– Le démon est dans ce bâtiment, déclara Georgine. J’y sens la puanteur de la magie noire, avec une intensité à nulle autre pareille.

Après la bataille, Jeanne, Myriam et elle avaient aidé du mieux qu’elles pouvaient les habitants de la ville, soignant les blessés ou dégageant les décombres. Puis la paladine s’était retirée dans une église pour méditer. Georgine disposait de la rare capacité de ressentir la magie noire, comme un sixième sens. Méditer amplifiait ce don. Elle sentit le démon dès qu’il pénétra dans la ville. Accompagnée des deux écuyères, elle l’avait traqué, les conduisant à l’auberge du centre-ville.

– Que voulez-vous que nous fassions, sire ? demanda Jeanne.

– Restez à l’écart du combat. Sans vouloir être offensante, votre aide serait négligeable. Mais surtout, je vais devoir utiliser des pouvoirs si puissants que je m’évanouirai dès la fin de l’affrontement. Il faudra alors que vous veilliez sur moi le temps que je me rétablisse.

Les deux écuyères hochèrent la tête.

– Que le Messager vous guide, dit très sereinement la paladine.

Elle mit pied à terre, dégaina son épée à deux mains et s’avança vers l’auberge.

– Sire ! s’exclama soudainement Myriam. Est-ce que…est-ce que vous pensez que vous allez gagner ? demanda-t-elle.

Georgine se retourna et regarda son écuyère avec affection :

– Le Messager est avec moi, dit-elle. Alors que le mal absolu est proche, je ressens sa présence avec une rare intensité. Il n’y a aucune crainte à avoir, Myriam.

L’aura de sérénité de la paladine était si forte qu’elle suffit à apaiser l’écuyère. Georgine reprit sa marche.

Elle passa le portail qui avait été défoncé, puis elle ouvrit la porte de l’auberge et entra dans la salle commune.

Trois personnes étaient présentes. Il y avait tout d’abord deux domestiques. L’un était occupé à faire cuire un agneau à la broche. L’autre servait une coupe de vin à la troisième personne : le démon.
Ce dernier était assis, tranquillement en train de déguster un plat de légumes et de viande cuite. Il mangeait avec ses mains, mais de manière raffinée et aristocratique, comme le riche sénateur qu’il avait dû être.

À ses pieds se trouvait le cadavre du propriétaire de l’auberge, la poitrine transpercée au niveau du cœur.
Le démon n’avait sans doute pas payé sa consommation.

Quand Georgine entra, la créature leva les yeux vers la paladine. Il affichait une expression intéressée :

– Oh, une nouvelle venue. Bonsoir, je suis Iason Vlassis, autrefois sénateur Achémien. Vous semblez bien plus intéressante que ces deux cloportes…

Il désigna les serviteurs de la main.

– …et cet imbécile.

Cette fois, il montra le cadavre à ses pieds.

– Asseyez-vous donc, j’aimerais en savoir plus sur le monde extérieur.

Le paladine resta debout. Ignorant la tirade du démon, elle s’adressa aux deux domestiques :

– Fuyez maintenant pour sauver vos vies. Au nom du Messager, je vais m’occuper de cette abomination.

Cette phrase amusa Iason.

– Voilà qui est bien présomptueux, dit-il en levant une de ses mains vers la paladine.

Un rayon noir en partit et se dirigea en plein vers le cœur de Georgine. Cette dernière ne bougea pas. Mais une lumière blanche apparut sur tout son corps, illuminant la salle avec majesté. La magie noire se dispersa à son contact.

Les serviteurs n’avaient pas demandé leur reste. Profitant de cette première passe d’arme, ils c’étaient enfuis, courant aussi vite qu’ils le pouvaient.

– Hum, réagit le démon, intéressé. Tu es donc une mage. Ou plus probablement une religieuse. Tes tours semblent meilleurs que ceux que faisaient les prêtres de mon époque.

– Je suis une paladine du Messager ! déclara Georgine en pointant son épée vers Iason. Il est celui qui est venu montrer à l’humanité la voie du bien qui nous permettra de créer un paradis terrestre, sauvant notre race d’une éternité de chaos et de destruction.

Dans sa voix, résonnait toute la force de sa foi et de sa détermination.

– Repends-toi devant sa servante, démon, et renonce à ton existence d’abomination ! Retourne dans les limbes d’où tu viens, fais pénitence et reprends ta place dans le cycle de réincarnation. Fais-le maintenant, ou je t’expulserai de ce monde par la force ! Ce sera mon seul avertissement !

