Le jeune homme finit par demander ce que vient faire Métis dans le camp. Le chevalier d’Onis comprend qu’il n’a pas toutes les informations, en effet, le serveur embreille tout de suite sur certains accidents dont Métis n’avait aucune connaissance. Ceux-ci s’étant produit dans le camp, ne comptent pas forcément comme accident de travail et sont classés dans un registre différent. Un homme est tombé en sortant des douches communes s’est ouvert le crane, un autre a eu une crise cardiaque en réparant une pompe de nuit sans autorisation préalable, il avait remis un faux dossier médical pour avoir un emploi sur le site.

Encore des accidents, encore un rapport avec l’eau, le jeune homme finit par dire que le nombre d’accident est finalement normal, même avant le Ramadan, les gens dorment mal, sont irritables. Bien souvent les travailleurs sont du Nord du pays et sont habitués à un climat tempéré, le désert est une rude surprise pour beaucoup d’entre eux, peu font plus d’une rotation, ceux qui restent deviennent chef d’équipe mais n’ont aucune formation et souvent aucune autre compétence que d’être revenus pour une nouvelle rotation.

Les accidents ne touchent ils donc que les gens du nord du pays?
Il ne sait pas, il ne s’est jamais posé la question… peut être oui.
Mais tout le monde dort mal?
Il pense. Tout le monde a des cernes sous les yeux, mais avec Ramadan maintenant il est bien plus compliqué de le voir, on finit par ne plus faire attention.
Des cauchemars?
Personne ne parle de ce genre de chose.

Le serveur veut rajouter quelque chose, mais la porte s’ouvre, le directeur de la sécurité du travail entre. Il est venu souhaiter la bienvenue au nouveau formateur.

Un homme fin, dégarnis, mal habillé, un pantalon trop court et moulant, un T-Shirt Bleu qui a dû voir des jours… des années bien meilleures, ce dernier porte des traces que même les trop fortes lessives et détergents utilisés dans les bases vie n’ont pu faire partir… tendant à éliminer toutes origines organiques aux dites traces. Il fait partie de ces gens chez qui le casque de chantier est posé toujours trop haut comme s’ils avaient un front de plusieurs dizaines de centimètres de haut, les chaussures de sécurité font un raffut suffisant à sortir les deux spectateurs de leur hibernation.

Les joueurs de billard s’arrêtent immédiatement dans leur élans, tentant penauds de cacher ce qu’ils faisaient, une sorte de reflexe, ils sont après tout en pleine pause déjeuner. De plus la plupart des travaux sont arrêtés l’après-midi. Impossible de faire avancer un chantier sans travailleurs et Ramadan oblige ceux-ci tentaient de rattraper un semblant de sommeil qui n’avait pourtant, entre la chaleur, le jour à travers les rideaux, l’heure et la déshydratation rien de réparateur.

Un homme sérieux, auquel le parler donne une fausse impression d’austérité. Il a vu sa nationalité sur ses papiers et choisi de s’exprimer dans la langue natale supposée de Métis… et refuse obstinément de parler autre chose. Métis comprend, il décide de ne pas s’en tenir au ton de son interlocuteur, la grammaire est plutôt bonne, un fort accent italien, non désagréable pour autant, contrastant avec la raideur de son ton.

