– Donc, si je résume bien : vous nous demandez de nous rendre cette nuit dans l’entrepôts de Fernand Vanelle. Et vous pensez que là-bas, il sera possible de prendre sur le fait un criminel. Mais vous ne pouvez nous présenter aucune preuve que cela puisse bien se produire ?
– C’est exactement cela, répondit Henri. Vous comprenez vite, votre honneur.
La juge qui lui faisait face afficha une mine dubitative. C’était une vieille femme qui avait conservé un port droit et digne malgré son âge avancé. Ses cheveux blancs étaient coiffés en un chignon strict. Elle était vêtue d’une robe noire et blanche, symbole de sa fonction.
À ses côtés se tenait le capitaine de la garde. Il s’agissait de l’officier à qui le paladin et son écuyère avaient eu affaire quelques temps auparavant. Il arborait une expression semblable à celle de la vieille femme. Enfin, Jeanne se trouvait juste derrière Henri, observant silencieusement la conversation.
Il s’était passé une semaine depuis le discours de Roland. Le paladin et son écuyère l’avaient essentiellement passée en entraînements. Jeanne avait également accompagné le chef de la milice lors d’autre visites à certains des habitants de la ville, sans que cela donne beaucoup de résultats.
Mais la jeune femme avait déclaré que c’était aujourd’hui qu’aurait lieu la rencontre dans l’entrepôt, menant à la discussion actuelle.
La juge reprit la parole :
– Il aurait été préférable que vous nous communiquiez cette requête bien plus tôt, dit-elle avec un ton de reproche.
– Non, cela n’aurait pas été préférable, votre honneur, répondit Henri, très sérieux.
Ses deux interlocuteurs affichèrent une mine surprise devant cette réponse, ce qui poussa le paladin à s’expliquer :
– A Maxaberre, nous avons tenté de mener notre arrestation le plus vite possible après avoir obtenu le mandat. Cela a pourtant suffi pour qu’Aristide l’apprenne et tente de nous faire assassiner. Un des meilleurs membres de notre Ordre est mort ce jour-là.
Il baissa la tête en serrant les poings tandis que tristesse et colère apparurent sur son visage. Mais cela ne dura qu’un court instant.
– Sans vouloir manquer de respect à la Magistrature, vous n’êtes pas capable de conserver des informations secrètes, dit-il, essayant de rester respectueux malgré les émotions qui l’habitaient. Quant à la garde, eh bien…l’incident de la semaine dernière parle pour lui-même.
– Je peux accepter cette explication, répondit le capitaine, gêné par l’évocation d’Henri. Mais reste le second point : vous nous demandez de pénétrer secrètement dans une propriété privée. Nous en avons certes le droit. Mais ce n’est pas le genre de chose que l’on peut faire à la légère. Si nous en abusons, Fernand Vanelle pourra lui-même nous accuser de persécution. Or vous affirmez n’être aucunement sûr que cela servira effectivement.
– En effet, confirma Henri.
– Vous comprenez donc que nous soyons dubitatifs, enchaîna la juge.
– Je le comprends. Mais je vous demande quand même de le faire.
– Vous pensez que parce que vous êtes le héros de Maxaberre, nous allons forcément accepter cette demande ? questionna la vieille femme, d’une voix agacée.
– Je mise avant tout sur votre dévouement à la justice, votre honneur, répondit Henri. Mais si les histoires exagérées qui circulent sur moi peuvent aider, alors je prends.
La vieille femme eut une moue amusée.
– Vous n’êtes pas devenu arrogant. Je l’apprécie. Et vous avez été franc. Il vous aurait été facile de nous faire venir en assurant être sûr qu’une preuve serait trouvée.
– Les paladins ne mentent jamais, dit Henri.
– Et ils ne massacrent jamais d’innocents. Pourtant ce n’est pas ce que j’ai vu lors de la croisade jüstan, répondit la juge, sévère. Enfin…je viendrai à l’entrepôt.
Henri se tourna alors vers le capitaine de la garde.
– Je viendrai aussi, dit celui-ci. Je vous dois bien ça après ce que ces crétins vous aient attaquer. Je prendrai deux de mes sous-officiers avec moi. Eux sont totalement fiables, j’en suis certain.
Les deux ayant donné leur accord, il ne restait plus qu’à déterminer l’heure et le lieu du rendez-vous. Cela fut rapidement fait. Puis Henri et Jeanne saluèrent leurs interlocuteurs avant de prendre congé.
