Après avoir parlé au milicien qui gardait l’armurerie, Henri et Jeanne purent accéder à l\’arme utilisée par l’assassin.

Il s\’agissait d\’une épée courte à lame droite. L\’arme était de bonne qualité mais simple et sans fioriture. C\’était clairement un produit générique.

– Bon, dit Henri, nous allons la montrer à un maître armurier. Heureusement, ce n\’est pas ça qui manque dans cette ville. Il en tirera peut-être quelque chose.

– C\’est inutile, affirma Jeanne. Je reconnais cette arme. C\’est l\’épée courte donnée aux lieutenants de la marine. Mon grand-père en a une similaire. Si vous regardez sous le pommeau, vous y trouverez un M et un F gravés. C\’est la marque de la manufacture qui les produit.

Henri regarda sous le pommeau et trouva bien un M et un F gravés.

– Hum, ils y sont.

Il accrocha l\’épée à sa ceinture.

– Je dois quand même la faire examiner. Ce n\’est pas que je ne te crois pas, Jeanne. Mais le témoignage d\’un maître armurier comptera beaucoup plus pour les juges que celui d\’une écuyère.

– Je comprends, sire.

Henri et Jeanne allèrent demander aux miliciens la localisation d\’un maître armurier honorable. Puis ils retournèrent auprès de leurs montures. Ces dernières étaient toujours au même endroit, de même que tout ce qui se trouvait dans leurs fontes.

– Merci d\’avoir veillé sur eux, dit Henri à la sentinelle.

Pendant qu\’ils s\’éloignaient, Jeanne exprima ses interrogations :

– Tout de même, sire, un assassin incapable de se faufiler derrière deux hommes ivres sans se faire repérer, qui n\’arrive pas à contrôler son coup au point de laisser son épée coincée dans un corps, qui n\’a pas prévu d\’arme de secours et qui s\’enfuit juste parce que des témoins arrivent…il n\’est vraiment pas doué.

– Oui, en effet. Les Vanelle ont sans doute estimé que Roland ne valait pas la peine d\’engager un vrai assassin et qu\’ils pouvaient économiser de l\’argent en recrutant un simple gros bras. Ils n\’avaient pas tort d\’ailleurs. N\’aurait été le sacrifice de David, Roland serait mort.

– Vous pensez que ce sont les Vanelle qui ont commandité l\’attaque, sire ?

– J\’en suis même sûr. La milice commence à s’intéresser aux abus qu\’ils commettent et quelques jours après son chef se fait presque tuer ? Cela sonne bien trop familier à mes oreilles.

– Ce n\’est pas un peu trop… simple, sire ?

– Jeanne, les conspirations avec des plans complexes et des manipulations tordues, où par exemple une tentative d’assassinat n\’en est pas une mais une diversion machiavélique pour couvrir un plan secret diabolique, sont des choses extrêmement rares. Les paladins n\’y sont presque jamais confrontés. Nos défis ordinaires ne sont pas de découvrir la vérité, nos pouvoirs nous aident beaucoup pour cela. La vraie difficulté, c\’est de convaincre les humains de faire le bon choix. Et accessoirement, de survivre aux attaques de mercenaires envoyés pour nous tuer.

Jeanne resta silencieuse le reste du chemin, réfléchissant aux paroles de son mentor.

Ils atteignirent bientôt le centre-ville. Cette fois les maisons étaient bâties entièrement en pierre, certaines avaient même des fenêtres en verre, luxe rare, tandis que les rues étaient entièrement pavées. Trouver l’atelier du maître armurier ne fut pas difficile. Par chance, celui-ci n\’était pas occupé et put les recevoir tout de suite.

– C\’est le modèle standard d\’épée courte donnée aux lieutenants de la marine, identifia l\’artisan après qu\’Henri lui eut montrée l\’arme. Ces deux marques sous le pommeau ne trompent pas. Ce sont des initiales pour « Manufactures Flavie », qui produisent ces armes.

– Merci maître, dit Henri en reprenant l\’épée.

