– De quelles forces disposons-nous ? demanda Henri.
– Quatre cents miliciens et trente gardes, lui répondit Roland.
– Et combien d’ennemis ont été aperçus ? enchaîna le paladin.
– Deux cents fantassins et une trentaine de cavaliers, lui dit Jeanne. Mais ce n’est que la partie visible, sire.
Ils se trouvaient dans la salle des cartes, accompagnés de Roland, Georgine, Myriam et du capitaine de la garde.
– La partie visible ? répéta Henri. C’est-à-dire ?
– Selon toute vraisemblance, le but de cet assaut est de libérer Amable. Nos adversaires auront donc exposé le gros de leurs forces, qu’ils vont lancer dans une attaque de diversion. Pendant ce temps, un groupe plus réduit restera caché dans les collines. Une fois les combats engagés, cette autre force foncera libérer Amable pendant que le reste de leurs troupes occupera nos défenses.
– Cela fait sens, admit le paladin. Tu penses que nous pouvons gagner ?
– Honnêtement, sire, je ne sais pas.
Loin de la rendre triste, cette pensée semblait plutôt la ravir au plus haut point.
– Étant donné le temps dont a disposé Fernand pour recruter des troupes et les besoins qu’il estimait avoir, je pense que le groupe caché sera composé de cinquante mercenaires aguerris. Cela fait quasiment trois cents adversaires. La plupart seront des petites brutes lâches et indisciplinées. Mais d’après ce que nous a dit Roland, il y a parmi eux un noyau dur de vrais soldats, en plus des mercenaires. Or les miliciens et les gardes ne sont pas de très bons combattants, poursuivit-elle. Mais ils sont plus nombreux et ont l’avantage défensif. Le résultat donne un rapport de force plutôt équilibré.
Elle afficha un sourire joyeux :
– Pour la première fois depuis longtemps, je ne peux rien prédire. Le sort de la bataille dépendra uniquement de notre vaillance. Cela est tellement plus glorieux !
– Le but des paladins n’est pas de chercher la gloire mais de défendre le bien et la justice, la reprit vivement Georgine.
– Oui sire, excusez-moi, répondit l’écuyère.
Mais elle ne put se défaire de son sourire.
– Bon, vous deux avez passé les derniers jours à préparer la milice pour une attaque de ce genre, déclara Henri à Jeanne et Roland. Je suppose que vous avez un plan de défense ?
– Oui, répondit Roland. Des barricades sont installées en ce moment même à divers points-clé. Une force restera en réserve ici, au cas où une brèche serait faite. Ils auront bien plus de mal à passer que la dernière fois.
– Il y a une chose en plus que nous pouvons faire sire, commença Jeanne. Avec des forces aussi réduites, l’ennemi est incapable de cerner efficacement la ville ou d’opérer une reconnaissance efficace. Cela nous donne une opportunité : une petite partie de nos troupes doit aller se cacher dès maintenant dans les mines. Lorsque la bataille battra son plein, ils surgiront sur les arrières de l’ennemi et mèneront une attaque à revers. L’effet sera dévastateur et devrait nous garantir la victoire.
– Cela semble un bon plan, dit Henri.
Les autres approuvèrent également.
– Et qu’est-ce que mes hommes et moi sommes censés faire ? demanda le capitaine de la garde.
– Tenez votre caserne à tout prix, répondit Henri. Amable est à l’intérieur. Il ne faut surtout pas que l’ennemi arrive à le récupérer.
Bien qu’il semblât un peu réticent, le capitaine hocha la tête.
– Est-ce qu’on ne devrait pas plutôt le cacher quelque part ? demanda Roland.
– Dans d’autres circonstances, cela aurait été plus efficace, admit Henri. Mais il y a dans la ville trop de partisans de Fernand qui pourraient donner sa localisation à nos adversaires. Il est plus sûr de le laisser dans un bâtiment fortifié.
Le jeune homme hocha la tête.
– Sire, si vous le permettez, j’aimerais commander la réserve, demanda Jeanne. Je propose Myriam pour commander la force qui ira se cacher dans les mines.
– Moi ? réagit l’écuyère surprise. Heee…je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Ce serait mieux de laisser ce rôle à un de nos mentors. Ou à Roland.
– Impossible. Ils doivent tous les trois être présents sur les barricades. Ce sont des exemples et des modèles pour les miliciens. Ces derniers ont été démoralisés par leur dernière défaite. Ne pas voir au front leur chef ou les paladins les affecterait encore plus.