– Quelle naïveté…répondit-il, ennuyé. Comme si j’allais renoncer à mes pouvoirs et à mes souvenirs pour laisser mon futur aux mains du hasard. Je n’ai pas envie de redevenir un paysan ou un mendiant après avoir goûté à la vie d’un sénateur.

Il afficha un sourire carnassier :

– En revanche, cela fait bien longtemps que je n’ai pas ressenti la joie d’écraser un adversaire au combat. Je vais prendre grand plaisir à te tuer, la bigote.

Iason se leva. Mais tandis qu’il agissait ainsi, son corps se distordit : il devint plus grand et plus large, jusqu’à atteindre trois mètres de hauteur. Des écailles poussèrent sur sa peau, qui prit une teinte rouge. Ses ongles se transformèrent en longues griffes, pointues et tranchantes, tandis que des cornes apparaissaient sur son front. Son visage se modifia pour prendre une expression bestiale et sanguinaire, plus proche du loup affamé que de l’humain. C’était un véritable démon désormais.

– Tu veux toujours me renvoyer dans les limbes ? demanda-t-il à Georgine.

Sa voix aussi avait été modifiée, devenant bien plus grave et rugueuse. Inhumaine.

– Plus que jamais, répondit la paladine.

Ses yeux s’illuminèrent et son aura de lumière redoubla, jusqu’à devenir aveuglante. La lame de son épée se mit à briller et il semblait alors qu’elle était faite de pure lumière.

Le démon cria de douleur alors que la lumière atteignait ses yeux. Georgine saisit l’occasion ainsi offerte :

– Au nom du Messager ! cria-t-elle de sa voix éthérée en s’élançant vers la créature.

La pointe de son épée visait le cœur. Mais Iason n’avait pas totalement perdu ses moyens. Lorsque la lame s’abattit, il se décala, se faisant toucher au ventre.

La lame de lumière passa à travers les écailles et la chair comme si elles n’existaient pas, ne rencontrant aucune résistance. À son contact, le corps du démon se noircissait et se craquelait, perdant toute trace de vie. Iason hurla à nouveau de douleur, bien plus fort cette fois-ci.

– Meurs ! hurla-t-il en chargeant Georgine.

Cette dernière se décala rapidement, évitant le démon. Ce dernier s’abattit sur le mur, le pulvérisant sur le coup. Iason se retrouva ainsi dans la cour de l’auberge. Il fut bien vite suivi par la paladine.

– Justice ! cria-t-elle en attaquant de nouveau, d’un coup de taille au ventre.

Mais le démon semblait s’être habitué à l’aura de lumière, qui ne le déstabilisait plus. Il esquiva l’attaque avant de tendre ses mains vers l’avant :

– Brûle !

Des torrents de flammes sortirent de ses paumes et se dirigèrent vers Georgine. Mais comme pour le rayon noir, elles se dissipèrent au contact de la lumière.

Georgine profita de cette attaque manquée pour se déplacer rapidement sur la gauche et porter une nouvelle attaque. Tandis que le démon esquivait, elle se repositionna en diagonale pour se retrouver derrière lui.

Alors qu’à l’épée, Henri comptait sur des brusques retournements de son arme pour surprendre l’adversaire, frappant autant avec la lame que le pommeau, Georgine préférait une succession rapide de repositionnements pour attaquer l’adversaire de flanc ou par derrière. C’était particulièrement efficace contre la massive créature que représentait le démon, trop imposant pour réagir assez vite.

– Pour l’Ordre ! claironna la paladine en transperçant Iason.

Cela fit pousser un nouveau hurlement de douleur à la créature tandis qu’une partie de son ventre se noircissait au contact de l’épée. Il se retourna à une vitesse stupéfiante et, bien que Georgine ait elle-même commencé à se repositionner, la frappa de sa main griffue, avec toute sa force surhumaine.

Le coup projeta la paladine plusieurs mètres sur le côté. Elle s’écrasa contre le mur de l’écurie avec un bruit métallique. Les griffes avaient laissé de profonds sillons dans l’armure, sans toutefois la transpercer.

– Insolente ! hurla Iason, plein de rage. Tu paieras au centuple ce que tu m’as fait !

Tout en criant, il avait abaissé sa tête et chargea la paladine. Cette dernière, encore sonnée par le précédent coup, ne put réagir à temps. Le démon lui rentra dedans, fracassant le mur en bois derrière elle et la projetant contre celui situé à l’opposé.

