IV

C’est les pieds attachés et la tête à l’envers que le marchand se réveilla. Un poing s’abattit sur son visage tuméfié. Il ne sentait plus la douleur et il avait du mal à voir. C’est que tout était à l’envers et de ce point de vue, le visage de Medri semblait beaucoup moins disgracieux qu’à l’habitude.
_Ce n’est… pas ma faute… commença Arsan avant qu’un autre coup ne s’écrase sur sa face.
Le « rat » tournait autour d’Arsan comme une hyène prête à se nourrir de sa charogne.
_J’étais comme toi au début, un petit marchand et puis un voleur et maintenant le plus influent des contrebandiers dans cette foutue zone.
Il se rapprocha du visage d’Arsan.
_et, tu sais pourquoi. Hum ? Parce qu’on me craint, parce qu’on m’obéit parce qu’on n’ose pas me rouler !
Il mit un coup dans le ventre du jeune amatéen qui eut le souffle coupé.
_Tu as eu ta chance pour me rembourser la marchandise et toi qu’est-ce que tu fais ?! tu t’enfuis ? Tu veux fuir en plus ?
_Je peut te rembourser, toussa Arsan.
Le rat brandit alors l’épée Thulienne : « Avec ça, je suppose, c’est une bonne épée, mais sa magie ne fonctionne pas… tu comptais me rembourser avec un morceau de ferrailles…
_Non… non elle fonctionne, assura Arsan.
_Ah ouais, bah on va rigoler tout à l’heure, je ne me contenterai pas de te tuer pour ma perte, ça serait emmerdant. Tu sais que j’organise des combats clandestins dans la cité basse d’Arcadirt.
Arsan hocha la tête en pressentant le pire.
_Et bien figure toi que ça me ferait très plaisir que tu y participes Arsan. C’est une chance pour toi, car si tu gagnes je te libère. Un sourire cruel se dessina laissant des dents en or briller au gré des torches.
_Ok détachez le et foutez-moi ça dans la cage pour un combat spécial avec la tombe.
Arsan était trop faible pour se tenir debout après le traitement infligé par le rat. Mais la tombe signifiait qu’une chose pour Arsan, la mort au sens propre du terme. Il savait que la tombe était le champion du rat. Ce gladiateur reçut ce titre de « tombe » pour des raisons évidentes, tous ceux qui passaient entre ses mains allaient directement au tombeau.
On ne ménagea pas Arsan qui n’eut le temps que de boire un peu d’eau avant que « l’emmène à la cage aux combats. Le lieu était sinistre et puait le sang malgré les efforts des nettoyeurs qui passaient après chaque combat. On pouvait encore les voir courber sur le sol à essayer d’effacer vainement le pourpre du sol de combat. Le combat n’avait aucune règle si ce n’est qu’un seul combattant devait en sortir vivant. Tout ceci formait un petit Colisée souterrain qui pouvait accueillir une centaine de personnes toutes les nuits. Les gardes de la cité connaissaient l’existence de ces combats. Toutefois, ils n’intervenaient pas directement de peur de se retrouver avec une ville basse à feu et à sang.
On fit avancer Arsan dans la cage, une mini arène de six mètres sur six mètres, enfermés par des barreaux solides.
On l’enferma dedans et quelqu’un fit glisser l’épée Thulienne découverte dans les ruines.
_ pour la peine, tu te défendras avec ce bout de ferraille, tu me montreras si elle marche ou pas » commenta le « rat ». Il se prélassa sur un simulacre de trône constitué d’os de qualité provenant des plus grandes bêtes de Kebulan.
Arsan ressentait une grande confusion, sous tension il était en état d’alerte, mais l’angoisse qui accompagnait l’attente était insupportable ; d’autant plus que tous ses sens le prévenaient de la mort qui rôdait près de lui, ses cheveux en sueur étaient collés sur son front. Ses dents ne pouvaient s’empêchait de claquer tandis que l’odeur du sang séché le frappait les narines.
Puis dans l’obscurité noire qui s’étendait devant lui, il vit deux yeux brillant d’une façon inhumaine.
L’angoisse se transforma en une peur indicible. Il ne pouvait deviner ce qui lui arriverait et quelles horreurs étaient tapis dans l’obscur tapis derrière les barreaux salvateurs.
_ faites entrer la tombe ! gueula le rat du haut de son estrade.
Une partie de la barrière qui se tenait en face de lui coulissa pour laisser entrer la tombe. Arsan pensait qu’il s’agissait d’un combattant ordinaire, mais en voyant les yeux fauves faire place au corps musclé d’un loup royal. L’animal ressemblait à un loup de deux mètres de long, sa mâchoire s’allongeait pour laisser sortir des crocs jaunes. Son pelage fauve était pigmenté par des taches noires et sa longue queue fouetta l’espace en voyant sa nouvelle proie. Arsan comprit que le combat n’était qu’un prétexte à une exécution sanglante. Le désespoir s’abattit encore plus sur les épaules du marchand.
Au début, la bête se contenta de tourner autour d’Arsan. Rythmant de temps en temps ses déplacements avec un grognement menaçant qui laissait voir les dents aiguisées de ce prédateur gigantesque. Arsan essaya de garder un maximum de distance entre lui et l’animal. Mais celui – ci se rapprocha de plus en plus pour donner des coups de patte comme pour jouer avec sa nourriture. Arsan tremblait de peur, il accepta que la mort fût l’issue la plus probable. Il décida au moins de résister, il s’approcha doucement de l’épée qui gisait à quelques pas sur le côté. Il effleura le pommeau quand la tombe plongea ses crocs dans son épaule. La bête laissa la marque profonde de ses dents et un flot de sang commença à mouiller le cuir de sa protection. C’était la fin pour Arsan qui allait devenir le repas de ce prédateur féroce.
Dans un dernier effort pour sa survie, Arsan sauta sur l’épée, le lion bondit en arrière comme pour éviter une attaque. Il rugit de colère en ne voyant rien arriver.
Arsan prit l’épée avec sa main valide, l’autre était occupé à tenir son épaule endolorie.
Soudain, l’épée émit un ronronnement discret et certaines parties s’illuminèrent pour devenir azur.
Une voix émise par l’épée parla dans une langue étrangère à Arsan.
//activation du nouvel utilisateur//blessure détectée//mise en place de la procédure de survie//adrénaline injectée.