– Merci sire, dit l’écuyère au paladin une fois qu’ils furent sortis.
– De quoi ?
– De faire autant d’efforts pour soutenir mon plan, alors que vous ne croyez pas en son succès.
– Je ne veux pas que, quand il échouera, tu commences à te plaindre que c’est parce que je n’y ai pas mis du mien.
– Jamais je ne ferai ça, sire ! protesta-t-elle vivement.
– Je sais, mais c’est tellement facile de te faire sur-réagir, répondit Henri, taquin.
– Vous êtes censé m’entraîner, pas m’exposer à un humour douteux, se plaignit Jeanne.
– Parles-en à Richard la prochaine fois que nous le verrons, dit le paladin, toujours amusé.
– Je n’y manquerai pas, affirma l’écuyère, ce qui fit rire Henri.
Pour éviter de se fatiguer avant une mission importante, le paladin préféra se passer d’entraînement pour la journée.
Il donna à Jeanne quartier libre jusqu’à l’heure du rendez-vous. Son écuyère en profita pour se promener dans le centre de la cité. Elle n’avait pas pu visiter beaucoup de villes pendant sa formation au Krak.
De son côté, le paladin préféra rester à l’église. Il se promena dans le jardin, lut les livres sacrés et médita. Il cherchait à trouver l’apaisement avant ce moment important.
La matinée passa, puis l’après-midi. Le soir avançait doucement quand Henri et Jeanne retrouvèrent la juge et les gardes, non loin de l’entrepôt de Fernand Vanelle.
La discrétion étant importante, Henri avait retiré son habituelle armure de plaques pour en mettre une similaire à celle de Jeanne. Les gardes portaient des armures de cuir clouté tandis que la juge avait mis de simples vêtements de ville, sa tenue officielle se prêtant peu à une infiltration.
– Parfait, tout le monde est là, dit Henri, de bonne humeur. Entrons par la porte secondaire.
Ils pénétrèrent tous les six dans l’entrepôt par une petite porte située à l’arrière, cela sans aucune difficulté. La protection du bâtiment était sous la responsabilité des gardes de la ville. Leur capitaine possédait donc un double des clés.
L’entrepôt était une immense bâtisse en bois et de forme cubique. Il n’y avait que deux pièces à l’intérieur. La première était l’espace de stockage, encombré de dizaines de caisses contenant les objets en métal que produisait la ville d’Audelle. Cette pièce composait l’immense majorité du bâtiment. À cela s’ajoutait une petite salle avec une seule entrée. Elle abritait une table, quelques chaises et des armoires. C’était un petit bureau destiné à rédiger et conserver les documents relatifs aux stocks de l’entrepôt.
– C’est là qu’aura lieu la rencontre, affirma Jeanne en montrant la plus petite pièce.
Le groupe se cacha donc derrière quelques caisses situées non loin. Ils s’assirent et se mirent à attendre, silencieusement.
Une heure passa.
– Combien de temps sommes-nous supposés attendre là ? demanda dans un murmure la juge, d’une voix agacée.
– Toute la nuit, répondit Henri à voix basse.
– Fichtre, je m’en souviendrai si cela ne donne rien.
Deux heures s’écoulèrent de nouveau.
– Comment êtes-vous sûrs que ce rendez-vous aura lieu ici ? questionna le capitaine de la garde, murmurant lui aussi.
– Je préfère ne pas vous le dire, répondit poliment le paladin, toujours à voix basse.
– Cela ne fais pas très sérieux, protesta l’autre.
– Oui, en effet. Désolé.
L’homme grogna mais n’insista pas.
Une nouvelle heure passa et les portes principales s’ouvrirent. Des bruits de pas résonnèrent alors, ceux d’une personne ne cherchant pas à être discrète.
Les gardes, la juge et Jeanne affichèrent immédiatement une mine très concentrée. Henri lui, fut d’abord totalement stupéfait. Mais voyant l’expression des autres, il ne tarda pas à revenir à lui et à se concentrer sur les bruits. Jeanne, de son côté, était tellement focalisée sur la mission qu’elle n’avait pas lancé au paladin son regard signifiant « je vous l’avais bien dit ».
L’écho des pas résonna à travers la grande pièce, forçant le groupe d’infiltrés au silence. Le nouveau venu entra dans le bureau.