Iason s’élança pour une nouvelle attaque. Ses griffes, chacune aussi longue qu’une épée courte, s’élevèrent derrière lui tandis qu’il faisait prendre de l’élan à sa main pour que son attaque gagne en puissance. Puis elles s’élancèrent, visant la tête de la paladine en un mouvement implacable, clairement assez puissant pour transpercer l’armure.

Mais la lame de lumière s’interposa.

La main griffue passa à travers, perdant au passage toute couleur, avant de s’écraser lourdement sur le sol, coupée dans son élan.

Un hurlement de rage et de souffrance retentit tandis que le démon levait son autre main pour attaquer. Mais Georgine avait eu le temps de se relever. Elle esquiva l’attaque et se repositionna d’un habile mouvement de jambes avant de donner un violent coup de taille dans celles de Iason, atteignant les deux d’un coup.

Celui-ci s’effondra. Privé d’une main et de ses jambes, il était désormais vaincu.

– Cela n’a aucune importance, dit-il à Georgine, alors que cette dernière se mettait face à lui. Que ce soit dans dix, cent ou mille ans, on me réinvoquera et je foulerai de nouveau cette terre. Les humains seront toujours prêts à échanger la vie de leurs semblables contre quelques miettes de pouvoir.

– Non, répondit la paladine. Chaque siècle qui passe voit l’humanité devenir meilleure. Un jour viendra où personne ne fera plus jamais appel à toi.

– Quelle naïveté…eut le temps de murmurer le démon, avant que Georgine ne transperce son crâne.

La tête commença alors à noircir, s’effrita, puis tomba en poussière. Les épaules suivirent rapidement, de même que les bras et le buste. Bien vite, le corps entier du démon ne fut plus que particules noirâtres, qui furent dispersées par un coup de vent.

Puis la lumière disparut du corps de la paladine. Et elle tomba au sol, inconsciente.

**
*

– Est-ce que vous avez déjà rencontré Armand Félix ? demanda nonchalamment Henri. Vous savez, lorsqu’il a écrasé votre armée et vous a chassé de notre pays.

Raimund se tourna vers le paladin et lui adressa un regard chargé de haine.

Henri se trouvait assis dans une cage de bois, elle-même posée sur une charrette tirée par deux robustes bœufs. Autour, se trouvait la poignée de cavaliers de la troupe de bandits, dont Raimund lui-même, occupé à le surveiller. Juste derrière, suivait le reste des hommes du flostennien, à pied. Ils traversaient une forêt située non loin de la ville d’Audelle. Il s’était passé une journée depuis l’invocation du démon, journée que le chef bandit avait mis à profit pour rallier le reste de sa troupe.

– Non, parce que vous savez, j’étais présent lors de cette campagne, contre vos troupes, où nous avons gagné. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer. Or il est considéré comme un grand héros en Josaria. Et lui, contrairement à moi, a mérité sa statue. Donc je me demandais à quoi il pouvait bien ressembler.

En voyant la réaction de Raimund, Henri n’avait pu s’empêcher de laisser transparaître un peu de moquerie dans ses paroles. Pour bien regarder son interlocuteur en face, le paladin c’était avancé vers lui, collant sa tête contre les barreaux de sa prison.

Cela ne fit que redoubler la rage du flostennien. Il s’approcha de la cage et donna un grand coup de poing à Henri, à travers les barreaux. Le paladin prit l‘attaque en plein sur son visage.

– Rigole tant que tu le peux ! dit Raimund avec rage. Bientôt tu ne seras plus capable que de crier.

Henri cracha du sang par terre.

– J’ai visé juste on dirait, continua-t-il, moqueur. Alors qu’est-ce qu’il y a ? Tu n’arrives pas à assumer ta défaite ? demanda-t-il, employant un ton exagérément compatissant, faux et ridicule.

Raimund serra le poing pour frapper encore. Mais il se retint. A la place, il se contenta de ricaner méchamment.

– Attends de voir ce que je te réserve, répondit-il.

Et il se détourna, reprenant sa chevauchée.

Henri se cala contre le mur en bois en soupirant doucement. Il ne s’attendait pas à survivre à cette captivité. Quoi qu’il dise, il était sûr que Raimund le tuerait à la fin, par pure haine de ce qu’il représentait.

Il n’avait pas peur. Sa foi n’était pas aussi forte que celle de Georgine. Mais elle l’était assez pour qu’il croit que la mort n’était pas la fin. Il aurait l’occasion de contempler sereinement sa vie dans la caverne des âmes, puis il serait réincarné dans ce monde.
Mais il avait des regrets. D’avoir stupidement perdu un an dans sa relation avec Marie. De ne pas avoir été capable de battre les mercenaires d’Albine dans la caserne, anéantissant ainsi toute chance de condamner Fernand. De ne pas pouvoir connaître la brillante paladine que deviendrait Jeanne. De n’avoir pas pu dire à Pierre à quel point il avait été un compagnon loyal et précieux. De ne pas savoir si son sacrifice avait été vain ou non.