– Heu…toi alors.
– Il vaut mieux que je commande la réserve. C’est le rôle qui demande le plus de connaissances tactiques et de capacité d’anticipation. Sans vouloir paraître arrogante, je pense être la meilleure dans ces domaines.
– Je ne vais pas dire le contraire, accorda Henri.
Comme tous les paladins, il avait appris la stratégie militaire et le commandement. Mais ce n’était pas la part de formation où il avait le plus brillé, contrairement à Jeanne.
Georgine se tourna vers Myriam :
– Ne te déprécie pas par manque de confiance. Tu es une jeune femme compétente, largement capable de mener à bien cette mission.
– Tu vas y arriver, renchérit Jeanne juste après. J’en suis sûre.
– D’accord, dit l’écuyère d’une voix plus ferme. Je le ferai.
Ils discutèrent ensuite pour mettre au point les derniers détails de leur plan. Il fut notamment décidé que trois notes de cor serviraient de signal pour que Myriam et ses forces attaquent.
Une fois tous ces point réglés, Henri rejoignit le groupe de miliciens qu’il devait commander, près d’une grosse barricade placée dans la rue principale de la ville. Georgine et Roland commandaient la défense à d’autres points.
Un mur de débris, de pavés et de chariots avait été érigé juste devant un tas de caisses. Le tout bloquait efficacement le passage, tout en donnant aux défenseurs l’avantage d’être à couvert et légèrement en hauteur.
Tous les miliciens qui défendaient la ville portaient de légères armures de cuir. La moitié étaient armée d’arquebuses, tandis que les autres avaient des lances de deux mètres et de petits boucliers en bois. Les armes secondaires variaient ensuite d’une personne à l’autre : couteau, gourdin, hachette, marteau et autres outils de travail. Quelques petits commerçants s’étaient offert une épée courte.
Henri remarqua que certain étaient très excités, ayant hâte de prendre leur revanche. D’autres restaient calmes malgré l’imminence du combat. Mais beaucoup étaient nerveux, terrifiés par leur défaite passée et la possibilité de la mort.
Le paladin rassura ces derniers. Il n’était pas adepte des grands discours inspirants comme ceux de Roland ou Léon. De la même façon, il avait du mal à galvaniser par la foi comme le faisait Georgine. Mais c’était un homme patient et empathique, capable de rassurer les inquiets via des arguments raisonnables ou de détourner leur attention via des plaisanteries anodines.
– Rappelez-vous que ce combat sera très différent de la dernière fois, dit Henri à un petit groupe. Vous êtes bien préparés et prêts à les recevoir. Cela change tout.
– Quelle est la première chose qu’on nous apprend sur les bandits lorsque on est un novice paladin ? plaisanta-t-il auprès de certains miliciens. Qu’ils sont très doués pour la fuite. Si, si, je vous assure. Nous passons plus de temps à apprendre comment les rattraper qu’à comment les vaincre.
– Une barricade comme celle-ci est un sacré obstacle pour une troupe peu expérimentée, affirma le paladin à d’autres. Vous vous imaginez devoir prendre une telle position ? Et oui, moi aussi je suis content d’être de ce côté.
– Dans les batailles régulières, la lance et les armes à distance sont bien plus efficaces que les haches et les masses, expliqua-t-il à un groupe différent. Maintenant que l’ennemi n’a plus la surprise, votre équipement vous donnera l’avantage.
En même temps, il faisait aussi de son mieux pour que la troupe combatte dans les meilleures conditions possibles. Il s’occupait de tous les petits détails que les soldats inexpérimentés avaient tendance à oublier mais qui pouvaient faire toute la différence entre la victoire et la défaite.
– Ce vêtement va te gêner pour manier ton arme, dit le paladin à un lancier qui portait un gros et encombrant manteau de fourrure. Et il ne te servira pas à grand-chose. Le combat te réchauffera bien vite, crois-moi. Va vite le reposer chez toi tant qu’il est encore temps.
– Il faudrait stocker des provisions et de l’eau ici, ordonna-t-il. Ce genre de bataille dure souvent des heures et il peut être utile de se restaurer entre deux combats.