Une dizaine de minutes passa, puis cette fois ce fut la porte secondaire qui s’ouvrit. Des bruits de pas plus discrets se firent entendre, ceux d’une personne habituée à toujours évoluer le plus silencieusement possible. Il est probable que les six n’auraient rien entendus s’ils n’avaient pas été dans une pièce aussi silencieuse.
Ce nouvel arrivant entra dans le bureau. Une discussion ne tarda pas à se faire entendre :
– Bonsoir, merci d’être venu aussi vite.
C’était la voix d’Amable, l’assistant personnel de Fernand Vanelle. Son ton était extrêmement amical, au point d’en devenir mielleux.
– Épargnez-moi les formules de politesse et allons directement aux affaires. Je n’aime pas perdre mon temps.
Il s’agissait d’une voix de femme, menaçante et glaciale.
– Bien sûr, dit Amable, sans changer de ton. Votre cible est un ouvrier qui répond au nom de Roland. Il a monté une petite milice dont il est le chef.
– Où est le piège ? questionna froidement l’assassine.
– Heu…je vous demande pardon ? répondit l’assistant, surpris de la question.
– Pourquoi faire appel à moi pour éliminer un ouvrier, fut-il chef d’une milice ? N’importe quel soudard de bas étage aurait suffi.
Amable reprit bien vite son ton mielleux en expliquant :
– J’avais précédemment engagé un individu d’une qualité moindre. Mais il a malheureusement échoué. De plus, la cible a acquis l’assistance d’un paladin, même si ce problème-là sera aussi bientôt résolu. Enfin j’aimerais que le cas de ce Roland soit réglé au plus vite et de façon sûre. D’où le fait que je fasse appel à vous bien que vous soyez probablement… surqualifiée. Mais il n’y a aucun piège, je vous le garantis.
Ce petit discours fut suivi d’un silence. Henri en profita pour murmurer :
– Je pense qu’on a entendu ce que nous voulions. C’est peut- être le moment d’intervenir, non ?
– Non, pas maintenant, répondit la juge à voix basse. Lorsqu’elle aura accepté. Nous pourrons alors l’arrêter aussi.
Ils se turent et continuèrent donc d’attendre.
– Soit, dit l’assassine. Quel paiement ?
– Ceci en guise d’avance…
Le bruit d’une bourse tombant sur une table de bois se fit entendre.
– …et le double une fois votre travail effectué.
Il y eu un nouveau silence, cette fois bien plus court.
– Très bien, ce sera fait, dit-elle.
– Maintenant, murmura la juge vers les cinq autres.
Henri, Jeanne et les trois gardes se levèrent brusquement et se dirigèrent à pleine vitesse vers le bureau, tout en dégainant leurs armes.
L’assassine eu à peine le temps de se lever et de se retourner que la porte de la pièce était déjà bloquée. Amable lui, était resté assis, totalement stupéfait.
– Est-ce que l’on dérange ? demanda Henri.
Maintenant qu’il pouvait les voir, il nota qu’Amable portait encore de luxueux vêtements pourpre et or. Avait-il seulement d’autres types d’habits ? L’assassine, quant à elle était une petite et fine femme qui portait courts ses cheveux noirs. Ses traits étaient d’une banalité affligeante. Le paladin ne l’aurait sans doute jamais remarquée dans la rue, malgré sa fine musculature.
– Vous m’avez piégée ! S’exclama-t-elle avec rage en se tournant vers l’assistant. Vous le payerez ! Soyez-en sûr !
– C’est impossible, affirmait celui-ci de son côté, tellement stupéfait qu’il en ignorait les menaces de la femme. Vous ne pouvez pas être là. Seulement une poignée de personnes étaient au courant de cette réunion.
Henri lui donna un coup du plat de la lame sur la main.
– Aïe !
– Voilà, preuve que nous somme réels. Maintenant…
Il prit un ton plus solennel :
– …au nom de l’Assemblée de la Josaria, de la Magistrature et de l’Ordre des paladins du Messager, vous êtes tous les deux en état d’arrestation pour meurtre, tentative de meurtre et planification de meurtre. Cela fait beaucoup de « meurtre », finit-il d’un ton plus léger.
– Embarquez-les ! tonna pour sa part le capitaine de la garde à ses deux subalternes.
Cela fut fait. Ni l’assassine, ni Amable ne résistèrent. Il était clair pour tous les deux qu’ils n’auraient pas eu la moindre chance. Aussi furent-ils rapidement désarmés. Fut récupéré une épée courte, une dague et une fiole de poison sur l’assassine, tandis qu’Amable n’avait qu’un simple couteau. Puis les deux criminels furent ligotés.
