Droite et impénétrable, Athéna s’arrêta au sommet de l’Olympe et scruta le paysage. Rien. Elle attendit un instant que Kasper s’éloigne. Lui tournant le dos, elle toucha le sol, d’abord lentement, telle une caresse. Cherchant des certitudes, elle plongea ses mains dans le sol qui effritèrent la roche. Il ne restait aucune trace des fondations de la cité. Les Dieux se montraient silencieux, la ville n’existait plus.
Athéna se figea, comme pour mieux assimiler la situation. Une colère sourde bouillonnait en elle. Qui est le responsable ? se demanda-t-elle. Son ignorance alimenta encore les cris de rage de son inconscient. Elle s’imagina torturer son ennemi, lui arracher les entrailles, faire saigner son âme avant de l’achever. Elle se promit de trouver la réponse à cette question et d’agir en conséquence.
Athéna fit preuve de sagesse et reprit le dessus sur sa colère, cherchant à comprendre et à s’apaiser. Que vais-je faire ? Elle se sentait impuissante, comme désarmée devant cette fatalité. Un sentiment de nostalgie la submergea et elle ferma les yeux.
Il y a très longtemps, sur le mont Olympe,
La Déesse de l’Agriculture rit et je célèbre avec les Dieux cette occasion. Les récoltes ont été bonnes, Déméter gagne ce buffet en son honneur. Je m’abreuve d’un liquide vermeil, le sucre du raisin se colle à mes lèvres. Nous mangeons des baies sauvages dans le jardin, entre les murs de pierre bâtis par Héphaïstos. Tous les Dieux olympiens sont présents et mon père regarde Déméter avec fierté. Nous trinquons à la manière des hommes, nous buvons à la manière des Dieux, en savourant ce qui glisse dans nos gorges. Dionysos réclame un discours et l’assemblée se tait. Déméter lève les bras à hauteur d’épaule, les paumes vers sa famille et commence :
— Les Hommes m’ont prié et j’ai travaillé dur pour leur donner ce qu’ils méritent. Ils sont courageux et labourent leurs champs. Les charrettes sont tirées par des taureaux ou chevaux, mais poussées et dirigées par les Hommes. Les semis sont lancés à la main, avec technique et efficacité. Si j’aide le blé à se lever, ils veillent sur leurs plantations, arrachent les mauvaises herbes et arrosent les végétaux nécessiteux. Quant aux récoltes, le maniement des faucilles les épuisent, mais ils sont heureux de ce qu’ils ont gagné. Ils aiment leurs frères et se battent pour faire vivre leur famille. Ils sont dignes de ce que je leur ai donné.
Déméter sourit pour clore ce discours.
Athéna se souvenait du sourire de la Déesse de l’Agriculture comme si les siècles passés ne s’étaient pas écoulés. J’espère que tu reviendras, ma tante, pensa-t-elle. Et le regard de son père, l’entrain de Dionysos… Tout avait disparu.
La peine tenta de s’emparer d’Athéna, mais elle résista. Son cœur se durcit, les larmes se figèrent sous ses paupières.
La responsabilité divine reposait désormais sur ses seules épaules, du moins pour le moment, puisque manifestement elle était le seul Dieu sur cette terre. Que sont devenus les hommes sans nous ? s’interrogea-t-elle. Athéna voulait comprendre et gérer ce monde abandonné. Cette idée l’angoissait, certes, mais elle lui permettait aussi de trouver un sens à sa réapparition, de se donner la force de continuer à avancer.
Kasper ne cherchait plus à comprendre cette femme. Il poursuivit son chemin, en tentant de l’ignorer. Quelque part, il savait bien qu’il ne le pourrait pas. Elle s’était imprimée à jamais dans son esprit à l’instant où il l’avait vue.
Athéna lança un regard à cet homme qui s’éloignait. Elle percevait en lui une sensibilité qui la rassurait. Les Hommes n’avaient pas perdu l’émotion, la contemplation. Son visage exprimait un peu de lumière. Elle devait aller à la rencontre des autres humains. Qu’était devenu le monde ?
Un autre point la travaillait. Elle voulait vérifier la présence d’un monument qui lui était cher. Sur l’Acropole perchée sur les hauteurs d’Athènes, le Temple du Parthénon représentait la Déesse et la foi du peuple. Pourrait-elle contempler de nouveau cette construction légendaire ?
La Déesse de la Guerre leva les yeux au ciel malgré la lumière vive du soleil. Sa chouette se battait férocement. Il ne servait à rien de la rappeler, elle n’écouterait pas. Elle voulait reprendre l’Olympe.
Athéna passa derrière un arbre, à l’abri des regards. Une onde traversa son corps, des fourmillements picotèrent chaque pore de sa peau. Elle s’effaçait peu à peu, laissant Kasper avec le souvenir de cette femme peu ordinaire gravé dans sa mémoire.
22