Arsan ne sentait plus ses blessures, mais elle n’avait pas disparu pour autant. Le sang continué à couler et s’il ne se faisait pas soigner il passerait surement de vie à trépas.
Le loup royal visa le cou du marchand lors d’une attaque foudroyante. Arsan vit la bête se propulser sur ses pattes arrière de façon prodigieuse, la gueule ouverte, les pattes griffues en avant, une attaque mortelle. Arsan pouvait tout voir avec un léger ralenti, il en profita pour esquiver la bête, cela n’empêcha pas le monstre de lui lacérer le bras.
En retombant sur ses pattes, la créature secoua la gueule et des filets de baves pendaient de ses babines.

//spécimen de type homo sapiens sapiens//trace de génome thulien détecté//transfert de la conscience du prisonnier activé//. La voix de l’épée s’exprima encore une fois dans cette langue étrange.

Il se sentait soudainement léger, un flou recouvrit ses yeux, il crut d’abord que la mort venait l’embrasser. Puis il sentit une grosse main se poser sur son épaule et une forme humanoïde passa devant lui, une forme imposante.

_tu est celui qui m’a libéré de ma crypto — prison. Écoute-moi, le processus de transfert de conscience est en train d’avoir lieu, laisse-moi prendre le relais et je te sortirai de là vivant. Tout cela avait l’air d’être une hallucination. Arsan commença à se demander s’il n’avait pas été empoisonné par les griffes de la bête.

Le marchand était de plus en plus hébété, comme s’il venait de se prendre une cuite sans avoir bue, sensations désagréables pour Arsan.
Il essaya de suivre la scène qui lui paraissait irréelle.

Le lion bondit une dernière fois pour achever Arsan, celui — ci esquiva sur la droite. Il trancha d’un coup d’épée bien placé le flanc de l’animal qui lâcha un râle d’agonie. La bête boita légèrement en essayant de se replacer pour attaquer. Cette fois, c’est Arsan qui sauta sur l’animal. La main du marchand chercha le cou de l’animal qui émit un hurlement court et plaintif. Devant les yeux stupéfaits des spectateurs, ils regardèrent le marchand soulever le gigantesque animal avec une seule main pendant que l’autre se plaça tel un dard pointé sur la gueule de la bête. En un instant, le métal alla se ficher à l’intérieur de la gueule de la bête. Il ne restait maintenant qu’un cadavre à la mâchoire ensanglanté par une dizaine de coups d’épée. Des lambeaux de chair trainaient sur le sol, les yeux à peine éteints du loup royal contempla la marre de sang qui exultait de sa gueule.