– Installez plutôt l’hôpital improvisé dans ce bâtiment, conseilla Henri aux guérisseurs et aux volontaires les aidant. L’endroit où vous l’avez mis est trop petit, vous allez vite vous retrouver à l’étroit.
– Gardez des armes et des munitions en réserve non loin de la barricade. Dans un combat de plusieurs heures, le risque est grand de voir votre lance se briser ou de tomber à court de poudre. La rapidité avec laquelle vous vous rééquipez peut faire toute la différence.
Si toute cette attention ne galvanisait pas les miliciens, elle les rassurait et leur faisait apprécier le paladin. Le commandement d’Henri était d’autant mieux accepté qu’il semblait réellement se préoccuper de leur sort.
Puis vint le temps du combat. Cela commença tout doucement. Quelques cavaliers ennemis apparurent au loin, restant à bonne distance de la barricade et observant cette dernière. Une poignée de coups de feu furent tirés dans leur direction mais sans le moindre effet.
– Des éclaireurs, commenta Henri. Le gros de leur force va arriver juste après.
Il avait raison. Une heure après le passage des cavaliers, un large contingent de fantassins se positionna face à la barricade.
La majorité d’entre eux étaient armée de bric et de broc : outils de travail, frondes, arcs de chasse, lances, haches ou masses à manche de bois. Quelques-uns avaient des boucliers ou des armures de cuir incomplètes, mais pas la majorité.
C’était des bandits habitués à persécuter des personnes désarmées ou à se battre lors d’attaques surprises et d’embuscades. Il était clair qu’ils étaient surpris de voir la barricade et ses défenseurs.
Mais le reste du groupe, quelques dizaines, était bien plus redoutable. Il s’agissait d’ancien soldats flostenniens démobilisés, qui étaient devenus hors la loi par goût du combat, par désespoir ou pour suivre leur chef. Ils étaient bien mieux équipés que le reste de la bande : piques de quatre mètres, haches de guerre ou épées courtes, arbalètes, arcs longs en if, boucliers en acier et cottes de maille complètes. Certains avaient même des chevaux de guerre.
Comme leur chef, Raimund Axel.
Bien qu’il ait combattu contre son armée lors de la dernière guerre, Henri n’avait jamais vu le bandit. Il le reconnut grâce aux descriptions qui en avaient été faites. C’était un homme au physique de brute : grand, large et massif. Il portait courts ses cheveux noirs mais pas sa barbe, longue et en bataille. Son visage était couturé de cicatrices et affichait un air furieux. Il était monté sur un étalon de combat et portait comme équipement hache d’arme, bouclier et cotte de de maille.
– Vous pensez vraiment pouvoir vous opposer à moi ?! hurla-t-il aux défenseurs d’une voix emplie de haine.
Plusieurs miliciens firent des grimaces lorsque cette brute leur cria dessus. Mais personne ne répondit. Le flostennien s’avança davantage vers la barricade en continuant à crier :
– Je suis Raimund Axel ! J’ai brûlé des dizaines de villages, massacré leurs habitants et laisser leurs corps aux vautours ! Vous n’êtes rien face à moi !
Certains des défenseurs de la barricade tournèrent des visages inquiets vers Henri. Ce dernier sentait leur peur monter à mesure que le chef ennemi parlait, mais il ne dit rien pour le moment.
– Fuyez maintenant et vous aurez une chance de vivre ! Résistez et je vous tuerai jusqu’au dernier puis je brûlerai cette ville jusqu’aux fondations !
– Si tu es si sûr d’en être capable, pourquoi donc nous laisses-tu une occasion de sauver nos vies ? répondit finalement le paladin d’une voix narquoise.
Raimund se tourna vers lui. Il affichait une mine toujours aussi furieuse mais on y voyait un peu d’incompréhension devant la question du paladin.
– Tu n’as jamais été connu pour laisser la moindre chance à tes victimes, poursuivit Henri. Dès que tu le pouvais, tu massacrais tout sans distinction. Alors pourquoi nous laisser une occasion de fuir ? Si ce n’est que tu ne penses pas pouvoir gagner cette fois. Pas très surprenant pour un lâche.
– Répète donc ça si tu l’oses !
– Tu es un lâche. Attaquer des villages sans défense ne te pose pas de problèmes mais tu fuis dès que tu fais face à un adversaire qui te résiste. Tu as fui face à Armand Félix. Tu as fui face à mon hiérarque. Tu fuiras face à nous. Les bandits ne savent qu’attaquer ceux qui ne peuvent se défendre et fuir les autres.