Même si Métis peut se faire comprendre dans la langue natale de son interlocuteur, il n’en fait rien, l’homme fait un effort, par politesse, il serait mal venu de lui faire comprendre que cela est inutile. Il commande un deuxième café au jeune homme qui s’était lui aussi raidit, visiblement même en Italien l’homme gardait son ton rêche, son allure générale, de sa démarche à ses yeux indiquent pourtant le contraire. Le genre de personne qui ne sait pas s’ouvrir, soit trop, soit trop peu, ne sachant s’arrêter il ne le fait pas du tout. Il est suivis par quelqu’un d’autre, Métis ne comprend ni son nom, ni sa fonction, et chose rare, il l’a à peine perçu entrer. Quelqu’un de si renfermé qu’il n’émet presque plus rien, il a l’air de fâcheuse humeur, Métis finit par comprendre qu’il a été désigné pour la visite du site et que cela ne l’enchante guère. Il voit aussi quelqu’un qui est entièrement dévoué à quelque chose, tellement qu’il n’a guère d’autre place pour le reste du monde. Il apparait presque hostile parce que Métis vient de l’extérieur, de ce monde qui ne fait que l’indisposer qui le force à se préoccuper d’autre chose que ce qui lui est vraiment important. Métis n’arrive toujours pas retenir le nom de l’homme, ce qui est normal au fond, ce dernier tente de mettre le monde dehors, s’y ferme, donc il se ferme aussi aux sens de Métis. Ces gens ont souvent des rêves d’une rare force, mais éveillés peuvent être complètement invisible à un Chevalier d’Onis. Il finit par déterminer qu’il s’agit du superviseur de la zone c4, pour une raison que Métis ne pourrait justifier il le surnomme Luigi.

Luigi donne tous les signaux qu’il n’apprécie pas le formateur, il soupire souvent, évite certaines questions, se réfugie derrière des difficultés à parler l’anglais pour couper court à toute conversation. Métis aurait pu tenter en italien ou avec le syndrome de Babel, mais il était inutile de forcer les choses à ce moment. Ce genre de personne, s’ils le font, ne s’ouvrent qu’à leur rythme, on fait progressivement partie de leur monde, forcer l’issue est contre-productif. Le directeur de la sécurité l’a nommé, et à moins que Métis se soit trompé, le fait qu’il ait nommé Luigi pour lui faire découvrir le site signifie soit qu’il n’avait personne d’autre sous la main, soit que ce garçon est une sorte de bras droit, quelqu’un de confiance… et pourquoi pas compétant (soyons fou)?

Métis choisit la deuxième option, il ne pose que les questions d’usage, écoute beaucoup, laisse Luigi aux commandes et apprend. Le tour du site leur permet de découvrir plusieurs scènes… insolites tel cet homme qui travaillait en hauteur et a glissé en buvant de sa gourde, cela faisait plusieurs heures qu’il pendait, rattaché par son harnais de sécurité, il travaillait seul et son chef d’équipe ne s’est pas inquiété de son absence. Luigi est furieux, Métis proche de la crise de rire, après tout ils sont arrivés à temps et l’homme bien que légèrement déshydraté est encore vivant et ne gardera aucune séquelle. Cependant, cela lui donne un alibi pour questionner son guide sur les divers accidents. Les réactions de Luigi confirment que Métis ne s’est pas trompé, l’homme est dévoué à une cause inconnue, mais il reste lucide et décisif.

Après le tour il l’a mené au bureau de la sécurité afin que Métis puisse de lui-même lire les rapports sur les divers incidents, il se trouve qu’ils ont tous les deux une idée assez proche de la formation, il vaut mieux utiliser des données du site afin d’attirer l’attention des participants sur des choses qui leur sont familières. Les dit-rapports sont de qualité assez inégales, visiblement tout le monde n’a pas les mêmes compétences en la matière, cependant les pièces jointes à certains rapport comme les rapports du médecin de la base sont plutôt intéressantes. Dont un plutôt apparaissant comme insolite, un homme avait rampé dans le sable près de 15 minutes pour se rapprocher des réservoirs d’eau potable tout en déjouant la sécurité, il voulait se rafraichir… et a sauté dans les cuves… ne sachant nager, il s’y était noyé, le corps n’ayant été retrouvé que le lendemain matin. Le médecin avait retrouvé des traces de déshydrations, de plus la peau était séchée par endroit comme si elle avait été brulée par le soleil.

Métis regarde la liste des participants, tout le chantier doit s’y présenter, près de 1500 personnes, le médecin en fait partie.
Il n’obtiendrait rien de plus aujourd’hui, et bien qu’il soit le milieu de l’après-midi il devrait se lever en même temps que les travailleurs le lendemain matin, Ramadan oblige… de 4 heures du matin à 16 heures, sans arrêt. Il valait mieux y aller à tête reposée.

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