Après s’être levé, Henri passa quelques minutes à méditer. Richard lui avait bien montré qu’il faisait face à des difficultés. Il était désormais décidé à aller au bout des souvenirs auxquels son esprit le confrontait. Le phénomène ne tarda pas à se reproduire.

Il se trouvait dans une grande salle, qui pouvait facilement contenir une centaine de personnes. Les murs étaient faits de la même pierre que ceux du Grand Krak et ils étaient gravés de décorations formant des ailes d’ange.

Une quinzaine d’individu se trouvait face à une estrade de pierre. Composés à part égale d’hommes et de femmes, le groupe était plutôt jeune, la vingtaine tout juste dépassée, et était habillé de simples tuniques de chanvre. Mais leur musculation les désignait comme des combattants d’élite. Au premier rang de ce groupe se trouvait Henri.

Et en face de cette petite foule, sur l’estrade, se tenait Léon.

– Mes frères et sœur, débuta ce dernier. Tout d’abord, merci d’être venus m’écouter. Je vous promets que mon discours ne sera pas aussi long que ceux de père Thomas.

Cela déclencha quelques rires et sourires dans la foule.

– Bien. Passons aux choses sérieuses. Comme vous l’avez remarqué lorsque vous étiez écuyer, notre Ordre n’affronte de nos jours plus que des brigands ainsi que, beaucoup plus rarement, des démonistes et démons. C’est certes une tâche importante. Mais il y a un adversaire auquel nous ne faisons pas face. Des entités qui pourtant commettent de nombreux méfaits. Qui sont responsables de milliers de vie brisées ou de morts. Je parle bien sûr des Maisons marchandes. Ou plutôt, des pâles copies corrompues qu’elles sont devenues.

– Donc, tu voudrais t’attaquer aux organisations les plus puissantes de la Josaria ? demanda Henri.

– Exactement, déclara Léon. Notre Ordre s’est remis de la Purge. Il est plus que temps que nous cessions de penser uniquement à notre survie pour nous consacrer à tous nos devoirs.

– Tu as conscience que c’est juste une trop grosse cible pour nous ?

– Henri tu n’es pas censé être mon meilleur ami ? questionna Léon avec humour.

– Si. Mais cela ne m’empêche pas de te critiquer quand tu veux faire une bêtise.

Cela fit rire Léon.

– Soit, dit-il. Eh bien, moi je pense que nous avons les moyens de nous attaquer aux Maisons marchandes et que nous pouvons faire arrêter des patriarches ou des matriarches. Leur puissance leur est montée à la tête et ils sont devenus arrogants. Ils ne s’attendront pas à ce que nous leur tenions tête et quand nous le ferons, ils ne sauront pas comment réagir.

– Et après ? demanda Henri. Nous en arrêtons un. Puis ses enfants prendront le relais. Et pendant ce temps il y en aura vingt autres qui continueront de poursuivre leurs crimes. Nous ne sommes juste pas assez nombreux pour influer le cours des choses.

– Mais si on en arrête ne serait-ce qu’un seul, répondit Léon, passionné. Alors nous montrerons à toute la Josaria qu’ils ne sont pas invincibles. Nous aurons un impact bien plus fort que celui d’avoir puni une personne pour ses crimes. Car nous deviendrons une source d’inspiration. D’autres personnes suivront alors notre exemple et se dresseront contre la corruption qui gangrène le pays. Nous devons juste montrer que cela est possible.

– Tu es trop optimiste, jugea Henri. Depuis la fin de la Croisade Justän, le peuple ne croit plus dans les idéaux du Messager et préfère ceux des familles marchandes. Même si nous obtenons un succès contre ces dernières, cela sera noyé sous les mensonges.

– Et moi je pense que tu es trop pessimiste. Tous les mensonges du monde ne peuvent totalement camoufler les crimes qui sont commis. Certaines personnes ont conscience du degré de malveillance qu’on atteint les Maisons Marchandes. Si nous leur donnons de l’espoir, elles se dresseront pour un monde meilleur.