Le visage de Raimund se déforma de fureur en entendant les paroles d’Henri.
– J’aurai ta tête avant demain, paladin !
Il se retourna vers ses troupes :
– À l’attaque ! leur hurla-t-il.
Malgré le cri de leur chef, la troupe de bandit ne se rua pas sur la barricade en courant. A la place, un groupe de soldats forma un mur de boucliers derrière lequel s’abritèrent un bien plus grand nombre de bandits moins expérimentés. Puis cette formation se mit à avancer prudemment vers les miliciens.
Pendant ce temps, des tireurs s’étaient mis en position à l’arrière des bandits, pointant leurs armes vers les défenseurs. Mais Henri activa ses pouvoirs et les tirs ne firent que toucher le sol.
Cela fit pousser un cri de joie aux miliciens qui ne se privèrent pas de répliquer de leurs arquebuses. Les armes à feu produisirent un boucan d’enfer, tandis que la fumée commençait à embrumer les lieux.
Quelques assaillants s’effondrèrent ou, blessé, se mirent à hurler. Mais cela n’interrompit pas la marche de la formation.
Deux autres salves tonnèrent tandis qu’Henri continuait d’empêcher les ennemis d’utiliser leurs armes à distance. Puis les bandits arrivèrent aux barricades et la mêlée s’engagea.
Chaque camp s’abritait derrière son mur de boucliers et essayait d’atteindre l’ennemi derrière leurs protections. Grâce à leurs allonges, lances et piques étaient les meilleures armes pour ce genre de combat. Comme l’avait prédit Henri, cela avantageait les miliciens, davantage pourvus en la matière.
En plus de cela, il fallait compter l’apport du paladin. Si l’espace limité ne lui permettait pas d’utiliser ses ingénieuses manœuvres de retournement d’épée, il n’en restait pas moins d’une efficacité redoutable. Son armure de plate le rendait invincible face aux armes utilisées, tandis que son épée lui permettait de transpercer aisément les armures de cuir et les cottes de mailles. Même si les boucliers pouvaient bloquer sa lame, cela ne limitait que peu son efficacité.
Les anciens soldats flostenniens étaient effectivement de bien meilleurs combattants que les miliciens. Mais cela ne suffisait pas à inverser la balance. Bientôt le mur de boucliers de l’ennemi fut brisé et les bandits furent contraints à la retraite, abandonnant de nombreux morts et blessés sur le terrain. Ces derniers furent rapidement achevés par les miliciens.
Mais ce n’était pas terminé pour autant. Une grande majorité des ennemis avaient survécu à ce premier affrontement et Raimund n’avait pas envoyé toute ses forces dans un seul assaut. Un autre mur de boucliers s’était constitué et repartait à l’attaque de la barricade.
Cela ne surprit pas Henri. Il savait que les combats de front entre deux formations de fantassins étaient des duels d’endurance. Il était difficile de tuer quelqu’un qui s’abritait derrière un bouclier. Même quand une formation était brisée, il y avait de multiples raisons qui pouvaient empêcher que cet avantage soit exploité. Ainsi les miliciens ne pouvaient se risquer à poursuivre l’ennemi. Cela aurait voulu dire abandonner leur barricade alors que les bandits avaient gardé des forces en réserve. Les défenseurs auraient été contraints d’affronter d’autres de leurs ennemis mais cette fois sur un terrain moins favorable. Le meilleur choix que les miliciens pouvaient faire était de tenir leur position.
Deux autres assauts furent ainsi repoussés. Entre chaque attaque, Henri faisait se relayer les miliciens sur la barricade, pour que ceux qui avaient combattu puissent se reposer et être soignés. Mais lui-même ne se donnait pas un tel luxe. Il combattait à chaque assaut tout en utilisant ses pouvoirs pour neutraliser les tireurs adverses et soigner les plus graves blessés durant les temps morts. Cela était épuisant. Mais Henri savait qu’il devait montrer l’exemple aux miliciens. Et plus que ça, il devait leur donner de l’espoir. Il était un paladin, parangon de justice et de bravoure, cela était son devoir.
Une fois le troisième assaut terminé, le temps mort avant la prochaine attaque dura plus longtemps que les fois précédentes. Cela alarma Henri. Après avoir imposé des mains pour soigner un milicien blessé, il grimpa sur les barricades pour observer les manœuvres de l’ennemi.
