Keedan
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Le grand guerrier était entraîné par la jeune fille qui le guidait en le tenant par la main. Il avait bien tenté d’échapper à la poigne ferme de la blonde, mais elle lui avait lancé un regard si sévère qu’il n’avait pas eu le courage d’insister. Ils parcouraient des corridors obscurs, à peine éclairés par des lumières magiques, puis des escaliers qui n’en finissaient pas.
Keedan avait bien tenté d’apprendre où elle l’emmenait, mais elle lui avait seulement répondu « voir ton erreur, et peut-être la réparer ».
Ils s’enfonçaient dans la terre et empruntaient des chemins tortueux jusqu’à parvenir dans une impasse terminé par une énorme porte en bois dessiné d’un paysage en relief. Elle était entrebâillée et une rumeur tenue s’en échappait. La jeune sœur ralentit le pas, et Keedan fit de même. Elle poussa légèrement la lourde porte, suffisamment pour qu’ils puissent tout d’eux y jeter un œil. Lorsque le guerrier, mue par sa curiosité – plus que par le signe strict de la jeune fille – y passa la tête, il fut surpris par le nombre de Saintes présentes.
La pièce était rectangulaire avec une voûte haute de plusieurs pieds maintenue par six larges colonnes de pierres, trois alignées de chaque côté. Entre ces dernières, six rangées de six Saintes étaient agenouillées à même le sol. Elles étaient équitablement séparées pour laisser un chemin qui menait jusqu’à un piédestal composé de trois marche. Sur celle-ci reposait le corps chancelant de la jeune Saan qui semblait à demi consciente. Au-dessus d’elle se tenait la Mère du couvent, droite, la tête levée vers le plafond, yeux clos. Ses bras étaient ouverts, paume vers le ciel.
Derrière elle, une statue représentant la Déesse Il’lis se tenait élégamment assise sur un trône de marbre, un sourire bienveillant sur les lèvres et une chevelure méticuleusement sculptée cascadant sur ses épaules, ses genoux et glissant jusqu’au sol en boucles épaisses. Keedan eut le sentiment que la sculpture pourait prendre vie à tout instant. L’expression de son visage paraissait si réel qu’il s’attendait à voir les yeux fermés de la Déesse s’ouvrir brusquement. Lorsqu’il leva les yeux, il reconnu, gravé dans le mur de pierre, le symbole du Soleil à un œil représentant la caste du Couvent.
Keedan jeta un regard interrogateur à la jeune Sœur à ses côtés. Il fit mine d’ouvrir la bouche pour l’interroger mais elle lui intima d’un geste sec de se taire. Il reporta son attention dans la salle.
Les Saintes s’étaient maintenant inclinées jusqu’à toucher le marbre blanc de leur front. La Mère du Couvent s’empara des mains de Saan pour les poser, l’une après l’autre, sur deux coupes hautes de quatre pieds. Celles ci encadraient la jeune fille, en haut des marches. Chacune des coupes possédaient en leur centre une genre de pyramide miniature dont la pointe semblait acérées. La Mère y imprima les paumes de Saan et les maintint des siennes.
Elle entonna ensuite un chant en une langue totalement étrangère au guerrier, et chaque sœur le reprit en cœur, créant un écho qui emplit la salle. Le chant donna des frissons au chevalier qui se sentit mal à l’aise. A ses côtés, la jeune fille était devenue pâle et tremblait de tout ses membres.
La mère Prima lâcha les mains de Saan et déposa les siennes sur la chevelure rousse de la jeune sœur. Une lueur doré apparu en halo autour de la tête de Saan. Cette dernière était toujours prostrée, mais ses paumes ne se détachaient pas des piques des coupes, ce qui intrigua Keedan. Et qui l’alarma rapidement lorsqu’il distingua un liquide rouge gouttant dans les coupes. La jeune fille saignait.
Le chant s’était intensifié, se faisant lancinant. On aurait dit la plainte d’une mère priant pour son enfant mourant. L’émanation couleur or se mit à pulser, puis à onduler en descendant vers le cou en vagues successives. Elles gondolèrent jusqu’à chaque extrémité du corps de la jeune fille.
Saan se raidit, puis se redressa. La tunique, humidifiée par sa sueur, collait à sa peau et Keedan voyait nettement les muscles de son dos se tendre sous la tension. Pendant quelques secondes interminables, rien ne changea. Puis la jeune sœur se mit à crier. Ses mains se crispèrent sur les piques sans pour autant se retirer.
– Arrêtez ! Arrêtez !
Saan ne cessait de répéter cette supplique dans de gros sanglots.
Keedan serra ses poings jusqu’à faire palir ses jointures. La sœur à ses côtés avait fermé les yeux et récitait une prière les mains jointes. Le guerrier était perdu. Un atroce sentiment de rancœur lui envahissait le cœur. Il se sentait maintenant responsable de ce qui arrivait à la jeune Saan. Mais il ne savait pas comment intervenir.
– Que se passe-t-il ? Fini-il par demander d’une voix basse, grondande et mesurée.
– Elles la purgent. Elles éradiquent le mal en elle en l’exorcisant, lui répondit doucement la jeune sœur.
Keedan lui jeta un regard. Elle avait cessé de prier.
– Quel mal pensent-elles qu’elle possède ?
Pour toute réponse, elle haussa les épaules.
– La lumière, qu’est-ce que c’est ? Interrogea-t-il encore.
– C’est l’aura de notre Mère Prima que vous voyez. Elle oblige sa propre énergie vitale à parcourir celle de Saan. Elle impose sa magie, en somme. C’est comme une intrusion. Le corps de Saan n’est pas fait pour encaisser l’énergie de quelqu’un d’autre. Lorsqu’on soigne quelqu’un, on appose en douceur notre aura pour qu’elle se joigne à la personne blessée. Dans notre cas, Mère Prima force le passage ; c’est comme si elle drainait l’énergie de Saan pour la purger en extrayant le mal. Mais il n’y a aucun mal à extraire… fini la sœur en s’étranglant à demi sur les derniers mots.
Keedan ne comprenait pas tout, alors il demanda d’avantage d’explication.
– Elle hurle car c’est extrêmement douloureux. Quelqu’un qui a un membre infecté ou gangrené ressent à peu près la même chose. Mais dans un endroit précis. Hors, la Mère Prima envahie totalement Saan. Je pense que cela doit être comme se faire brûler vif…
Soudain, un cris attira son attention. Il reporta son regard sur la Mère Prima. Elle avait lâché Saan et reculé de deux pas. Il n’y avait plus de halo lumineux qui pulsait et Saan avait cessé de hurler. Les autres saintes n’avaient pas interrompu leur atroce mélodie pour autant.
Keedan plissa les yeux. Une volute de fumée sombre semblait suspendue au-dessus du corps affaissé de Saan.
Et la mère Prima l’observait avec horreur.
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