Henri se contenta de hausser les épaules. Léon reprit donc son discours :

– J’ai demandé au hiérarque l’autorisation d’entamer une enquête sur Gaston Aristide. Étant donné la nature risquée de cette mission, Richard m’a dit qu’il ne donnerait son accord que si nous étions au moins quatre. Il ne veut que des volontaires. J’ai donc besoin d’au moins trois autres personnes qui accepteraient de me rejoindre.

Un léger murmure parcourut la salle après cette annonce. Mais il fut rapidement interrompu lorsqu’une personne s’avança à travers la foule en annonçant :

– Nous ne pouvons laisser à personne un sentiment d’impunité, quelle que soit leur puissance. Je suis volontaire.

– Merci, répondit Léon, souriant. Tu t’appelles Georgine, c’est cela ?

L’intéressée hocha la tête. Mais il n’y eut pas beaucoup l’occasion de s’appesantir là-dessus car une autre personne avait pris la parole :

– Je suis volontaire également. Cela fait longtemps que j’attends de pouvoir rendre la monnaie de leurs pièces à ces patriarches et matriarches.

– Merci, répéta Léon. Hum, tu m’excuseras mais je ne me rappelle pas de ton nom.

– Marie.

– Bien. Il ne manque donc qu’une seule personne.

Seul le silence répondit à Léon.

– Il n’y a pas d’autre volontaires ? demanda celui-ci, surpris. Allons les amis, le pays est gangrené par les crimes des Maisons marchandes. Elles font bien plus de mal que les simples bandits et la moitié des invocations de démons leur sont reliées. Nous devons faire quelque chose !

Mais personne d’autre ne se porta volontaire. Assez désespéré, Léon se tourna vers son ami :

– Henri, s’il te plaît…demanda-t-il.

L’intéressé soupira.

– D’accord, Léon. Mais je le fais parce que tu es mon ami, pas parce que je pense réellement que ton idée va marcher.

C’est sur ces paroles que le souvenir prit fin.

Sans un mot Henri se leva et quitta sa cellule. Il parcourut les froids corridors de la forteresse pour se diriger vers un terrain à l’écart. Le cimetière du Grand Krak.

Il ne mit pas longtemps à trouver la tombe de Léon. Elle était constituée d’une simple pierre blanche sur laquelle était gravés le nom, les dates de naissance et de mort du défunt. Ainsi qu’une épitaphe : « Que le souvenir de ceux tombés contre le mal nous pousse à toujours plus de vaillance. ».
C’était Georgine qui l’avait choisi. Aucun des deux autres paladins présents à Maxaberre n’avait été capable d’en proposer une. Maintenant, cela faisait culpabiliser Henri : il avait été le plus proche ami du défunt, il aurait dû trouver quelque chose à dire pour honorer son confrère.

Et ce n’était pas le seul reproche que se faisait le paladin :

– Je suis désolé Léon, dit-il à la tombe. J’ai essayé de réaliser ta vision. De devenir le « héros de Maxaberre ». Mais à la fin, ça n’a servi à rien. Tout cela est tellement vain…

Puis il resta silencieux à contempler la tombe, réfléchissant à ce qui aurait pu advenir si les choses s’étaient passées différemment.

– Moi aussi il me manque, dit une voix dans son dos.

Henri se retourna et aperçut Marie, qui avançait tranquillement dans sa direction. Comme lui, elle ne portait que de simples vêtements de chanvre, en plus de son pendentif.

– Ce n’est pas simplement qu’il me manque, répondit le paladin. C’est que c’est lui qui aurait dû être le héros de Maxaberre. C’était son idée. Il aurait bien mieux réussi à utiliser ce succès pour rendre le monde meilleur.

– Le monde n’est pas juste, Henri, déclara-t-elle. C’est pour cela que notre Ordre existe. Et en attendant qu’on crée un paradis, il faut faire avec ce qu’on a.

– « Qu’on crée un paradis… », répéta-t-il. Dis-moi Marie, qu’est-ce qui te donne la force de continuer à y croire ?