– Vous rédigerez un mandat d’arrêt contre lui votre honneur ? demanda le paladin à la juge.
– Dès cette nuit, dit-elle.
Puis elle ajouta d’une voix plus douce :
– J’avais tort de douter de vous, sire. Veuillez accepter mes excuses pour cela.
– Oh, heu, je n’y suis pour rien en fait. C’est mon écuyère qui a trouvé le lieu de rendez-vous.
Cette fois, Jeanne lança à Henri un regard « je vous l’avais bien dit » auquel le paladin, bon perdant, ne répondit pas.
– Bravo à vous jeune fille, dit alors la juge. Vous êtes promise à un bel avenir.
– Merci, votre honneur, répondit l’écuyère.
Les gardes menaient les deux prisonniers vers la sortie quand Henri intervint :
– J’emmène celui-là à la milice, dit-il en désignant Amable.
– Et pourquoi ? répondit le capitaine de la garde, offensé.
– Je suis désolé mais je préfère ne prendre aucun risque. Je ne peux pas être sûr que certains de vos hommes ne sont pas toujours à son service ou qu’ils refuseraient tous de se laisser corrompre.
L’homme poussa un profond soupir de rage et d’exaspération. Il semblait hésiter.
– Faites-nous confiance, je vous prie, insista le paladin. Cela a bien marché jusque-là.
– Très bien, dit finalement le capitaine. Il est à vous.
Henri prit par l’épaule Amable, dont le visage trahissait toujours une profonde stupéfaction et le tourna dans la direction du quartier général de la milice.
– Tu sais où habite Roland ? demanda le paladin à son écuyère.
– Oui, sire.
– Parfait. Alors, va le trouver, explique-lui ce qui s’est passé et demande-lui de nous rejoindre au plus vite.
La jeune femme hocha la tête et les deux se séparèrent. Silencieusement, Henri se mit en marche, agrippant toujours Amable par l’épaule pour le faire avancer.
La nuit était tombée sur la ville depuis longtemps et les rues étaient calmes. Le trajet du paladin se fit sans histoire et ils se présenta bientôt devant les miliciens gardant l’entrée de leur quartier général. Les sentinelles étaient stupéfaites de voir Henri accompagné d’un Amable ligoté et toujours ébahi.
– Mettez-le dans une geôle puis enlevez-lui ses attaches, ordonna le paladin aux miliciens.
Ces derniers s’exécutèrent aussitôt. Henri lui, resta à l’entrée pour attendre Roland et Jeanne.
Une demi-heure passa. Puis les deux jeunes gens arrivèrent à leur tour.
– Alors, vous avez arrêté Amable ? C’est vrai ? demanda le chef de la milice, stupéfait par la nouvelle.
– Oui, confirma Henri, masquant mal son propre étonnement. Il est dans une de tes cellules.
– J’avais vraiment espéré que Fernand se montre lui-même, pesta Jeanne.
– Cela est déjà beaucoup, déclara Henri. Maintenant qu’Amable est officiellement arrêté, nous pourrons faire pression sur lui et le forcer à nous donner des preuves contre Fernand. Ou profiter du procès qui aura lieu pour enquêter dans des lieux qui seraient autrement inaccessibles.
– Donc, on pourrait vraiment gagner cette fois ? demanda Roland, plein d’espoir.
– Tant qu’on a Amable, oui, répondit le paladin. Il ne faut absolument pas qu’il soit libéré ou qu’il s’échappe. C’est pour ça que dès demain, nous l’emmènerons au Grand Krak pour qu’il y soit emprisonné. Même Fernand n’aura alors plus les moyens de l’atteindre.
– Est-ce que je peux faire quoi que ce soit pour vous aider ?
– Oui. Déjà il faudrait trouver une monture pour transporter Amable. Ensuite, il faut s’assurer de sa surveillance pour la nuit en mobilisant le plus de monde possible.
– Je vais réveiller quelques personnes en qui j’ai toute confiance et trouver une monture.
– Parfait, approuva le paladin.
– Et qu’allez-vous faire tous les deux ?
– Dormir, déclara Henri.
Attendre dans l’entrepôt qu’il se passe quelque chose avait été plutôt fatiguant.
– Demain, une longue route nous attend, ajouta-t-il. Bonne chance, Roland.
