La décision est prise.

Mes mains tremblent l’une contre l’autre. J’essaye de les contrôler. En vain. Mon corps se souvient des frissons agréables qu’il a connu. Bien loin de ces spasmes qui me secouent le corps avec acharnement. J’ai envie de vomir, habitée par cette brutalité intérieure. L’idée de rendre les armes m’effleure et s’étouffe bien vite. Je dois résister.

Il me faut une distraction. Je regarde autour de moi à la recherche d’un objet attirant mon regard. Les contours se mélangent, les silhouettes qui m’entourent sont floues. Un peu plus loin, le paysage forestier nous envahit de sa couleur verte. Je crois que nous sommes dans une clairière. Comment en être sûre ?

J’essuie mes yeux humides. Devant moi se dresse une paroi de pierres. Elle conviendra.

Elle semble si épaisse, si froide, si grise… Je l’imagine s’ouvrir en coulissant le long du flanc rocheux, lentement, en émettant un léger grincement. Mes muscles se contractent un instant avant de se relâcher. Je respire profondément en fermant les yeux. M’obliger à me détendre est un exercice difficile, mais je persiste. Mes paumes finissent par se détacher, s’éloignant l’une de l’autre pour se caler mécaniquement sur mes hanches.

Je reprends le fil de mes pensées. Peut-être qu’un mécanisme permet d’activer la paroi. Je n’en sais rien. Vraiment. J’ai du mal à croire que quelqu’un puisse l’ouvrir manuellement. Je la fixe, longtemps et encore…

Mes yeux s’écarquillent, finalement fascinés par l’objet. Personne n’ose le franchir sans autorisation. Le couloir absorbe les âmes égarées, s’en nourrit et ne recrache rien.

Je finis par réaliser que ce n’est rien qu’une porte. Pourtant, elle représente tellement : une frontière entre deux mondes, le tournant radical de ma vie.

Au-delà, les ténèbres m’attentent.

Personne ne m’y a forcé. C’est ce que je veux. Rentrer dans cette grotte et m’isoler. Ils veulent que je perde mon identité et moi je veux m’oublier. Son visage… cessera de me hanter.

Flash

Il me prend le crâne. Je n’en veux plus. Non. Jamais.

Autour de moi, d’autres personnes attendent. Je m’oblige à détailler leur visage. J’essaye de me concentrer sur des détails insignifiants, qui me permettent de voir encore un peu de lumière.

Celui d’une femme, peut-être un peu plus âgée que moi. Ses traits fins lui donnent un air doux et angélique. Un être de lumière qui va s’éteindre dans les ténèbres. Quand à sa peau, elle est blanche comme ces fleurs que ma mère aime tant. Les larmes me montent aux yeux. Je suis si faible. Parfois, surmonter la souffrance c’est se recouvrir d’une armure solide, mais moi, chacune des mes blessures a planté un coup de couteau dans mes entrailles. Mes plaies saignent encore, profondes et nettes. Ça va cesser, je le sais. Elles vont cesser d’exister.

Flash

Un visage doux et pourtant si cruel. Mon cauchemar.

J’ouvre grand les yeux, comme pour m’obliger à voir le monde. Ma mère, ma mère. Je dois penser à elle pour éloigner mes démons. Elle n’était pas là quand j’en avais vraiment besoin. Elle n’aurait peut-être pas pu m’aider de toute façon. Pourtant, je n’ai qu’une envie, là maintenant, juste me blottir dans ses bras et me sentir rassurée à ce simple contact.

Elle ne sera plus là maintenant. Plus jamais.

Ma tête se tourne légèrement. Un homme, de l’âge de mon père se tient bien droit. Je remarque de suite la croix qu’il porte autour du cou. La mienne se trouve dans ma chambre, là où j’ai étudié pendant des années. Jusqu’à présent, les livres étaient mon unique refuge.

Plus pour longtemps.

Quand j’étais adolescente, les jeunes de mon âge admiraient les stars du showbiz. Seule la Communauté m’intéressait. J’avais envie de ressembler à ses fidèles : secrets, protégés, forts, mystiques, mystérieux. Mes parents ont toujours eu peur de mon intérêt pour l’occulte et la religion. A tord ou a raison, comment pourrais-je le savoir ? La voix pleine de reproche de ma mère, l’inquiétude de mes amis, les cris de…

Flash

Je dois me concentrer. Je dois chercher quelque chose qui retienne mon attention. Des cheveux blonds, aussi lisses et parfaits que ceux de ma sœur s’attachent à ma vue. La peine me sert d’un coup les entrailles. Mes yeux me piquent, comme si les mèches s’inséraient dans mon orbite. Ça me brûle, ça me tire. J’imagine mon œil sortir de mon crâne, injecté de sang.

Je me ressaisit. Je dois commencer à oublier.

Adieu le monde.

Adieu Louise.

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