut dans mon ventre, je me permis de faire un énorme rot. Ahh ! Ça faisait du bien de manger ! Mon père m’envoya un regard pénétrant, me faisant comprendre que le rot n’avait pas sa place dans la maison.

« Euh.. Je peux aller dans ma chambre maintenant ? demandai-je, très bas.
– Je t’en prie, répondit mon père. N’oublie pas de me dire « Bonne nuit » !
– Bonne nuit, père… dis-je sottement.
– Te moques-tu de moi ?! s’énerva-t-il, En japonais !
– Ah oui… Euh… Oyasumi nasai, otōsan…
– Bien, conclu-t-il, sans me le souhaiter. »

Ma mère m’embrassa (avec les bras hein!), et Lisa me fit un énorme câlin, puis je montai dans ma chambre. Je n’arrivai pas à dormir. La scène du meurtre de cet homme repassa encore et encore dans ma tête. Au bout d’un certain temps, avec la fatigue, je réussis à m’endormir. Cependant, cette nuit-là, je fis d’horribles cauchemars…

Le vendredi 30 Janvier, j’étais malade, alors je n’allai pas en cours… Vomissements, maux de tête, fièvre… Blood m’expliqua rapidement que c’était dû au choc émotionnel d’hier… Je passai alors ma journée dans mon lit, à réfléchir en profondeur et plus intelligemment à mes actes de la veille.
Ce que j’ai fais, finalement… Était-ce mauvais ? Hier, j’aurais répondu « oui », car j’étais sous le choc… Mais aujourd’hui… Ma réponse est… Non….. Non, ce n’était pas mauvais… J’ai sauvé une jeune femme, et j’ai empêché que cet homme continue à polluer cette planète en respirant le même air que tout le monde . Oui, cet homme était mauvais. Comme la plupart des humains dans ce monde… Et ces pouvoirs… Je sais à quoi ils vont me servir ! Oui ! Si je les aient, ce n’est pas pour rien ! En effet ! J’ai le pouvoir de changer le monde ! Personne ne peut le faire à part moi ! J’ai toujours trouvé ce monde pourri… Ces gens qui le pourrissent de plus en plus doivent disparaître… Surtout au lycée… C’est mon devoir ! C’est la mission que Blood m’a confié ! Ma misérable existence va prendre fin aujourd’hui, et une ère nouvelle va commencer dès demain ! Éliminer les déchets néfastes de la Terre… Tous les éradiquer… Ou au moins ceux de la France… Oui, c’est cela… Je suis le seul capable… De devenir le Sauveur de l’Humanité !

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