Ils reprirent la route le lendemain, encore épuisés et choqués par l’attaque et la mort des colons. Ce furent des jours épuisants pour tous, sur les raides chemins qui gravissaient le Pic. Particulièrement pour Erwin qui utilisa souvent son regard-rêve pour surveiller leur route, et ses ailes pour inspecter une poussière suspecte ou un aplomb rocheux propice à une attaque. Ses nuits n’étaient pas meilleures, pleines des ombres précédemment rencontrées. Arkosh lui apparu à plusieurs reprises. Argon était sur le qui-vive, attentif aux mouvement des oiseaux, à la configuration du terrain, à ce que soufflait la terre. Ils n’eurent aucun signe de leur agresseur pendant la semaine qu’il leur fallut pour atteindre le sommet. Ils chassèrent un peu pour manger frais, ce qui redonna des forces à chacun. Erza sorti de son silence. Elle saluait ses compagnons de route, discutait des détails pratiques, mais mangeait sans appétit, et taisait encore sa terrible perte. Son pouvoir sur le feu permit à plusieurs reprises que le feu de camp ne signale pas leur position. Elle chevauchait généralement avec Erwin, en silence. Leurs deux corps fins serrés l’un contre l’autre au rythme des cahots du cheval. Souvent, la nuit, le guetteur l’entendait sangloter. Les moines peinaient en silence, et accueillaient le camp du soir avec plaisir, mais restaient ensemble.
La veille de leur arrivée, Erwin s’approcha de son compagnon qui montait la garde.
— Argon, je crois que j’ai une piste pour leur silence.
Le guerrier le regarda avec intérêt, l’invitant a continuer.
— Arkosh m’a souvent rendu visite ces derniers jours, après l’effort contre le hurl. Il répète en boucle quelque chose, comme « mon peuple veut le changement ». Et si nos adversaires étaient de la Cité ? En venant ici, nous avons marché en droite ligne vers elle, il est probable que les moines puissent l’observer autant qu’ils verront le ciel, de là-haut. Quel est ce changement, et en quoi sommes-nous une gêne, je l’ignore encore.
— Démons, souffla Argon. C’est possible, ils ont le pouvoir nécessaire, hors du royaume. Mais pourquoi s’intéresseraient-ils à nous ? Tant que nous ne connaissons pas le but réel de la mission, nous ne savons rien, et le danger augmente.
Il frissonna avant de reprendre.
— L’implication des démons n’est pas une raison pour nous mentir sur notre but réel. Ils prennent un risque, et ils le savent. Il doit y avoir plus… Peut-être parlons-nous d’un cataclysme qui concerne le pays entier ? C’est un « changement » qui ravirait ceux de la Cité. Les moines gardent le silence pour ne pas créer de panique, ils ne sont donc pas certains.
— Ils doivent nous faire confiance. Pour la sécurité du groupe. Et la notre. Nous arrivons demain sur le lieu de leur étude, le temps presse. Etaile semble avoir des défenses psychiques plus faibles que les deux autres. Je peux essayer de rentrer dans son rêve pour la faire parler. C’est risqué toutefois. S’ils s’en rendent compte…
— Le choix n’est pas vraiment dans nos mains. Tu essaieras plus tard, ce soir, va te reposer.
Tandis qu’Argon reprenait son poste, Erwin s’endormit rapidement. Dans son sommeil, il entendit Erza l’appeler. Était-ce réel, était-ce la voix de ses désirs? Quand il se réveilla au matin, elle avait roulé pour venir se blottir contre lui. Peut-être leurs désirs chantaient-ils ensemble.
Ils arrivèrent après le troisième quart du jour au sommet. La vue était proprement terrifiante, s’étendant sans limite. Sur trois côté le précipice tombait net. On distinguait la trace sombre de la capitale gigantesque au loin, et l’argent du fleuve qui lui avait donné son nom. Il s’étirait jusqu’à la mer qui se perdait dans les brumes. La transition des forêts denses au quasi-désert qu’ils avaient traversé était visible, et de l’autre côté s’étendait le vrai désert à perte de vue. En son milieu, trônait la Cité.
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