Et c’est sur ces paroles qu’Henri laissa le jeune homme, un peu surpris de la réponse du paladin. Jeanne ne tarda pas à suivre et les deux rentrèrent rapidement à l’église.
Ils cheminèrent en silence. Cela était dû en partie à la fatigue mais aussi au fait qu’ils étaient perdus dans leurs pensées. Les conséquences des événements de cette nuit ne manquaient pas de les faire réfléchir.
De retour à l’église, Jeanne aida le paladin à retirer son armure et ils allèrent se coucher.
Henri rêva cette nuit.
Il se trouvait sur une route plongée dans le brouillard, en train de chevaucher sa monture. L’animal était un puissant et imposant étalon de combat. En plus de son équipement habituel, Henri avait une lance de guerre et un écu de bois accroché au harnachement de sa monture. Son armure était tachée de sang.
Soudain le vent se leva, dispersant les brumes. Une cité apparut à l’horizon. Il s’agissait d’une grande ville construite le long de la mer, au port particulièrement vaste.
Des milliers de petites chaumières en torchis entouraient un magnifique centre-ville composé de grandes maisons de couleur rouge clair. Le tout était surplombé par un château de la même couleur, caractéristique de la pierre utilisée dans la région.
Mais le point le plus remarquable était les gigantesques chantiers navals, dans lequel des dizaines de navires étaient en construction.
Il s’agissait de la ville de Maxaberre.
Henri avait été troublé après le violent combat contre Albine et ses soldats. Mais il avait cheminé depuis. La tristesse qu’il avait ressentie s’étaient muées en une féroce détermination.
Sans un mot, il avança vers la cité. C’était le petit matin et les rues étaient quasiment désertes. Peu de personnes croisaient le paladin et celles qui le faisaient s’écartaient rapidement de cet imposant guerrier à l’armure tachée de sang.
Henri parvint aux imposants chantiers navals de la ville. Non loin de là, on pouvait entendre le bruit d’une personne qui parlait à voix haute, ses déclarations étant suivies de nombreux applaudissements. Le paladin avança dans cette direction.
Il arriva devant une grande place qui donnait une magnifique vue sur l’intérieur des chantiers navals. De nombreuses personnes étaient présentes. Au centre, assis sur des bancs, ce trouvait un groupe de notables, marchands mineurs et autres gens importants. Leur statut se voyait aux luxueux vêtements et bijoux qu’ils portaient.
Devant eux se trouvait une estrade où quelqu’un prononçait un discours. Les insignes qu’il arborait l’identifiait comme le maire de la ville.
Et tout autour, une quarantaine d’hommes en armes s’occupaient de la sécurité. La moitié d’entre eux était des gardes de la ville, repérables à l’écusson bleu sur leur armure. L’autre moitié était des hommes au service de la maison marchande des Aristide.
– …au labeur et au talent des habitants de Maxaberre que nous devons la réalisation de ce projet, qui nous permettra d’enfin vaincre nos vils ennemis de l’Elfreda, disait avec énergie l’homme sur l’estrade.
Une salve d’applaudissement lui répondait tandis qu’Henri atteignait le cordon des gardes.
– Cette cérémonie est interdite aux spectateurs, dit l’un d’eux en bloquant le passage.
– Je ne suis pas un spectateur. Je suis un paladin en mission. Hors de mon chemin !
Dans la voix d’Henri, on sentait la rage dût à la mort de son ami et toute la détermination de celui qui allait pouvoir enfin rendre justice.
Cela seul suffit à faire reculer les gardes.
– Mais ce projet n’aurait pu être possible sans les fonds apportés par un de nos plus méritants citoyens, poursuivait le maire. Vous le connaissez tous, c’est l’homme dont nous pouvons dire que la famille a construit cette ville. Mes amis, s’il vous plaît, des hourras pour Gaston Aristide !
Un fringant et bel homme entre deux âge se leva au premier rang de la foule tandis que les spectateurs, et le maire, l’applaudissaient vivement. Il monta à son tour sur l’estrade, arborant un profond air de contentement.
Pendant ce temps, Henri avait mis pied à terre et avançait à travers la place. Certaines personnes se retournaient sur son passage. Elles étaient surprises et choquées de voir cet individu parmi eux. Mais il dégageait du paladin une telle aura de détermination que personne n’osa remettre en cause sa présence.