Bref, Henri aurait aimé que sa mort ait lieu dans d’autres circonstances. Il se rassurait en se disant qu’un décès violent et imprévu était le destin habituel des paladins. En cela, il ne différait pas de la plupart de ses frères et sœurs.

Ses réflexions furent interrompues lorsque la troupe de bandits arriva à son campement. Ce n’était qu’un amas de tentes situé dans une large clairière, vaguement entouré de pieux et de boucliers plantés dans le sol.

Henri avait déjà vu des dizaines de bivouacs de ce genre. Pourtant, quelque chose le frappa instantanément : le silence. Normalement, Raimund aurait dû laisser quelques hommes surveiller cet endroit. Or personne n’était venu accueillir la troupe revenue du combat. Le campement était tout simplement désert.

Le chef flostennien afficha une mine troublée.

– Dispersez-vous et trouvez où sont passés ceux qui étaient ici ! cria-t-il à sa troupe.

Les bandits s’exécutèrent et commencèrent à fouiller le campement, marchant dans celui-ci et arrêtant de surveiller Henri. Mais le paladin savait qu’il n’avait aucun moyen de briser le verrou ou les barreaux de sa cage.

Puis il aperçut un carreau d’arbalète voler d’un arbre en bordure de la clairière et transpercer la tête d’une bandit se trouvant juste à côté de lui.

– Alerte ! hurla Raimund.

De nombreux autres projectiles s’abattirent sur sa bande, depuis divers positions. Il était clair que les bandits étaient cernés.

Une vingtaine de cavaliers s’élança alors de la forêt pour tomber sur le campement. Ils étaient répartis en quatre groupes de cinq, chacun attaquant d’un côté différent. La majorité était des lanciers montés. Mais chaque escadron était mené par un cavalier en armure lourde.

Henri reconnaissait ces soldats. Il s’agissait des mercenaires d’Albine. Le paladin identifia cette dernière malgré son heaume baissé, en train de mener un des groupes de cavaliers.

Les bandits, déjà démoralisés par leur défaite contre les miliciens, fuyaient devant cette attaque. Voyant cela, Raimund regroupa autour de lui ses cavaliers. Avec eux, il essaya de s’enfuir en chevauchant vers le sentier.

Mais Albine ne voulait pas laisser les choses se passer ainsi. Elle pointa de son épée le groupe de Raimund et mena ses propres soldats vers lui.

Juste avant le choc, une seconde volée de projectile sortie des arbres et neutralisa la moitié des cavaliers flostenniens. Cela les rendit vulnérables à l’attaque d’Albine et de ses lanciers montés. Les mercenaires prirent rapidement l’avantage.

Raimund fut projeté au sol par une charge d’Albine. Il se releva, saisissant sa hache et son bouclier.

– Bordel, mais qu’est-ce qui vous prend ?! hurla le flostennien. Nous sommes alliés !

-Non, répondit Albine d’une voix amusée et remplie d’arrogance.

Elle mit pied à terre tout en dégainant son épée.

– Nous avions juste le même employeur, ajouta la mercenaire. Mais ce n’est plus le cas.

Et elle passa à l’attaque.

Raimund venait d’un pays réputé pour le caractère martial de ses habitants. Il avait participé à de nombreuses campagnes où il avait lui-même combattu. C’était un guerrier expérimenté, à ne pas prendre à la légère.

Mais il n’avait pourtant aucune chance. Car il affrontait la meilleure épéiste de toute la Josaria.

Une feinte d’Albine vers la tête éloigna le bouclier du bandit de sa jambe droite qui subit un rapide coup de taille.

– Vous pensiez peut-être que votre réputation de brutalité vous protégerait de ce genre d’attaque, dit Albine, railleuse.

Elle para un coup de hache et en laissa un autre s’abattre sur son harnois. Le tranchant d’acier rebondit sur l’armure sans faire de dommage.

– A la vérité, votre brutalité gratuite est juste une preuve de faiblesse ! cria avec férocité la mercenaire en se fendant.

Rapide et précise, son épée passa à travers les défenses de Raimund et transperça la cotte de mailles qui lui protégeait le torse.

Le flostennien hurla de douleur, avant de contre-attaquer violemment. Mais Albine s’était déjà décalée.