– Tu le sais très bien, Henri.

Son ton était surpris et agacé. Elle saisit de sa main le petit morceau de marbre rouge taillé et le mit face au visage du paladin en ajoutant :

– Ma famille, mes amis, mon quartier…tous massacrés par des brutes aux services d’une Maison Marchande. Juste pour avoir cessé de travailler dans ses maudites carrières de marbre. Personne n’a puni les coupables. Alors c’est moi qui le ferai.

Dans sa voix on sentait la rage que faisaient monter en elle ces souvenirs mais, et bien plus encore, la détermination à lutter pour que de tels événements ne se produisent plus jamais.

– Mais tu ne peux pas punir à toi seul tous les criminels de la terre, Marie. Ni de la Josaria. Ni même de ta ville natale.

– Je sais. Mais cela en fera toujours plus que si je ne faisais rien. Cela me suffit.

– Toi aussi, tu aurais fait une bien meilleure héroïne de Maxaberre, dit Henri. Avec ton histoire tragique et ta détermination inébranlable.

– Mais moi je me suis fait rosser par une demi-douzaine de mercenaires, tandis que toi et Georgine sauviez la situation. Et tu as réussi à battre leur cheffe sans devoir t’évanouir juste après.

– J’ai juste eu la chance d’être né doué à l’épée. Cela ne fait pas de moi un héros.

– Écoute Henri, te voir t’apitoyer sur toi-même m’attriste beaucoup et je souhaiterais que tu ailles mieux. Sincèrement. Mais je n’ai jamais été très douée pour réconforter les gens. Et surtout, je ne suis pas venue te voir pour ça.

– Autant en finir alors, déclara le paladin. Mais allons dans un autre endroit s’il-te-plaît. Avoir cette discussion juste à côté de la tombe de Léon ne serait pas respectueux envers lui.

Elle acquiesça et ils se déplacèrent. Trouver un endroit désert ne fut pas difficile : même si les effectifs des paladins allaient croissant, ils étaient loin d’être aussi nombreux qu’avant la croisade Jüstan.

Aussi se rendirent-ils dans une petite salle vide qui devait être autrefois un dépôt. Marie se tint face à Henri et croisa les bras, attendant que ce dernier parle en premier. Ce qu’il fit :

– J’ai décidé de mettre fin à notre relation après que tu m’aies proposé d’avoir notre premier enfant.

– Pour…pour ça ? s’exclama Marie.

Plusieurs émotions se lisaient sur son visage. De la surprise. De la colère. De la déception. Beaucoup de déception.

– Tu semblais tellement y tenir…ajouta Henri d’un ton pitoyable. T’annoncer que je ne partageais pas ce souhait t’aurait causé beaucoup de tristesse et de souffrance. Or tu sais que, depuis le rituel, je suis capable de ressentir les émotions des gens autour de moi. Éprouver tes sentiments était une douleur que je ne voulais pas subir.

– Donc tu as pris peur quand je t’ai dit vouloir un enfant et tu t’es enfui pour ne pas avoir à en discuter avec moi, commenta-t-elle, éberluée. Henri, c’est tellement idiot, poursuivit-elle, accusatrice. Et banal ! Nous sommes des paladins… Ce genre d’histoire ne devrait pas nous arriver, bon sang !

– Nous restons de simples êtres humains, répondit-il. Notre dévotion ne nous dispense pas de subir les mêmes problèmes que nos semblables, aussi stupides puissent-ils être.

– Je suppose qu’il est en effet mieux que ton défaut à toi soit d’être lâche dans les moments difficiles d’une vie de couple plutôt que d’être un fanatique sanguinaire qui massacre tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, dit-elle. Doux Messager, je pensais que c’était quelque chose de grave, moi… J’aurais juste dû aller te chercher et te forcer à me parler. Nous n’aurions pas perdu un an pour rien.

Henri la regarda d’un air étonné. Cela fit soupirer Marie.