Midi approchant, il décréta une pause dans l\’enquête. Lui et Jeanne se rendirent à l\’église du Messager la plus proche où les prêtres partagèrent avec eux leur repas. Chaque église ou monastère avait pour responsabilité de fournir le vivre et le couvert aux paladins en mission, devoir que la plupart des religieux acceptaient de bonne grâce. Ils avaient beaucoup de respect pour les paladins.

– Quelle est la prochaine étape ? demanda Jeanne, une fois le repas terminé.

– Nous allons interroger les gens de la liste de Roland pour avoir d\’autre descriptions de l’assaillant. Vu l\’heure, ils doivent être en train de travailler dans une manufacture.

Quelques questions auprès des prêtres leur permirent de trouver rapidement le lieu de travail de la plupart des témoins.

– Pourquoi un officier de la marine accepterait-il de devenir un assassin, sire ? demanda Jeanne, tandis qu\’ils se rendaient à la manufacture.

– Je suppose que tu demandes cela car tu vois mal un membre de ta famille suivre la même voie et que tu ne comprends pas comment cela peut arriver ?

– En effet, sire.

– Que font tes proches à la fin de leur engagement ?

– La plupart se réengagent. Certains préfèrent essayer un nouveau métier, comme mon oncle. Mais c\’est plutôt rare.

– Il n\’y en a aucun qui s\’est senti mal dans l\’armée ? Par exemple à cause de la discipline stricte, des morts qu\’il a vus, du sentiment d\’insignifiance sur un champ de bataille, des conditions de vie qui peuvent devenir très dures en campagne, et j\’en passe.

– Oui, c\’est déjà arrivé.

– Cette personne ne se réengagera pas. Maintenant imagine qu\’en plus de cela, elle ait du mal à se réadapter à la vie civile. Parce que le pays est dans une sale situation, parce que c\’est difficile de changer son état d\’esprit après avoir vécu la guerre et peut-être même parce qu\’elle n\’est tout simplement douée pour aucun métier et que c\’est pour cette raison qu\’elle s\’est engagée. Que se passe-t-il dans ta famille ?

– Dans ce cas sire, tout le monde l\’aide du mieux possible le temps qu\’il se réadapte. C\’est arrivé à un de mes cousins. Ses parents étaient très déçus qu\’il ne se soit pas adapté à l\’armée et, en toute honnêteté, il n\’était pas très doué dans les autres domaines. Mais nous n\’allions pas l\’abandonner pour autant.

– Et si quelqu\’un se trouvait dans une telle situation mais que sa famille refuse de l\’aider ? Ou s\’il était orphelin ?

– Sans aide, il serait probablement désorienté et se sentirait très seul. Ses valeurs morales seraient chamboulées, il manquerait vite d\’argent et il serait prêt à accepter n\’importe quel travail. Même un assassinat.

– Tu as tout compris. Ceci dit, ce n\’est qu\’une des explications possibles. Et la plus optimiste. Certains anciens soldats veulent juste gagner vite beaucoup d\’argent et n\’ont aucun scrupule à assassiner pour cela. D\’autres se sentent puissants lorsqu\’ils commettent un meurtre et adorent cette sensation. Mais comme un soldat ne tue qu\’une poignée de fois par campagne, ils se tournent vers la « profession » d’assassin.

Jeanne hocha la tête.

Ils arrivèrent à leur destination peu après cette discussion. C\’était un large bâtiment en bois situé dans les faubourgs, à la forme massive et utilitaire, construit sans aucun goût esthétique.

À l\’intérieur se trouvaient divers outils et machines destinés à la purification du minerai de fer et à sa transformation en acier. Alors qu\’ils avançaient à l\’intérieur, Henri et Jeanne furent interceptés par un contremaître. Il s\’agissait d\’un individu grand, massif, très musclé, au visage désagréable.

– Qu\’est-ce que vous foutez là ? demanda-t-il d\’un ton hargneux, sans prendre le temps de saluer.

– Nous venons mesurer le degré de politesse des personnes présentes dans ce bâtiment, répondit Henri.

– Il vous arrive aussi de ne pas saluer, sire, lui fit remarquer Jeanne.

– Oui, bon, je suis quand même plus poli que ça.