– Quelqu’un de vraiment fort n’a pas besoin de perdre son temps à brûler des villages ou tuer des paysans ! continua-t-elle en portant un coup sur le bras gauche de Raimund.

L’attaque trancha les lanières de cuir qui maintenait le bouclier attaché, le faisant tomber au sol.

– Et vous n’êtes pas fort ! Vous avez perdu face à Armand Félix ! Vous avez perdu contre les paladins ! Vous avez perdu contre les miliciens ! Vous allez perdre contre moi !

Elle écarta la hache d’un coup d’épée avant de donner un violent coup de pied à son adversaire. Déjà affaibli par ses blessures récentes, Raimund tomba au sol, lâchant ses armes.

Albine s’approcha de lui en enlevant son heaume. Son visage affichait encore une expression féroce, mais qui disparaissait petit à petit tandis que la fureur du combat la quittait. A la place revenait son air joyeux et arrogant.

– C’est parce que vous êtes faible que vous vous montrez aussi brutal, dit-elle en le regardant dans les yeux d’un air narquois. C’est une pathétique tentative pour compenser vos défaites.

Si les regards pouvaient tuer, Albine serait morte face à Raimund. Le visage du flostennien était rempli de haine et du désir d’infliger la souffrance.

– Arrête donc ce discours merdique et finis-en ! cria-t-il.

La mercenaire lui sourit moqueusement :

– Moi, je ne fais que gagner, dit-elle. Et je n’ai pas besoin de m’abaisser au même niveau que vous.

Elle se tourna vers ses soldats. Pendant qu’elle et Raimund combattaient, les mercenaires avaient mis en fuite les derniers bandits. Au passage, ils en avaient tué un tiers et capturé un autre tiers. Ils étaient désormais totalement maîtres du campement.

– Désarmez-le, pansez ses blessures puis ligotez-lui les jambes et les mains, ordonna-t-elle en montrant son adversaire vaincu.

Tandis que les mercenaires s’exécutaient, Albine s’avança d’un air triomphant vers la cage où était retenu Henri.

Ce dernier avait suivi la scène avec intérêt. Voir ses ennemis s’entre-tuer faisait toujours une bonne distraction avant de mourir. Il n’était pas surpris de l’attaque. Qui pouvait s’étonner de voir des humains faire preuve d’une telle duplicité ?

– Regardez ce beau damoiseau en détresse que je viens de sauver, lui dit Albine. Selon les contes, j’ai droit à un baiser pour t’avoir libéré, n’est-ce pas ?

– Dans les contes, la personne qui effectue le sauvetage n’est pas celle qui a aussi effectué l’enlèvement, répondit Henri. Et puis j’ai déjà une compagne, bien plus jolie que toi.

Mais cette pique eut juste pour effet de faire rire Albine :

– M’attaquer sur mon physique…même de ta part, je trouve ça très bas, ajouta-t-elle.

– Le monde est rempli de déceptions. Comme celle que tu viens d’infliger à notre ami Raimund.

À l’évocation de son triomphe récent, la mercenaire afficha un sourire carnassier extrêmement inquiétant. Cela assombrit Henri :

– Est-ce que tu comptes au moins me tuer rapidement ? demanda-t-il, soudain très sérieux.

– Je ne compte pas te tuer, dit alors la mercenaire.

Henri devait afficher une mine vraiment ébahie car Albine partit alors sur un franc fou rire.

– Quelle tête d’idiot tu fais, lui dit-elle. Je t’ai pourtant dit que je venais te sauver. Le grand héros de Maxaberre…délivré de sa captivité par mes soins.

Elle se tourna vers Raimund et le montra du doigt en ajoutant :

– Au passage, j’ai capturé cet individu, un ennemi de la nation et un criminel de guerre coupable de nombre d’atrocités.

Elle se retourna vers Henri, affichant toujours son sourire moqueur.

– Maintenant, dis-moi, le comique : comment appelle-t-on une femme qui a sauvé un célèbre paladin du terrible seigneur de guerre qui le retenait prisonnier, capturant celui-ci au passage ?

– Une héroïne, répondit sombrement Henri, qui venait de comprendre.

Le sourire d’Albine se fit triomphant :

– Exactement. Et je pense qu’une héroïne comme moi recevra une très belle récompense de l’Assemblée. Un poste d’officier, par exemple. Comme tu le disais, c’est bien mieux payé et bien plus prestigieux que mercenaire.

Son visage afficha de nouveau une expression moqueuse :

– Je te dois cette ascension. Merci pour cela, paladin.

De rage, Henri baissa la tête. Il ne pouvait qu’admettre qu’Albine avait gagné cette partie-là.

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