Le maire avait de son côté abandonné sa place d’orateur au patriarche marchand. Ce dernier ne tarda pas à prendre la parole :
– Merci, merci, commença-t-il. Je…
– Silence ! tonna alors Henri, en arrivant juste devant l’estrade.
À cet ordre, tout bruit venant d’un être humain cessa brusquement. Pendant une seconde, on put entendre clairement le cri des mouettes.
– Gaston Aristide, commença le paladin en pointant un doigt accusateur vers l’homme. Au nom de l’Assemblée de la Josaria, de la Magistrature et de l’Ordre des paladins du Messager, vous êtes en état d’arrestation pour les nombreux crimes que vous avez commis, parmi lesquels : mensonge envers des serviteurs de l’Assemblée, corruption, chantage, enlèvement, planification de meurtre, tentative de meurtre et meurtre.
Le maire et les spectateurs étaient choqués. Le patriarche marchand, lui, afficha pendant un court instant un visage éberlué. Mais il se remit bien vite :
– Mes amis, dit-il d’une voix qu’il tentait de rendre assurée. Revoilà les paladins qui ont la folie des grandeurs. Ils se mettent de nouveau à persécuter des innocents au nom de leur quête de soi-disant justice. Cet homme est manifestement fou. Arrêtez-le sur le champ ! cria-t-il aux gardes.
Une vingtaine d’arbalètes se pointèrent sur le paladin tandis qu’une dizaine d’hommes en armes s’approchèrent de lui.
Nullement troublé par la menace sur sa personne, Henri fixa Gaston dans les yeux.
– Vous pensez vraiment que cela va marcher n’est-ce pas ? Que le pouvoir de votre argent va vous permettre de m’écarter aussi facilement ? D’enfouir sous le tapis tous les crimes que vous avez commis ? De vous laisser impuni malgré vos méfaits ? Ce ne sera pas le cas.
L’aplomb du paladin fit hésiter les gardes, qui cessèrent d’avancer, hésitant quant à la conduite à tenir. Ce comportement mit en colère le patriarche.
– Votre ordre a été purgé et ses privilèges révoqués ! cria-t-il à Henri. Vous n’avez pas l’autorité pour m’arrêter, paladin !
– Si, je l’ai.
Henri leva la main gauche et en déplia un parchemin qui s’y trouvait, l’exposant à la vue des gardes.
– C’est le sceau de la Magistrature, dit un officier. Sur un mandat d’arrêt contre Gaston Aristide.
Un murmure parcourut la foule tandis que les gardes cessaient de pointer leurs armes sur Henri. Le maire commença à s’écarter doucement du patriarche. Ce dernier était désormais totalement paniqué :
– C’est forcément un faux ! Cet homme doit être un agent au service de l’Elfreda ! Réfléchissez, c’est à eux que profitera le plus mon arrestation !
Voyant que cela ne créait aucune réaction parmi la foule, il se mit à crier en direction de ses gardes :
– Je suis votre employeur ! C’est à moi que vous devez votre salaire ! Je vous ordonne de tuer ce paladin. Maintenant !
C’était désormais les gardes d’Aristide qui hésitaient. Certains firent des gestes pour pointer de nouveaux leurs armes sur le paladin, mais ils s’arrêtèrent à mi-mouvement.
– Vous croyez que l’humanité est tombée aussi bas ? demanda Henri. Que des hommes et femmes seraient prêts à violer en public la loi et les idéaux du Messager ? À commettre un meurtre aux yeux de tous, simplement parce que vous les payez ?
Un silence lui répondit.
– Non, affirma Henri. Il y a encore du bien dans ce monde.
À cette dernière phrase, les gardes encore hésitants détournèrent définitivement leurs armes du paladin et se dirigèrent d’un air résolu vers Gaston Aristide. Ce dernier passa de la panique à l’abattement et se laissa emprisonner sans résistance.
Sans un mot de plus, le paladin se détourna du maire au visage gêné et de la foule stupéfaite, pour suivre les gardes et le criminel qu’ils emmenaient.
Lorsqu’il se réveilla le matin, Henri se sentit empli de nombreux sentiments : regret, honte, satisfaction mais aussi…espoir.
Le plan de Jeanne avait réussi malgré tous ses doutes. Peux être qu’ils allaient vraiment reproduire le succès de Maxaberre après tout. Peut-être que Léon ne serait pas mort en vain.
C’est avec cette pensée, et une large bonne humeur, qu’Henri aborda la journée.
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