Comment ? Comment avait-elle pu se retrouver dans cette situation ? Elle avait beau essayer de se souvenir, rien n’y faisait. Ou plutôt, si. Elle s’était laissée embarquer dans une des idées abracadabrantesques de Matthieu. Encore. Et maintenant, elle était dans une petite pièce sombre, décorée de teintures, enfumée par de l’encens qui essayait vainement de cacher l’odeur de moisi et de renfermé de la pièce.
À moins que ladite odeur ne vienne de la femme assise en face d’elle. Si on pouvait appeler « ça » une femme. Plutôt ronde, même très ronde, les doigts potelés, les jambes comme des saucissons géants, elle avait un visage maigre, squelettique. Ce phénomène étrange était sans doute dû au fait que toute la graisse qu’aurait dû contenir ses joues était descendue dans son cou, accompagnant de ce fait la peau ridée qui tombait mollement, dévoilant les os par transparence lorsque la créature était sous un certain angle de lumière. Ce qui était le cas à présent.
Mais le plus effrayant, c’était ses yeux : deux billes noires, entièrement noires ! On avait l’impression, en s’y plongeant, de tomber dans un gouffre sans fond.
Voilà pourquoi la jeune fille gardait les yeux rivés sur la table, en évitant de respirer trop profondément et de regarder la pièce et son autre occupante.
Matthieu allait lui payer de l’avoir emmenée ici ! Et pas qu’un peu ! Pour commencer, terminé les gâteaux au chocolat qu’il aimait tant qu’elle lui fasse ! Bon, d’accord, ce n’était pas exactement une punition exemplaire comme elle le voudrait mais pour le moment, elle était incapable de penser à autre chose, trop en colère et, il faut le dire, effrayée.
Dès qu’ils étaient arrivés, les garçons avaient été mis illico presto dehors et elle était restée seule. Après s’être présentée comme « Dame Irma, voyante et décrypteuse de rêves en tous genres », la femme l’avait fait asseoir dans un fauteuil capitonné vieillot avant de lui servir une tasse de thé à laquelle elle n’avait pas touché.
Dame Irma, puisque tel était son nom, était maintenant penchée sur l’accessoire indispensable à toute voyante qui se respecte : une boule de cristal. Mais pas n’importe laquelle, ça non ! La vieille femme lui avait dit que c’était LA boule de cristal, celle qui permet de répondre à toutes les questions. Lyddie soupçonnait que ce n’était en fait que du verre qui renvoyait la lumière des multiples bougies de la pièce.
—Bon alors fillette, pourquoi es-tu là ?
Quelle horreur ! Même la voix de la femme était insupportable : grinçante, gémissante, presque un croassement.
—Je…Je fais des rêves…
—Comme tout le monde. Ne me fait pas perdre mon temps !
—Pa…Pardon ! Je veux dire que je fais tout le temps les mêmes rêves et cauchemars, et j’aimerais savoir pourquoi. Quel est leur signification ?
—Hum… Je vois. De quoi parlent tes rêves ?
—Toujours les mêmes choses : une jeune fille, que je représente comme étant moi, qui vit dans un palais et il y a des soldats, une bataille, du sang, partout ! Et tellement de corbeaux…
Sa voix montait dans les aiguës au fur et à mesure qu’elle parlait.
—Calme-toi petite ! On va voir ça. Je t’explique : je vais commencer par te mettre en transe pour essayer de me connecter spirituellement à l’un de tes rêves et à partir de ça, je pourrais te dire.
—Vous pourriez pas plutôt m’en débarrasser ?
—Dans tous les cas, je dois quand même savoir quel est le mal avant de le soigner ! Ferme les yeux.
Lyddie obtempéra.
—Bien. Maintenant suis ma voix et fais ce que je te dis.
Le ton de la femme se fit plus doux.
—Tu plonges loin dans ta conscience, comme quand tu cherches à t’endormir. Voilà… Encore un peu plus…. Parfait. Maintenant, tu retrouves l’un de tes rêves…
La respiration de la jeune fille se fit lente et régulière tandis qu’elle suivait les indications de la femme. Peu à peu, des images apparurent dans l’orbe au centre de la table.