– Tu t’attendais à ce que je me mette en colère ? demanda-t-elle. Que je te maudisse et te rejette pour avoir agi à ce point comme un crétin ?

– C’était une des réactions que j’envisageais, admit-il.

– Tu m’as fait du mal, cela est sûr. Mais tu t’es fait encore plus mal. Même pour moi, ça crève les yeux. Partir un an dans la pire région de ce maudit pays tout seul, désolée pour Pierre mais il ne compte pas, il faut se sentir sacrément coupable pour faire ça.

– Non, protesta-t-il vivement. Je ne faisais pas ça pour me punir. Je le faisais pour rester éloigné de toi.

– Je pense que tu l’as fait pour les deux à la fois.

Henri ouvrit la bouche pour répliquer. Mais il ne dit rien. Il ne trouvait rien à répondre.

– Je te pardonne, lui dit Marie. Parce que tu as conscience d’avoir mal agi. Parce que je peux comprendre que tu as été lâche en ces temps difficiles. Mais surtout, je te pardonne parce que j’aimerais de nouveau t’avoir auprès de moi. C’est égoïste et faible. Mais je n’ai pas envie qu’une histoire aussi stupide gâche notre relation.

– Marie…je…je ne le mérite pas, dit-il.

– Oh, bon sang Henri, reprit-elle. Si tu pouvais m’épargner d’autres banalités de ce genre je t’en serais reconnaissante. Si tu veux vraiment rompre avec moi, trouve une raison valable s’il te plaît. Ce n’est pas ça qui manque : mon caractère, ta déprime, le fait que tu veuilles uniquement te consacrer à ton devoir, que tu préfères une autre femme… Mais « je ne le mérite pas », non !

La colère de la femme arracha un sourire à Henri.

– Merci, lui dit-il. Je suis désolé, ajouta-t-il.

Elle le prit dans ses bras et il répondit à son étreinte.

Ils restèrent ainsi enlacés quelques secondes, partageant un rare moment de pur bonheur.

Mais, sachant que faire durer trop longtemps cet instant l’aurait gâché, ils finirent par se séparer.

– J’ai encore des choses à finir à Narli, débuta Marie. Je crois qu’il en va de même pour toi à Audelle.

– C’est le cas, confirma Henri d’une voix triste.

– Lorsqu’on en aura fini, nous pourrons demander à Richard de partir de nouveau en mission ensemble.

Le paladin hocha la tête.

– Essaye de ne rien faire de stupide cette fois, ajouta Marie avec une pointe de reproche. Ce serait vraiment trop bête si tu mourais maintenant.

Elle soupira.

– Je ne vais sans doute pas pouvoir me retenir de demander à Georgine de veiller sur toi. Cela fait tellement bête…

Henri partit d’un léger rire.

– Oh, ça va monsieur le « meilleur épéiste de l’Ordre » qui s’est fait battre comme un débutant, gronda Marie.

– Je t’aime, lui répondit-il. Mais je dois aller me préparer pour ma mission. Prends soin de toi.

– Je t’aime aussi, tête de pioche. Sois prudent.

Sur ces paroles, ils se séparèrent.

Henri se sentait de nouveau de bonne humeur. Pour la première fois depuis longtemps, il semblait que le poids qu’il supportait avait diminué.

Il se mit à chercher Jeanne, pour lui annoncer les dernières nouvelles sur leur mission. Ce faisant, il croisa Pierre, qui semblait être à sa recherche.

– Bonjour, sire. Permettez-moi de vous présenter des excuses pour avoir dévoilé le contenu de nos conversations privées. Cela n’était pas respectueux envers vous.

La voix de l’assistant était toujours beaucoup plus plate que celle d’un humain ordinaire. Mais on pouvait quand même sentir qu’il était sincère dans ses paroles.

– Ce n’est pas grave, répondit Henri. Lorsque le hiérarque ordonne, il nous faut obéir.

– Je suis heureux que vous le preniez ainsi, sire.

Son ton placide était maintenant totalement revenu.