Ozir évalua tranquillement la situation, il s’agissait d’une sorte d’exécution, les autres créatures à forme humaine semblaient surprises. Ses biens pensa Ozir, qui pouvait en profiter pour mettre en sécurité son hôte.
Des gardes se placèrent autour de la grande cage avec des lances pour piquer le captif.
L’épée commença à s’illuminer d’un bleu volcanique. Puis, d’un coup sec Ozir lâcha un cri en donnant un coup d’épée dans le vide. La lumière s’éjecta en une mince salve de lumière qui coupa net les barreaux.
Le « rat » donna des ordres pour maintenir l’assassin de la tombe dans sa cage. Un attroupement d’hommes en armes firent barrage pour empêcher l’épéiste de sortir.
_ Les barreaux ne se sont pas brisés tout seuls, vous avez le choix entre me laisser partir ou subir le même sort.
Ozir ne pouvait plus utiliser son épée de cette façon. Il consommait trop d’énergie et l’état de son hôte ne permettait pas de l’utiliser trop souvent sans le tuer.
_laissez le passez ! cria Medri le « rat ». Arsan, fils de chienne regarde moi !
Ozir tourna la tête en direction du contrebandier.
_je ne sait pas ce que tu as fait là, je te laisse aussi le choix, remplace la tombe pour combattre à sa place ou va t’en d’ici. Mais saches une chose, tu ne pourras plus jamais dormir le cœur tranquille, car je mettrai ta tête à prix et la récompense sera tellement énorme que tu ne pourras jamais dormir le cœur tranquille.
Ozir fit face à Medri et répondit :
_saches mortel que tu parles à Ozir du clan Volnir, première lame des thuliens, je ne resterai pas cloitré dans ton terrier « rat ».
_Qu’est-ce qu’il raconte celui-là, je lui propose un travaille et il refuse, faites-lui la peau.
Les hommes raidirent leurs positions et tinrent leur lance droite prête à creuser des trous dans la chair du marchand.
_Ce corps est trop faible et il est blessé, soupira le thulien. Il devait ne finir vite avec ses gardes sinon quoi il allait y passer c’était certain.
_Dans ce cas, approchons – nous des limites, murmura’il en se courbant presque en deux. L’épée levée au-dessus de sa tête tel un dard brillant réclamait plus de sang.
La seconde qui suivit Ozir se trouvait déjà au corps à corps avec le malfrat le plus proche. Il vit la stupéfaction de l’homme en arme qui sentit à peine le coup d’épée qui libéra les tripes sanguinolentes du malheureux. La vitesse de frappe du marchand était terrifiante. En quelques instants le thulien s’approcha d’un autre lancier. Il taillada son arme puis les mains du soldat qui s’écroula de douleur, ces mains trainaient par terre. Ozir fit face à son dernier adversaire, une femme en armure de cuir décoré par des symboles qui lui rappelait d’anciens symboles que son peuple utilisait. L’épéiste rencontra avec fracas l’acier de l’épée adverse. Elle contre – attaqua avec fureur avec un coup rapide du bas vers le haut qui frôla le visage d’Ozir.
_Tu sembles rompu au combat à l’épée, commenta Ozir en maintenant sa garde bien haute.
_J’ai été élevé par les amazones de la reine d’Arcadirt. Elle bondit en avant et échangea avec Ozir plusieurs coups rapides avant qu’ils reprennent leurs gardes.
La lame de l’amazone commença à s’illuminer d’un bleu qui rappelait à Ozir le danger qui allait s’abattre sur lui.
_Tu n’est pas le seul à pouvoir utiliser les armes Thulienne ! crache la guerrière.
La lame d’Ozir eut le temps de concentrer son énergie pour essayer de couper en deux la salve meurtrière qui fonça sur lui.
Il sentait le brouillard s’étendre le long de son crâne, il devait en finir rapidement sinon c’était la mort pour lui et son hôte Arsan.
Avec ses dernières forces, Ozir fonça sur l’amazone et glissa sur les genoux pour éviter un coup d’estoc. L’attaque d’Ozir prit aux dépourvues la guerrière qui se fit taillader le genou profondément. Elle tenait sur ses genoux en utilisant son épée et attendait le coup de grâce.
_Qu’est-ce que tu attends sale chien, finis le travaille.
_Je ne prendrai pas ta vie aujourd’hui, je n’ai pas d’intérêt à te tuer.
Ozir aperçut les yeux remplit de fureur de la guerrière.
_Je te retrouverai, marchant ! Rugit – elle
Ozir grogna comme seule réponse, il s’en alla rapidement quand il était sur qu’il ne serait pas poursuivit.
Plus personne n’était en mesure de s’opposer au marchand qui trouva la sortie facilement en suivant les fuyards qui avait préféré rester à l’écart des combats, des montures hennirent de panique pour répondre à l’agitation des hommes. Ozir, Arsan en profita pour saisir une bête, il semblait se trouver dans un genre de cité, surement un quartier malfamé à en juger par l’odeur fétide que transportait l’air, il devait s’éloigner assez rapidement et trouver de quoi soigner les blessures.
« Jeune homme, Arsan trouve un guérisseur, tu n’as pas longtemps à vivre dans cet état, je serai là si ta vie, notre vie est en danger. » La voix résonna dans la tête d’Arsan qui ne comprenait pas grand-chose à la situation, cependant il était blessé et le plus important vivant. La cité d’Arcadirt est remplie de guérisseur et il savait où aller.
Il sollicita la monture et avança doucement à moitié hagard pour s’enfoncer un peu plus dans les ruelles du quartier des voleurs.
Ozir se rétracta dans un coin de l’esprit du marchand en attendant que les circonstances soient meilleures.

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