– J\’ai pas de temps à perdre avec des imbéciles, déclara le contremaître. Dégagez !

– Bon, je suis membre de l\’Ordre des paladins et j\’enquête sur un meurtre et une tentative de meurtre, dit Henri, d\’un ton plus sérieux. Certains témoins sont dans cette manufacture et je dois les interroger.

– Ils sont en train de travailler.

– Oui, et bien, je dois tout de même les interroger.

Le contremaître cracha par terre.

– Pff, c\’est bien votre genre à vous les paladins de vous croire au-dessus des gens au point de les interrompre en pleine journée de travail.

– Vous m\’avez écouté quand j\’ai parlé de meurtre et de tentative de meurtre ?

– C\’est à cause de votre ordre qu\’on a perdu la dernière guerre contre Elfreda ! Si les vôtres aviez pas arrêté Gaston Aristide, on aurait pu construire suffisamment de bateaux pour…

– Doux Messager…quelqu\’un est mort, l’interrompit Henri. Arrêtez vos discours à la noix et laissez-moi faire mon travail. Ou vous préférez qu\’on tue des gens impunément dans vos rues ?

– C\’est de David et Roland qu\’il s\’agit ? Ces petits fouille-merde l\’ont bien mérité. Toujours à se mêler de ce qui ne les regarde pas, tout ça pour pouvoir faire le beau devant les filles…

– Comment osez-vous ! s\’exclama Jeanne. Montrez donc plus de respect pour les morts !

– Laissez-moi passer ou je vous arrête pour entrave à une enquête, déclara Henri d\’un ton las.

Le contremaître perdit de son air méprisant et la peur se lut dans son regard.

– D\’accord, d\’accord. Pas la peine de s\’énerver… Allez-y. Mais ne leur faites pas perdre trop de temps. Si on ne respecte pas les quotas de production, c\’est moi que Fernand Vanelle punira.

– Quel détestable personnage, pesta Jeanne lorsqu\’ils se furent écartés. Vous auriez dû l\’arrêter, sire.

– C\’est juste un homme normal qui a peur et ne réfléchit pas assez, dit le paladin. D\’une certaine façon, c\’est presque une victime.

Malgré ses paroles, il n\’y avait pas de compassion dans sa voix.

– Mais les mensonges qu\’il débite ! Ce n\’est pas de votre faute si nous avons perdu la dernière guerre. Aristide avait juste offert de financer la construction d\’une poignée de navires, rien qui puisse changer le rapport de force. Son arrestation n\’a pas entravé l\’effort de guerre. Nous avons perdu parce que le Stratège a nommé comme amiraux des incompétents liés aux Maisons marchandes alors que les officiers d’Elfreda sont choisis au mérite.

– Oui, mais ça il ne le sait pas. Lui n\’a pas de grand-père dans la marine qui peut lui expliquer ce qui s\’est passé. Il n\’a que la version de ceux à qui il doit son travail et dans laquelle les paladins sont des méchants fanatiques obsédés par la justice, et les miliciens des perturbateurs qui font leur intéressant pour se mettre en valeur.

– Il pourrait écouter d\’autres versions pour s\’assurer de connaître la vérité !

– Oui, il pourrait. Ce serait bien agir. Mais il devrait faire un effort pour cela. Chercher des informations, remettre en question ce qu\’il croit vrai, ce que son employeur lui dit. Et à côté de ça, ne rien faire et continuer de croire aux mêmes certitudes est tellement plus facile.

– Il n\’empêche qu\’il suit la mauvaise voie, sire.

– En effet, Jeanne. Le mal est bien plus commun et bien plus ennuyeux dans sa vraie forme que ce que nous pensons. L\’égoïsme et la paresse font plus de mal que la haine ou la colère.

– Alors pourquoi ne faisons-nous rien, sire ? Nous sommes les paladins, c\’est notre rôle de défendre la voie du bien.

– Nous ne pouvons pas arrêter tous les gens qui se laissent gagner par l\’égoïsme et la paresse, continua Henri. Mais nous ne faisons pas « rien », poursuivit-il. Nous montrons l\’exemple et répandons la parole du Messager. Il a montré la bonne voie. C\’est aux humains de choisir librement de l\’emprunter ou non.