– Dis-moi Pierre, qu’est-ce qui te donne la détermination de continuer dans ce travail ? demanda le paladin.

– Je crains de ne pas comprendre votre question, sire.

– Eh…qu’est-ce qui te motive à effectuer ton devoir en tant que serviteur de l’Ordre ?

– J’ai signé un contrat. Je dois le respecter, sire.

– Ah…et pourquoi t’es-tu engagé ?

– Je cherchais un travail honnête après que l’armée m’ait démobilisé, sire. Devenir serviteur de l’Ordre correspondait bien à cela.

– Et…c’est tout ?

– Oui, sire.

– Bon, merci Pierre, prends soin de toi.

– C’est un plaisir de vous aider, sire. Bonne journée à vous.

Le paladin reprit sa recherche et finit par trouver son écuyère. Elle était en compagnie de Georgine et discutait avec cette dernière.

– Bonjour Henri, dit la paladine, en le voyant s’approcher. Richard m’a prévenu que j’étais affectée à ta mission et ton écuyère a eu l’amabilité de m’informer des derniers événements.

– Ah, bien. Cela va nous faire gagner du temps. Pour le coup, serais-tu prête à partir dans la journée ?

– Oui.

– Parfait. Jeanne, je vais avoir besoin de toi pour me préparer.

La jeune femme hocha la tête et suivit le paladin. Ils se dirigèrent d’abord vers les écuries.

– Je suis heureuse de voir que nous n’abandonnons pas, sire, déclara l’écuyère.

– Oui. Mais j’espère que nous arriverons à réellement faire une différence. Cela va être bien plus difficile maintenant que Fernand a eu plusieurs jours pour se préparer.

– Nous y arriverons, sire, affirma-t-elle.

– Dis-moi, Jeanne, qu’est-ce qui te motive à suivre la voie des paladins ?

– Je veux avoir un impact sur le monde, répondit-elle sans hésiter. Qu’il soit différent après mon passage et que je puisse être fière de cette différence.

– Hum, c’est ambitieux.

– Je sais, sire, mais exiger moins de moi serait du gâchis. Puis-je vous demander pourquoi cette question ?

– Désolé, Jeanne, mais non. C’est assez personnel.

– A votre guise, sire.

Ils arrivèrent à leur destination. Le maître d’écurie confia au paladin un nouveau cheval, mais non sans quelques remontrances :

– Essaye de ne pas te faire voler celui-ci. Je te rappelle qu’il faut plusieurs années pour en dresser un. Et je ne te parle pas du coût en eau, nourriture et matériel.

Étant en faute, Henri résista à l’envie de dire un bon mot et se contenta d’acquiescer poliment en promettant de faire plus attention.

Il leur fallut ensuite rassembler des provisions et du matériel pour le voyage, puis s’équiper. En se rendant à la forge pour récupérer son armure, Henri eut droit à de nouvelles remarques de la part de la forgeronne :

– Comment as-tu pu donc te prendre trois coups de miséricorde ? demanda-t-elle. Je me souviens que personne ne pouvait te tenir tête lors des leçons à l’épée.

– Eh bien, mon adversaire s’est approché de moi, a frappé et a touché, répondit Henri, ne résistant pas à l’envie de plaisanter.

– Cela serait plus drôle si tu n’avais pas failli mourir.

Henri se résigna à promettre une fois de plus de faire plus attention, avant de poursuivre ses préparatifs.

Quand ces derniers furent achevés, Jeanne et lui partirent retrouver Georgine et Myriam à l’entrée du Krak. Puis ils se mirent en route vers Audelle.

– Salut Myriam, dit Jeanne à l’autre écuyère. Comment vas-tu ?

Elles avaient fait leur noviciat ensemble et étaient devenues amies à l’occasion. Les deux écuyères se mirent à discuter, pendant que leurs aînés faisaient de même :

– Tu as meilleure mine que quand je t’ai vu il y a quelques semaines, commenta Georgine. Cela fait plaisir à voir.

– Oh…eh, merci.

