Nous nous retrouvâmes donc le soir, Thérèse, Alexia, Jennifer et moi dans le « salon » d’Alexia, toujours assis sur ce que j’avais fini par considérer comme ma chaise, dos à la porte d’entrée. Thérèse n’avait pas chômé depuis notre dernière rencontre, bien que la présence de Jennifer lui déplaisait visiblement et superbement, elle ne laissait en rien cela l’affecter, elle me faisait penser à une araignée attendant patiemment sa proie (et me supposer moucheron faisait un bien fou à ma virilité). Elle avait fait des recherches sur le rêve que je lui avais raconté (sachant qu’elle n’avait pas internet et qu’elle ne saurait s’en servir, je n’avais qu’une vague idée de ses sources d’informations, et de leur éventuelle tenue vestimentaire), et elle était tombé sur une ancienne pratique nigérienne constituant à mutiler le visage de ceux qui auraient fait un pacte avec le démon de manière identique à ce que j’avais vu.
Le fait que Vanessa ne ressente aucun des effets de la vie avec Nestor sous entendait que le sorcier, éventuel avatar physique, aurait jeté un sort afin d’empêcher quiconque autre que Vanessa et présumément lui-même d’entrer chez la demoiselle. Cependant cela semblait allait contre ce que je savais de Luscius, à savoir qu’il était de New York, pas vraiment une ville nigérienne (enfin techniquement…).
C’est là que Thérèse nous parla de la rencontre de Robert (alors ce coup-ci c’est pas moi, c’est ses parents qui l’ont nommé comme ça), avec un prétendu New Yorkais fraichement arrivée à Bangkok. Robert était donc le petit ami officiel de Thérèse, venait d’une ile ou d’une autre qui n’a jamais été franchement clarifiée. Pour être honnête hormis la taille des cornes du bonhomme la seule chose que je sache réellement sur son compte et qu’il savait tourner sur la tête… Il me fallut un moment avant de comprendre qu’il était danseur, aspirant chorégraphe qu’il avait fini en Thaïlande pour lancer un groupe qui avait une certaine célébrité locale. Robert avait donc rencontré un jeune homme qui disait s’appeler Marcus, et qui venait prétendument de New York, prétendument car on ne la faisait pas à Robert qui était un fan de la ville en question et la connaissait comme sa poche bien qu’il n’y soit jamais allé… (à New York hein… pas dans sa poche). Il avait fait passer un véritable interrogatoire à Marcus qui avait visiblement faillis à répondre de façon satisfaisante à l’inquisition. J’avouais à Thérèse ma perplexité quant au rapport entre Robert l’inquisiteur New Yorkais et le couple Vanessa-Luscius.
Thérèse me regarda alors avec un regard triomphale et m’annonça que vu le temps que Robert passait complètement défoncé à tout ce qui lui tombait sous la main (en tournant sur la tête ?), il avait peut être mal compris le nom et le garçon en question pouvait très bien se nommer… Luscius.
Personnellement si l’histoire de Thérèse était à moitié vraie, je comprenais soudain les réticences de Luscius à rencontrer le reste des amis de Vanessa. Je ne poussais cependant pas mes réflexions plus loin. Je sentis une pression puissante sur le coin de pensée, comme si quelqu’un cherchait à me faire sortir de mon crane…
Impression qui semblait être partagée par toute l’assistance, aussi ce fut de façon quelque peu inutile qu’Alexia rajouta :
– Il est là.
Effectivement, on aurait dit que Nestor était proche, mais un Nestor sous amphétamines, je n’avais jamais sentis sa présence aussi fortement. D’un autre coté alors que les membres de l’audience semblait accuser le coup je me trouvais pris d’une combativité plutôt surprenante.
Thérèse, Alexia et Jennifer me fixèrent comme si un troisième œil venait de surgir de mon front (pas terrible pour les lunettes de soleil…). Il semblait que je supportais seul le gros de l’assaut. Je ressentais un puissant besoin de partir, mais refusait en même temps de bouger une oreille. Soudain l’origine de l’impression fut tant évidente que je ne pus m’empêcher de dire.
– Il est derrière la porte.
A ce moment précis quelqu’un toqua à la dite porte ce qui fit sursauter les demoiselles présentes d’un même bond. Et ce fut Alexia, encouragée par Jennifer et poussée par Thérèse qui se dirigeait vers la porte d’un pas mal assuré.
La porte était à peine entre-ouverte que surgissait un tonitruant et gaie :
– BONSOIR !!!!
Qui fit sursauter les demoiselles une nouvelle fois. La porte s’ouvrit en grand pour laisser entrevoir le couple. Luscius aurait pu être un joueur de basket-ball américain ou acteur de film d’horreur… ou les deux, me retournant enfin pour lui faire face je reconnaissais les traits de Nestor, les os saillant de la peau tailladée en moins.
L’impression de déguerpir était forte, mais je me trouvais de plus en plus à l’aise. Je regardais Luscius dans les yeux et décidait de jouer au même jeu que lui. Depuis le début j’avais subit, j’en étais un peu fatigué. Je venais aussi de comprendre que Nestor n’était que la manifestation d’un esprit jaloux et insécure sur la fidélité de sa petite amie.
J’en avais marre, et poussais aussi fort que je le pus, je sentis l’effort de celui qui était devenu mon adversaire par bêtise. Vanessa complétement ignorante de ce qui se passait parlait avec toute son énergie habituelle. Les autres filles passaient de Luscius à votre serviteur, ne sachant réellement ce qui se passait. Luscius faisait visiblement un énorme effort mais n’arrivait pas à passer le seuil de la porte. Une légère buée apparaissait sur les fenêtres, la porte de la salle de bain s’ouvrait progressivement toute seule, montrant un miroir embué lui aussi. Le paquet de cigarette d’Alexia tomba au sol, les filles elles-mêmes s’étaient mise derrière moi, Vanessa aussi plus par reflexe qu’autre chose, elle continuait à déblatérer sans réaliser que personne ne l’écoutait.
Le tiroir de la cuisine qui était resté ouvert se ferma soudain violement.
Luscius qui transpirait maintenant à grosse goute, tenta de nouveau de mettre un pied dans l’appartement. De mon côté je recentrais toutes mes forces sur une nouvelle attaque.
Les portes des placards des voisins claquaient, la porte d’entrée craquait poussée contre le mur, les murs eux-mêmes semblaient se courber sous la force.
Soudain, alors que je sentais la force en face de moi disparaitre et tombait en avant par manque de résistance. Luscius déclara qu’il était fatigué et qu’il allait rentrer chez lui. Il laissa Vanessa en plant, il prendrait l’avion le lendemain et plus aucun de nous ne le reverrai.
Insouciante des évènements, Vanessa vint se planter en face de moi, alors que légèrement étourdis par l’effort je me rasseyais sur ma chaise et me dit avec un large sourire.
– J’adore ce que tu as fait à mon appartement.
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