Jeanne resta silencieuse après ces paroles et ils achevèrent en silence leur marche vers les lieux de travail.

Henri parla avec les personnes qui avaient pu voir l\’assaillant avant qu\’il ne s\’enfuie. Sur les six personnes interrogées, quatre se montrèrent très enthousiastes à l\’idée d\’aider Henri et très vindicatives contre l\’assaillant de Roland.
Ils décrivaient eux aussi l’assassin comme un homme grand, très musclé, aux cheveux bruns foncés, à la peau bronzée et portant une grande cape de voyage sombre.
Mais deux autres des témoins déclarèrent nerveusement ne rien avoir vu et abrégèrent l\’entretien au plus vite.

– Sire, ceux qui disent n\’avoir rien vu, en vérité, ils ne veulent pas témoigner de peur de devenir aussi une cible ? demanda Jeanne sur le chemin de la sortie.

– Oui, dit Henri. Mais ce n\’est pas grave. Il y en a suffisamment qui ont surmonté leur crainte pour que nous puissions poursuivre notre travail.

– Sire, je me demande, pourquoi vous n\’avez pas utilisé sur eux vos pouvoirs pour déterminer s\’ils mentaient ? D\’ailleurs, pourquoi ne faites-vous pas cela à chaque conversation ?

– Si je le faisais, je sombrerais dans l\’inconscient avant midi.

– Cela est épuisant à ce point, sire ?

– Oui. Je fais donc bien attention au moment où je l\’utilise. La milicienne qui montait la garde aurait pu être complice de voleurs et il m\’aurait été difficile de le savoir. En revanche, il m\’est beaucoup plus facile de deviner si le maître artisan ou les témoins mentent.

– C\’est tout de même bien pratique. Quel dommage que l\’utilisation de ce pouvoir n\’ait pas valeur de preuve aux yeux des juges. Il vous suffirait d\’aller voir le patriarche des Vanelle pour lui demander s\’il a engagé un assassin et tout serait réglé.

– Lorsque cela était le cas, il y a eu des abus, répondit Henri. Certains paladins dévoyés ont menti en prétendant avoir utiliser ce pouvoir. D\’autres manipulaient les questions pour faire condamner les personnes qu\’ils voulaient. Même des paladins de bonne volonté avaient tendance à laisser échapper le vrai coupable et se contentaient d\’arrêter un pion lorsqu\’ils réalisaient leurs enquêtes uniquement de cette manière. La justice demande beaucoup d\’effort pour être obtenue, Jeanne.

– Oui sire mais… ce serait tout de même bien pratique.

– Bon, recentrons-nous sur l\’enquête. Cet assassin n\’a sans doute pas dormi dans les rues. Il doit avoir pris une chambre dans une auberge de la ville. Nous allons les visiter une par une pour voir s’il y des traces de son passage. Avec un peu de chance, il n\’a pas encore appris qu\’on était là et nous pourrons en finir dès aujourd\’hui. Sinon il aura sans doute fui la ville et il ne nous restera plus qu\’à le poursuivre. Avec nos montures, cela ne devrait pas être trop dur.

– Sire, je sais dans quelle auberge l’assassin se trouve, affirma son écuyère.

– Hein ? Comment tu pourrais le savoir ?

– Les lieutenants de la marine viennent de familles d\’officiers comme la mienne ou de branches mineures de Maisons marchandes. Ils sont habitués à un style de vie supérieur à la moyenne, que seule l\’auberge du centre-ville peut offrir. L’assassin aura demandé et reçu une avance. Vu ce que vous m\’avez dit sur ce type de personne, il aura vécu dans la misère depuis un certain temps et aura donc hâte de retrouver du confort, le conduisant dans ladite auberge du centre-ville.

– Ce ne sont que des suppositions. Je pourrais dire de mon côté qu\’il a été prudent et s\’est installé dans une petite auberge discrète des faubourgs. Ou que c\’est un type qui fait cela par plaisir du meurtre et qu\’il se fiche de la qualité de sa chambre.