Les bandits s’étaient écartés pour laisser passer une douzaine d’individus qui se tenaient hors de portée des arquebuses. Le paladin avait du mal à discerner leurs traits, mais ils ne semblaient pas armés. Certains étaient même ligotés. Henri comprit ce qui se passait juste avant qu’une des silhouettes ne s’effondre au sol, poignardée par une autre.
– Écartez-vous de la barricade ! hurla-t-il aux miliciens, avant de le faire lui-même.
L’ordre était étrange et contre-intuitif. Dans des circonstances différentes, il n’aurait peut-être pas été exécuté aussi vite. Mais Henri avait su gagner la confiance des miliciens en se préoccupant de leur sort et en montrant l’exemple. Ils lui obéirent instantanément. Mais cela ne suffit pas à tous leur sauver la vie.
Une gigantesque boule d’énergie noirâtre avait jailli des silhouettes se trouvant devant les rangs ennemis. Avançant à une vitesse extraordinaire, elle avait percuté la barricade de plein fouet avant d’exploser contre celle-ci, transformant bois, métal et humains en poussière noirâtre.
L’avertissement d’Henri avait permis de limiter les pertes. Mais leur ligne de défense n’était plus qu’un cratère poussiéreux.
– Maudit démoniste ! pesta le paladin. A la seconde barricade ! ordonna-t-il tout de suite après aux miliciens, tout en montant sur son cheval.
Que l’ennemi n’ait pas utilisé cet avantage plus tôt ne l’étonnait pas. A la guerre, il était de coutume de garder en réserve ses meilleures forces le plus longtemps possible et de ne les utiliser qu’en dernier recours. Après tout, un sort aussi puissant demandait un important sacrifice en vies humaines et Raimund ne devait pas disposer de réserve illimitée. Or, il aurait pu avoir besoin d’une telle magie contre d’autres barricades ou pour entrer dans un bâtiment fortifié.
Henri laissa les miliciens passer devant tandis que lui-même fermait la marche et veillait sur l’arrière. Il regretta de ne pas avoir emmené son étalon de guerre à Audelle. Son cheval de marche était un animal beaucoup moins imposant et combatif. Mais il n’avait pas mieux.
Au loin, il voyait les ennemis qui couraient vers leur ancienne position, n’ayant même pas pris la peine de se mettre en formation. Quelques cavaliers prirent de la vitesse pour harceler les arrières des défenseurs mais Henri les intercepta systématiquement. Il utilisa ses pouvoirs pour en faire tomber quelques-uns de leur selle. Employer le don du Messager était moins fatiguant maintenant qu’il savait que se trouvaient des mages noirs en face. Les autres cavaliers furent chassés par l’acier de son épée.
Lorsque sa troupe et lui atteignirent la seconde barricade, le paladin eut la surprise de la voir tenue, non pas par une poignée de sentinelles, mais par le groupe de Jeanne, déjà en position de combat. Une salve d’arquebuses partit vers les bandits qui les poursuivaient. N’ayant pas formé un mur de boucliers pour pouvoir courir, les troupes de Raimund subirent de lourdes pertes, les forçant à se replier. Les miliciens d’Henri s’abritèrent alors derrière la seconde barricade.
– Laisse-moi deviner, déclara le paladin à son écuyère. Tu avais prévu que ma ligne céderait et tu as positionné tes forces ici en prévision ?
– Oui, sire. Mais si cela peut vous rassurer, ce n’est absolument pas votre faute. Du haut du clocher, j’ai pu voir que les forces concentrées contre vous étaient bien plus importantes que celles qui faisaient face aux troupes de Georgine et Roland.
– Je t’avoue que ma fierté est soulagée par cette information.
– En revanche, sire, je crains d’avoir une mauvaise nouvelle. Une cinquantaine de cavaliers ont surgi des collines entourant la ville et sont actuellement en train de foncer vers la caserne de la garde. Ils seraient menés par la mercenaire qui vous a tendu une embuscade il y a quelques jours.
– Malédiction !
Il y avait à peine une trentaine de gardes défendant leur caserne. Vu le talent d’Albine, cela ne serait jamais suffisant pour l’arrêter.
– Je m’y rends de suite. Prends le commandement de cette barricade.
– Bien, sire.