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Evangéline, Namie et Mina sont sur le chemin de ronde du fort. Devant elles, le futur champ de bataille au bout duquel campent les armées ennemies. La première observe ses deux gardes du corps : blondes toutes deux, elles sont jumelles et, bien que leurs spécialités soient différentes, elles sont aussi mortelles et aussi déterminées à protéger leur princesse l’une que l’autre. Mais elles ont une autre particularité : elles sont ses deux meilleures amies, et ce depuis toujours. Comment pourrait-elle vivre si l’une des deux meurt aujourd’hui ? Elle n’en a aucune idée mais elle sait qu’elle le fera.
Arrivée au bout de ses pensées pessimistes, elle reporte son regard vers l’horizon.
—Vous ne devriez pas y aller.
C’est Mina qui vient de parler. Elle est plus franche que Namie, et plus « mère poule » aussi.
—Je sais très bien que c’est une mauvaise idée. Mais nous sommes en sous-effectif de magiciens.
—A vous seule, vous ne rehausserez pas de beaucoup le niveau.
Cette fois c’est Namie qui parle.
—Ecoutez, je sais très bien ce que vous pensez. Mais on a pas le choix. De plus, contrairement à ce que tu viens de dire, je vaux bien trois de ses mages. Si ce n’est plus. J’irai, point final.
Les deux femmes inclinent la tête, vaincues. Une autre femme arrive. Grande, mince, les cheveux châtain clair, elle a amplement mérité, de l’avis de beaucoup, sa place dans la cour. Mais ce que personne ne sait, c’est que c’est l’espionne la plus haut gradé des forces secrètes : Lamla.
Elle est accompagnée du prince Joshua et de Sébastien.
—Mademoiselle, les magiciens vous demandent pour faire le point.
—J’arrive.
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Lyddie ouvrit les yeux. Devant elle, Dame Irma lui servait une autre tasse de thé.
—J’ai deux bonnes nouvelles à t’annoncer petite : la première, ça a été vraiment très facile de te mettre en transe et nous a épargné beaucoup d’énergie à toutes les deux.
Elle but une gorgée de son thé.
—Et la seconde ?
—Ah les jeunes, tous aussi pressés les uns que les autres !
Elle reposa sa tasse et lui tendit un collier ras du cou.
—Ceci est une pierre magique qui, une fois sur toi, empêchera les mauvais rêves.
—Oh…, Lyddie prit le collier et le mit autour de son cou.
—Bien. Voilà une bonne chose de faite ! Maintenant, mon paiement.
—Ah oui ! Pour ça, adressez-vous au garçon blond ! Et merci beaucoup !
La jeune fille lui fit son plus beau sourire et se leva en vitesse pour sortir de cet endroit infect. Dans le couloir, elle trouva les deux garçons assis à terre, en train de faire des jeux sur leurs téléphones.
—Mat ! Tu dois payer la dame !
Elle lui servit aussi son plus beau sourire et sortit, suivie de ses deux amis une fois le paiement effectué.
—Alors ?
—Alors la prochaine fois que vous avez une idée pareille tous les deux, oubliez de m’en parler !
—Tu ne vas pas essayer alors ?
—Juste cette nuit pour le principe, mais franchement, je n’y crois pas.
Une sonnerie retentit. Matthieu décrocha son téléphone ?
—Oui ?
—…
—Je vois, je m’en doutais.
Il raccrocha et leva les yeux au ciel à l’adresse de ses amis.
—Ma mère. Elle voulait pas me croire quand je lui ai dit que ses clés de voiture étaient à leur place.
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La vielle femme referma la porte sur le groupe des trois jeunes gens qui s’éloignaient, son argent serré dans son point. Adossée à la porte, sa peau sembla fondre un peu plus sur elle puis remonter et elle grandit avant de devenir une mince et jolie jeune femme, habillée de façon étrange.
Sa transformation achevée, elle se dirigea vers sa boule de cristal en verre et la saisit à deux mains en lâchant les billets, qui tombèrent au sol. Elle porta l’objet à quelques millimètres de ses lèvres et souffla légèrement dessus avant de la lever en l’air, dans la lumière des bougies. L’orbe transparent devint noir comme la nuit et une voix se fit entendre, l’enjoignant à parler.
—Maître, la fille est bien vivante. Je lui ai mis le collier, comme vous l’aviez demandé.
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