Myrtille courrait dans le jardin, à la poursuite de sa sœur, Jeanne. Myrtille en voulait à Jeanne de lui avoir volé son cheval de bois, mais à cause de sa carrure, elle ne pouvait pas la rattraper. En effet, Myrtille était une enfant rondelette, il faut dire que l’on mangeait bien chez François et Marie. Les deux étaient de riches marchands, ils disposaient de nombreux commerces dans le centre d’Uldamalt, la ville où ils habitaient. Sa richesse venait du fait qu’il était le seul à vendre un de ces fruits très rare qu’on ne trouve qu’à un endroit particulier, le Setthan. C’était une sorte de baie aphrodisiaque dont raffolaient les Rois d’Ademan. Ademan était le continent où se situait la ville d’Uldamalt. Ces rois achetaient donc ces baies à un prix d’or. En face de la maison de François habitait Josselin, un jeune homme d’une vingtaine d’années pas encore marié. En réalité, cela faisait deux ans qu’il devait se marier, c’était un mariage arrangé, avec la grande fille de François, Anne, du même âge. Cependant, de nombreux évènements avaient retardé l’échéance, et depuis, les parents avaient pris la décision d’annuler l’évènement, bien que les deux jeunes adultes s’aimaient. Ce mariage aurait bénéficié à Josselin et à ses parents, puisque leur mode de vie était tout l’inverse de celui de François et Marie : ils croulaient sous les dettes et ne s’en sortaient que grâce à la pension que François leur versait déjà. Cette générosité n’était pas sans raison, petit, François était un bon ami du père de Josselin, Marcus, ils avaient commencé à travailler aux champs ensembles vers l’âge de douze ans, sous l’ordre de leurs parents. A l’époque, la vie était rude, le seigneur d’Uldamalt était un tyran. Il régnait sur la seigneurie des Monts-Croisés, comprenant la ville d’Uldamalt, de Viergin, et d’Azsar. Depuis, ces deux dernières avaient été détruites, contrairement à Uldamalt qui n’avait cessé d’évoluer et de prendre de l’ampleur. Trente ans avaient passé, nous étions en 1356. Marcus était mort de la peste, laissant sa femme Émeline seule avec son fils Josselin, et depuis ce jour funeste, François s’était juré de prendre l’adolescent sous son aile, comme son propre fils. Les deux ne se quittaient presque jamais, sauf quand il fallait rejoindre son foyer pour y dormir. Plus loin au nord de la ville d’Uldamalt, dans un petit quartier résidentiel bordé par la forêt vivaient Pierre et Jacques. Pierre était le père de Jacques, les deux étaient âgés respectivement de 43 et 19 ans. Malheureusement, et comme cela était courant à l’époque, leur épouse et mère était morte dix ans auparavant. Personne n’avait pu expliquer sa subite crise cardiaque, elle qui était pourtant une femme en pleine forme, qui croquait la vie avec une joie des plus rares. Pierre, lui, racontait la scène :
« – Elle avait été prise d’une crise cardiaque, près du fleuve d’Uménom. On était sorti se balader dans le bosquet d’Anhak, qui n’est qu’à quelques lieues d’ici, derrière la forêt qui entoure nos maisons. La faim nous vint, et nous avions trouvé un petit lieu surplombé par de grandes pierres. A peine nous fûmes assis que ma femme se prit les côtes à deux mains et mourut, en prononçant les mots « AUR », « ITAK » et « BUTWUI ». C’était dû, peut-être, et je pense, à une certaine folie passagère. Pourtant, ces trois mots me sont restés. »
Pierre travaillait dans ses propres champs, et revendait ses récoltes à François, pour son marché. Les deux étaient donc de bons amis. Son fils lui avait été engagé dans la garde des Monts-Croisés, et officiait dans la ville. Il remplissait donc diverses missions de patrouille, et maintenait le calme et la sérénité dans la ville avec d’autres collègues. Ces quatre « paysans », même si pour certains, on se rapprochait plus du terme de « bourgeois », formaient donc un groupe d’amis solide qui s’entraidaient dans la ville comme ils le pouvaient. Leurs valeurs étaient celles du partage, de la solidarité… Ils se réunissaient souvent lors d’activités, comme la chasse, ou au cours de certains repas. Ils s’étaient liés d’amitiés avec le maire de la ville, Charles, dont ils avaient été les principaux acteurs de la nomination. Les idées de Charles étaient quelque peu suicidaires : bien qu’il dut faire preuve d’amitié pour être nommé par celui-ci, il était un farouche opposant au gouvernement du Roi d’Ademan Karlin IV, qu’il comparait à un tyran assoiffé de sang. C’était un peu exagéré, mais il était vrai que ce Roi n’était pas des plus tendres avec ses sujets. Les quatre amis partageaient en grande partie les idées du maire, mais il était préférable de ne pas trop parler du sujet, au risque d’en subir les conséquences.

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