– Sire, pourquoi croyez-vous qu\’on me qualifie de génie ? Parce que j\’ai fait le bonheur des instructeurs en apprenant par cœur leurs leçons ? N\’importe qui avec un peu de patience peut faire cela. Moi, je suis un génie parce que j\’ai un don pour deviner comment ont agi, agissent et vont agir les gens. Avec un minimum de connaissances, je peux facilement anticiper leurs actes. Et pour moi, il est d\’une clarté limpide que l’assassin se trouve à l\’auberge du centre-ville.

– Donc, je devrais croire que tu as raison parce que tu as un don ? demanda Henri, dubitatif.

– Oui, sire. Mais de toute manière qu\’est-ce que cela vous coûte de commencer notre visite à l\’endroit que j\’indique ? Pour l\’épée, vous aviez besoin du témoignage d\’un maître artisan. Mais là, vous n\’avez pas de méthode pour déterminer où aller en premier, non ?

– C\’est vrai, admit le paladin. Bon, commençons donc par cette auberge si tu y tiens tant, acheva-t-il en haussant les épaules.

Il était clair qu’Henri disait surtout cela pour éviter de prolonger la discussion.

Lui et son écuyère retournèrent au centre-ville. La nuit approchait et les rues étaient pleines de monde retournant chez eux après une journée de travail. Cela ralentit Henri et Jeanne qui arrivèrent devant l\’auberge en plein milieu de l\’heure du souper.

Le lieu était un ensemble de bâtiments entouré d\’un muret, complété d\’un portail grand ouvert. Une fois l\’entrée franchie, Henri et Jeanne purent voir à l\’intérieur de l\’enceinte l\’auberge à proprement parler, une écurie, un entrepôt, des lieux d\’aisances et un dernier bâtiment qui devait être le logement des servants.

Un valet d\’écurie vint proposer de prendre soin de leurs montures, ce qu\’il fit après qu\’Henri l\’eut payé, les paladins recevaient un peu d\’argent de l\’Ordre pour couvrir les frais de leur mission. Puis Henri et Jeanne entrèrent dans l\’auberge.

Ils observèrent les clients, dont la plupart prenaient leur repas. Il y avait quelques marchands de passage, un dandy passablement éméché accompagné d\’une jeune femme qui l\’était tout autant, une officière dont l\’uniforme arborait l’emblème d\’un carré de piquiers, quelques maîtres artisans venus dîner ici.
Et dans un coin de l\’auberge, se trouvait un homme aux cheveux d\’un brun sombre, à la peau bronzée par le soleil et la mer, qui portait un vieil habit de marin, ainsi qu\’une grande cape noire.

Henri se retourna vers Jeanne. Cette dernière le regardait d\’un air qui exprimait un « je vous l\’avais bien dit ».

– Oh, ça va, dit le paladin à son écuyère.

Il se dirigea vers l\’individu, suivi de près par Jeanne.

– Ça alors, un paladin en ville ! s\’exclama alors quelqu\’un d\’une voix joviale.

Henri se retourna pour voir qui avait dit cela. Il s\’agissait d\’un petit homme, qui devait approcher de la cinquantaine, au vu des quelques mèches grises qui parsemaient le noir de ses cheveux. Son visage portait la marque de quelques brûlures mineures, tout comme ses mains. Maigre et peu musclé, il était néanmoins richement habillé, de vêtements de laine teintée en bleu et de cuir de qualité. Le tout était rehaussé de quelques filaments d\’argent, élégants et discrets.

– Je m\’appelle Jacques, et j\’ai l\’honneur de diriger la guilde des artificiers, poursuivit le petit homme. C\’est un grand honneur de vous rencontrer.

– Heu, merci, dit Henri, gêné, tout en jetant un regard à l\’assassin présumé.

Ce dernier avait levé la tête de son repas en entendant l\’exclamation mais ne semblait pas avoir l\’intention de partir maintenant.

– Permettez-moi de vous présenter Amable, continua le maître de guilde en montrant l\’homme avec qui il mangeait.

