Erwin commença la journée dans les airs par une reconnaissance des abords du camp, explorant les chemins, les falaises à pic et les recoins du roc. Rasséréné par l’absence totale de mouvement, il revint chercher Erza. Elle se serra contre lui, légèrement tremblante, et il l’enveloppa de ses bras. La regardant dans les yeux, il s’éleva lentement, modérant le battement de ses ailes, et parti vers Lipende. Il s’assurait de rester le plus stable possible, sans jouer avec les courants ascendants et les vents comme il aimait à le faire d’ordinaire. La main droite de l’homme était plaquée sur le dos de la jeune femme, fermement, tandis que le bras gauche maintenait ses épaules. Les bras d’Erza enserraient le torse d’Erwin, la pointe des doigts posée juste à côté de l’insertion des ailes. La vibration rapide faisait trembler toute sa main, son bras, et résonnait jusque dans son corps, comme un tambour puissant que l’on ressent avec les os et les tripes. Elle se forçait à respirer lentement, profondément, et surtout à ne pas regarder le vide sous leurs pieds.
Erwin atterrit au milieu de la place principale, et replia ses ailes tandis qu’Erza reprenait son calme. Après quelques instants, il lui indiqua le temple devant eux. Ils gravirent l’immense escalier, côte à côte, s’arrêtant quand Erza était à bout de souffle. Elle admirait la vue maintenant, n’ayant pu le faire pendant le vol. La cité inconnue et légendaire s’étendait à ses pieds.
— D’ici, elle ne semble pas si grande, hasarda-t-elle.
— Lipende était un centre religieux et politique, pas une ville commerçante ou militaire. Sa taille était largement suffisante. De plus l’absence d’escalier permet une densité d’habitations impossible ailleurs. Le point vraiment étonnant est qu’il ne reste ni métal ni tissus, et aucune trace des habitants. Rien que la pierre.
— Je n’arrive pas encore à imaginer les légendes que je connais dans ce décor.
— Celles que tu as entendues étaient peu précises, fort peu d’humains ont jamais vu cette ville. L’absence de vie retire des repères, aussi. Si tu avais mes visions, tu verrais.
— Tout est possible, avec tes pouvoirs.
— Oui, presque tout.
Ils s’engagèrent sous le porche sombre. Émergeant de l’obscurité, la statue de Lipen émerveilla Erza, d’autant plus qu’elle en avait entendu parler.
— Qu’elle est belle !
— La déesse est encore plus transcendante.
— Tu l’as déjà vue ?
— Mon grand-père, lors d’une cérémonie avec sa mère. Il me l’a conté.
— Parler à la déesse est donc si facile ?
— Certes non, sa mère était prêtresse du Vent Vrai, la dernière sans doute. Je suis à moitié Aérien, le peuple élu de la déesse. De plus, j’ai accès au monde du rêve, dont mon maître de magie disait qu’il était le jardin des dieux. C’est une magie d’origine divine, touchant à la réalité même du monde, comme ils le font. C’est pour cela qu’elle est si difficile et peu pratiquée.
S’interrompant, Erwin la prit dans ses bras, la regardant dans les yeux. Après un long moment où Erza se sentit fondre, il l’embrassa. Tendrement, longuement, leurs lèvres se pressèrent, se mêlèrent, leurs langues se cherchèrent avec tendresse. Quand elle sentit qu’il allait relâcher l’étreinte, la jeune femme prit la parole.
— Je serai ton phare dans le monde réel. Si tu sombre trop loin dans le rêve, si tes lames se gorgent de ton sang, je te ramènerai à moi. Je le jure.
— Merci, ma vie est dans tes mains.
— Je te ramènerai pour moi, pour que tu m’appartienne et que je sois tienne. J’en ai fini de perdre ceux que j’aime.
Son visage était tendu, déterminé comme il ne l’avait jamais été. Erwin s’arrêta un instant, la regardant attentivement. Ce qu’il lu dans ses yeux le fit sourire.
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