Sans attendre une seconde, Henri dirigea sa monture à pleine vitesse vers la caserne de la garde.
Jeanne, elle, resta sur la barricade à observer les mouvements de l’ennemi. Elle comprit tout de suite qu’un assaut bien plus important se préparait, cela sans avoir besoin d’utiliser son intelligence supérieure : il lui suffit de remarquer que Raimund était à la tête de ses forces.
– Il avait pour mission de retenir le gros de nos troupes le plus longtemps possible et c’est pour ça qu’il ne se risquait pas à combattre jusque-là, réfléchit-elle à voix haute. Maintenant que leur second groupe est entré en action, il pense qu’il peut se permettre de prendre plus de risques.
Elle dégaina lentement son épée, un sourire aux lèvres.
– Ce sera une bataille glorieuse.
L’écuyère se tourna vers un sous-officier de la milice.
– Donnez le signal pour faire intervenir Myriam.
Tandis que Raimund mettait pied à terre et avançait à la tête de ses troupes, bouclier en avant, trois sonneries de cor se firent entendre.
L’assaut commença par un classique échange de tir. Maintenant qu’Henri n’était plus là pour les en empêcher, les bandits équipés d’armes à distance s’en donnaient à cœur joie. Les miliciens répliquaient coup sur coup. Ils étaient assez nombreux pour que les tireurs ennemis n’aient pas d’effet décisif. Mais ce duel à distance les empêchait de s’en prendre efficacement au mur de boucliers. Celui-ci arriva presque intact au contact de la barricade, tandis qu’une nouvelle mêlée s’engageait.
Sauf que cette fois Raimund était parmi les combattants.
Lorsque des batailles opposent des milliers de soldats, l’impact que peut avoir un seul homme sur les combats est inexistant.
Mais dans cette situation, il n’y avait que quelques dizaines de combattants de chaque côté. Un soldat capable d’abattre cinq ou six adversaires pouvait créer une vraie différence, surtout lorsque cela permettait de rompre la formation adverse.
Et c’est ce que fit Raimund. Arrivé au contact de la palissade, il brisa de furieux coups de hache plusieurs manches de lance, avant de s’en prendre aux boucliers situés juste derrière. Puis se couvrant de son propre écu, il escalada la barricade avant de se retrouver de l’autre côté, poussant violemment les miliciens qui lui barraient le chemin. Cela brisa la formation des défenseurs et donna un espace dans lequel les bandits se mirent à avancer.
Jeanne se battait aussi en première ligne et avec grande efficacité. Si elle était moins habile qu’Henri, cela ne faisait pas de différence dans ce genre de combat, entre masses de fantassins. En revanche, son armure moins résistante lui interdisait de prendre autant de risques que son mentor. Mais elle avait tout de même réussi à tenir sa position tout en blessant et tuant de nombreux bandits.
Notant la brèche créée par Raimund, elle se précipita vers le chef ennemi.
– Où est donc ce paladin qui a osé me traiter de lâche ?! tonna l’ancien général en attaquant Jeanne.
Elle para le coup mais ce dernier était si puissant que le choc fit trembler le bras de l’écuyère, l’empêchant de contre-attaquer.
– Il laisse une vulgaire gamine se battre à sa place ?!
Raimund chargea violemment, bouclier en avant et percuta Jeanne de plein fouet. Cette dernière fut rattrapée par plusieurs miliciens qui se trouvaient non loin du combat.
– Je ne suis pas une vulgaire gamine ! cria Jeanne, en contre-attaquant. Je suis écuyère de l’Ordre des Paladins ! proclama-t-elle avec fierté.
Son coup d’épée fut paré par le bouclier mais la jeune femme avait rapidement modifié sa prise d’arme, l’avançant sur la lame de l’épée. Ainsi elle put enchaîner son attaque d’un coup de pommeau avant que Raimund soit de nouveau en mesure de réagir. Le coup toucha le flostennien en plein ventre, le faisant légèrement chanceler.
Pendant que le duel entre les deux chefs se poursuivait, la brèche créée par Raimund s’était étendue et avait modifié la forme du combat. Ce dernier était passé du choc entre deux formations à une mêlée plus confuse, faite d’affrontements individuels. Les bandits étaient malheureusement plus à l’aise dans ce genre de combat et ils forçaient les miliciens à reculer.