Il s\’agissait d\’un gros et gras individu, revêtu de soie pourpre rehaussée d\’or, habits d\’un luxe extrême. Amable semblait peu content de cette interruption, comme en témoignait le regard courroucé qu\’il lançait au paladin.

– Il s\’agit de l\’assistant personnel de Fernand Vanelle, le patriarche de la Maison marchande des Vanelle, précisa Jacques.

– Aaah, se contenta de répondre Henri, qui se dit que le mécontentement d\’Amable n\’était pas dû qu\’à l’interruption de son repas.

– J\’ai toujours voulu rencontrer des membres de votre ordre, pour lequel j\’ai beaucoup d\’admiration, poursuivit l\’artificier. Si vous désirez venir dans ma résidence, c\’est avec un grand plaisir que je vous recevrai.

L\’assassin présumé regardait maintenant directement Henri. Son expression indiquait qu\’il réfléchissait, ce qui inquiéta le paladin.

– Merci beaucoup de cette offre, répondit-il à Jacques. Je suis désolé, mais je vais devoir vous laisser.

– Bien sûr, bien sûr. Bon appétit à vous.

– A vous aussi, dit Henri en se remettant à avancer.

L\’homme à la cape noire comprit ce qui se passait une poignée de seconde avant qu’Henri et Jeanne ne soient sur lui. C\’était trop peu pour qu\’il puisse s\’enfuir. Il arborait une mine inquiète. Sa main se rapprocha du pommeau de son épée, dont le fourreau était flambant neuf.

– Bonsoir, est-ce que cette place est libre ? demanda le paladin en montrant une chaise juste en face.

– Je préférerais être seul, dit l\’homme d\’un ton nerveux.

– En fait, je demandais juste par politesse, répondit Henri d\’un ton plus léger, en s\’asseyant. Je dois vous interroger pour une enquête, reprit-il plus sérieusement.

Le paladin avait déplacé la chaise afin d\’être positionné entre l\’homme et le reste de la salle, donc de la sortie. Jeanne elle, resta debout à côté, vigilante. L\’assassin présumé demeura silencieux.

Henri leva alors sa main droite vers lui. Il apparut dessus une douce lumière blanche La même lumière se révéla dans les yeux du paladin, masquant totalement ses pupilles.

– Où-étiez-vous il y a cinq jours après le coucher du soleil ? demanda Henri d\’une voix éthérée et froide comme la glace.

– Sur les routes, dans un relais, dit l\’homme avec un début de panique dans la voix.

– Vous mentez.

– C\’est vrai. Je vous le jure !

– Avez-vous tenté de tuer Roland, chef de la milice de la ville d\’Audelle, et assassiné David, ami et collègue du premier, il y a cinq jours de cela ?

– Non, ce n\’est pas moi !

– Vous mentez.

L\’assassin présumé se leva brutalement en dégainant son arme. Mais Henri avait anticipé le mouvement et fit de même. Son positionnement lui permit de se placer entre l\’homme et le reste des convives.

– Résister ne fera qu\’aggraver votre cas, dit Henri, sa voix toujours affectée par ses pouvoirs.

– Je n\’ai plus rien à perdre ! cria l\’homme en attaquant, visant la tête du paladin.

L\’épée d\’Henri bloqua le coup dans un mouvement vif. Puis Jeanne agrippa l\’homme par derrière, immobilisant ses bras.

– Lâche-moi ! eut-il juste le temps de crier avant que le poing ganté d\’Henri ne s’abatte sur sa tête, le faisant sombrer dans l\’inconscience.

La lumière quitta les yeux du paladin, qui eut un brusque tressaillement, faisant apparaître une grimace sur son visage. Mais il se reprit bien vite.

Tout autour d\’eux, les clients de la taverne avaient interrompu leur repas, certains pour s\’éloigner du lieu de l\’affrontement, d\’autres pour regarder l’altercation. Jacques notamment, semblait fasciné, tandis qu\’Amable affichait une mine plutôt inquiète.

– Nous avons réussi, sire ! s’exclama joyeusement Jeanne. L’assassin est arrêté, en moins d\’un jour !

– Oui, dit Henri d\’un ton las. C\’est maintenant que le plus dur commence.

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