La paladine sourit poliment et eut le tact de ne pas faire remarquer qu’elle avait eu raison lors de leur conversation d’alors.

– Dis, Georgine, reprit le paladin. Qu’est-ce qui te permet de rester autant forte dans ta foi malgré les épreuves que nous impose ce monde ?

– Rien, Henri, répondit-elle. Ma foi se suffit à elle-même.

– Houa…réagit-il. Et comment se fait-il qu’elle soit si forte ?

– Honnêtement, je pense que grandir au Krak parmi une famille de paladins m’a beaucoup aidé. J’ai pu voir ce que donnaient les idéaux du Messager quand ils étaient bien appliqués. À quel point ils pouvaient être source de bonheur et d’harmonie. Cela donne le désir de les voir se répandre sur le monde entier. Même si je sais que je ne verrai jamais cela dans cette vie.

Comme Richard, Georgine était originaire d’une famille de paladins. Mais contrairement à lui, elle avait pu passer la majorité de son enfance dans un Ordre débarrassé de la corruption.

– Mais je sais qu’il est beaucoup plus facile pour moi d’avoir la foi du fait de ma naissance, ajouta-t-elle. C’est pour cela que je suis toujours très admirative des paladins qui arrivent à la trouver bien que leur famille n’ait rien à voir avec l’Ordre. Comme pour toi et Marie.

Henri accueillit le compliment avec un sourire de remerciement. Mais il n’avait néanmoins pas fini avec ces questions :

– Mais comment supportes-tu le fait qu’une part de plus en plus importante de la population se soit détournée des idéaux du Messager pour se laisser aller à l’égoïsme et la cupidité ? Au fait que nous sommes en train de perdre ?

– C’est quand les heures sont les plus noires qu’on apprécie le plus la lumière, répondit-t-elle. Les temps ne nous sont en effet pas favorables. Dans ce genre de période, il nous faut revoir nos ambitions à la baisse et faire en sorte que nos idéaux survivent pour prospérer lors de périodes plus favorables. C’est la lourde tâche qu’a endossée Richard après la purge : il n’avait aucun espoir de redonner à l’Ordre sa splendeur passée. Mais cela ne l’a pas découragé. Et aujourd’hui, nous sommes dans une situation bien meilleure. Grâce à lui.

Elle lança un regard vers les deux écuyères, juste derrière eux. Jeanne était en train de parler avec enthousiasme tandis que Myriam écoutait attentivement. Georgine se tourna de nouveau vers Henri en ajoutant :

– Après nos actions à Maxaberre, l’Ordre bénéficie de nouveau d’une bonne réputation. Cela a poussé toute cette nouvelle génération en son sein. Le vent est en train de tourner. Mais ça n’aurait pas été possible si nous avions abandonné alors que tout semblait contre nous.

Henri affichait un visage de plus en plus honteux au fur et à mesure du discours de Georgine. Mais ce qu’il ressentait ne le découragea pas de la questionner de nouveau :

– Et le fait que tant de gens pensent que nos idéaux sont archaïques et stupides, cela ne te fait rien ?

– Je ne laisserai pas d’autres personnes m’imposer leur manière de penser, répondit-t-elle. Quant à leurs arguments, ils ne me convainquent pas.

Henri cessa là la conversation. Il avait questionné quatre personnes depuis sa discussion avec Richard et ne se sentait pas plus avancé. Ironiquement, la réponse qui l’aidait le plus était celle de Pierre : il devait continuer parce qu’il s’était engagé le faire. Revenir là-dessus reviendrait à trahir la confiance de personnes qu’il respectait et appréciait. Il n’était peut-être pas un héros. Mais il n’était pas non plus un parjure.

Néanmoins, Henri avait bien conscience que cette conviction ne lui donnerait pas autant de force que l’amour de Richard pour l’Ordre, le désir de justice de Marie, la quête de gloire de Jeanne ou la foi de Georgine.

Mais n’ayant rien d’autre, il devrait s’en contenter. Et espérer que cela suffise.

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