Raimund ne parut pas affecté du coup de pommeau et il répliqua d’une puissante attaque avec sa hache, qui atteignit Jeanne de plein fouet. L’armure absorba le gros du choc mais fut sévèrement endommagée. La jeune femme ne put retenir un cri de souffrance.
– Et bien tu vas mourir ici écuyère ! Et ensuite j’irai trouver ton mentor et je lui ferais subir le même sort ! proclama le chef bandit.
– Cela n’arrivera pas ! répondit Jeanne, en contre-attaquant.
Elle feinta et réussit à piéger Raimund qui envoya son bouclier dans la mauvaise direction. La pointe de l’épée atteignit le flostennien au torse, transperçant la cotte de mailles derrière. Le bandit hurla de douleur.
Mais cette blessure ne fit qu’augmenter sa rage et il chargea de nouveau la jeune femme. Cette dernière n’arriva pas à esquiver et elle se retrouva de nouveau projetée par l’attaque. Mais il n’y avait plus de miliciens pour la rattraper et elle tomba à terre.
– Crève ! enchaîna Raimund en frappant de nouveau.
Jeanne roula sur le côté, esquivant l’attaque. Elle se releva en parant un autre coup. Mais le choc fit de nouveau trembler son bras, l’exposant à une troisième attaque qu’elle prit de plein fouet, sur l’épaule. L’armure fut transpercée et du sang commença à apparaître.
Malgré tout, elle était de nouveau debout et prête à se battre. Son coup suivant fut bloqué par le bouclier mais elle parvint à esquiver la contre-attaque. Elle para la hache encore une fois et réussie à ne pas se laisser affecter par le choc. Mais sa riposte fut détournée par Raimund, tandis que l’écuyère se prit un coup de bouclier sur son torse, ce qui la força à reculer.
Puis des coups de feu se firent entendre derrière les rangs des bandits, suivis de cris de panique.
– Qu’est-ce qui se passe, bordel !? hurla Raimund en jetant un rapide coup d’œil derrière lui.
– Je t’ai battu, voilà ce qui se passe, lui dit Jeanne avec arrogance.
Le groupe de Myriam venait d’arriver, chargeant les bandits sur leurs arrières. Les assaillants étaient déstabilisés par cette attaque surprise et leur moral s’effondra. Beaucoup parmi les moins expérimentés avaient déjà jeté leurs armes et s’enfuyaient.
– Espèce de sale morveuse ! Tu me le paieras ! cria Raimund.
Mais il ne pouvait rien faire d’autre. Ses soldats étant en train de s’enfuir, il fut obligé de les imiter.
L’écuyère elle, continua de se battre, tentant de tuer ou de capturer le plus de bandits possibles. Puis, après plusieurs dizaines de minutes de furieuse poursuite, tout fut terminé. Leurs adversaires étaient soit prisonniers, soit morts, soit en fuite.
Le plan de Jeanne avait coûté à Raimund la moitié de ses effectifs. Une trentaine de miliciens seulement avaient été tués, et autant souffraient de blessures graves.
Une fois les combats finis, la jeune femme ne tarda pas à croiser Myriam. L’autre écuyère avait son épée recouverte de sang tandis que son armure était salie par la poussière. Mais elle était indemne.
– Beau travail, dit Jeanne à sa consœur. Je t’avais dit que tu y arriverais, ajouta-t-elle avec un sourire.
– Tu es blessée ! s’exclama Myriam, inquiète.
La furie de la bataille avait fait oublier à Jeanne son état. Mais maintenant qu’on le lui faisait remarquer, la douleur revenait vivement.
– Aïe. Oui, en effet. C’est Raimund qui m’a fait ça. Est-ce qu’on a réussi à l’avoir ?
L’autre secoua négativement la tête.
– Il est parvenu à s’enfuir, ajouta-t-elle.
– Mince, pesta Jeanne. Libre, il va poursuivre ses crimes. Sans compter que sa capture ou sa mort nous aurait apporté un immense prestige.
– Va vite trouver un guérisseur, répondit Myriam. Ensuite nous pourrons aller voir nos mentors et leur expliquer à quel point ton plan a été un succès.
L’autre écuyère acquiesça de la tête. Elle se demandait comment Henri s’en était sorti. Car aussi importante que soit la défaite de la Raimund, cela n’était rien comparé à la nécessité de garder Amable prisonnier. Sans cela, tous les efforts qu’ils avaient faits seraient de nouveau réduits à néant.
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