Les glâtissements furieux de Perce-Neige arrachèrent Oranne de son sommeil serein depuis désormais plus d’un mois. L’Oniscide se leva d’un bond, s’arma, s’habilla et sortit comme une furie de sa cabane et se rua dans celle d’Erthur. Dehors, Perce-Neige dessinait de grands cercles, ses cris perçants résonnèrent dans toute la vallée.
– Ils sont là! Hurla Oranne, ouvrant violemment la porte. Erthur ouvrit un œil puis bougonna. Des bouteilles de Kann vides entouraient son lit, trahissant ses excès nocturnes.
– Lève-toi ! Ils sont là ! Erthur ! L’homme se hissa difficilement hors de son lit et dit d’une voix si calme qu’elle agaça l’Oniscide :
– Va sonner la cloche d’alerte, j’arrive. Chacun sait ce qu’il a à faire.
L’Oniscide soupira et s’exécuta. La cloche d’alerte sonna furieusement dans la vallée et ses retentissements vinrent se perdre en échos sourds jusqu’au alvéoles perchées des dizaines de mètres plus haut. Aussitôt, des pas pressés et affolés se précipitèrent sur les passerelles, hommes, femmes et enfants prirent place à leur poste. Les ténèbres ébènes étouffaient les étoiles et la lune, refusant que cette nuit, ils offrent leur éclat. Cette opacité était un avantage considérable pour le peuple. Oranne décida de partir seule en éclaireuse afin de localiser l’ennemi. Elle n’avait qu’à suivre Perce-Neige. Les deux compères sortirent du fort végétal et progressèrent dans les bois, les sens en émoi. L’aigle se posa après moins d’un kilomètre de marche sur une branche à une distance sécurisante des premières escouades myrmidons. Celles-ci progressaient lentement, peinant à s’extraire de la végétation dense, les silhouettes à demie courbées et déformées par leur accoutrement et leur armement chassaient l’obscurité du petit faisceau de leur lampe. Savaient-ils précisément où les trouver ? La forêt était truffée de pièges, ce qui ralentirait les premières vagues ennemies. Oranne ne s’attarda pas, ne préférant pas se risquer à progresser davantage vers eux. Les Oniscides pourraient estimer leurs effectifs du haut des promontoires. Elle fit donc demi tour et alla prévenir les siens. Quelques Oniscides s’étaient rassemblés devant la cathédrale végétale autour d’Erthur qui tentait à chaque phrase prononcée de contenir ses relans d’alcool. Oranne se joint à eux, écoutant les directives. Son père adoptif savait exalter les foules, pousser les siens à donner le meilleur d’eux même. Ils les galvanisaient. Oranne l’interrompit et fit un compte rendu de ce qu’elle avait vu. Ils étaient à moins d’un kilomètre. Arkero suggéra que quelques uns se dévouent pour aller les accueillir à l’extérieur, au corps à corps afin d’égrener ceux qui atteindraient l’intérieur. Une vingtaine se proposèrent dont Oranne. Salomé, qui depuis le début s’était mêlée discrètement à la foule, se proposa aussi, bien qu’elle ne se soit jamais réellement battue. Cette nuit était pour elle l’occasion de vivre ses fantasmes guerriers autrement que par procuration. Cette nuit, elle pourrait faire ses preuves et partager cela avec Oranne, comme elles partageaient tout autrefois. Elle pourrait peut-être retrouver la complicité qu’elles avaient avant qu’Oranne ne décide de voyager. Erthur n’y vit pas d’inconvénient. Après tout, chacun était libre de faire ce qu’il voulait, d’estimer ses capacités. Mais Oranne connaissait celles de son amie.
– Salomé…je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée.
– Pourquoi ne devrait-il y avoir que toi à te battre Oranne ? Moi aussi je veux me rendre utile.
– Alors tu devrais te mettre en retrait avec les archers qui seront rapidement d’une aide précieuse. Mais s’il te plaît, ne va pas au corps à corps, ils vont te massacrer.
– Et toi alors ? Tu es invincible ? Tu es de chair et d’os autant que moi.
Oranne ne répondit pas et capitula, sachant que quoi qu’elle dise ou fasse, Salomé ne céderait pas.
– Reste près de moi alors. Salomé sourit, bien qu’agacée par le ton condescendant d’Oranne. Après s’être armée, la troupe sortit de l’enceinte Oniscide et se divisa en duos.
– Il faut les tuer ? Demanda naïvement Salomé.
– De préférence oui. Maintenant plus un bruit, suis- moi. Les deux jeunes femmes contournèrent une
escouade de six individus pestant contre les ronces qui leurs agrippaient les jambes et contre les branches dans lesquelles ils se cognaient régulièrement.
– Franchement pesta l’un d’eux, qui voudrait vivre ici ? Est-on seulement sûr qu’il y a ces sauvages d’Oniscides dans ce merdier ?
– D’après nos sources, ils ont été aperçus dans le coin. On les trouve, on les tue tous et on fait cramer leurs cabanes. Point barre. Ce sont des bêtes sauvages, cela va être simple. La présence de Salomé s’avérait être plus un handicap qu’un avantage. Oranne allait devoir non seulement faire le travail pour deux mais aussi veiller sur elle. Elle fit signe à son amie de la suivre en rampant. Telles deux prédatrices, elles se faufilèrent à quelques mètres de leur proie, prêtes à bondir. Salomé exultait, découvrant pour la première fois l’adrénaline meurtrière. Oranne bandit son arc, visa le talon du myrmidon fermant la marche et décocha sa flèche. Celle-ci se planta dans sa cible qui se mit à hurler de douleur. Les autres se retournèrent, pointant l’obscurité de leur arme, cherchant avec leur lampe l’ombre d’une menace. Le blessé retira la flèche en serrant les dents et tourna sur lui même plusieurs fois, faisant des signes silencieux à ses compères. Une seconde flèche se planta dans sa nuque et fit tomber le myrmidon à terre. Les autres paniquèrent, incapables d’identifier d’où venait la menace.
– A terre ! Ordonna l’un d’eux. Aussitôt, les cinq myrmidons se plaquèrent au sol, disposés comme les pétales d’une fleur afin de couvrir le plus d’espace possible et de surveiller les arrières de son voisin. Oranne tenta d’expliquer son plan à Salomé et s’éloigna d’elle. Elle grimpa à un arbre et atteignit une branche au dessus des myrmidons puis fit signe à Salomé de lancer l’assaut. Celle- ci décocha plusieurs flèches, visant les rares zones de peau nue de l’ennemi. Oranne décocha les siennes à son tour et se lança sur eux, machette à la main. Ce que vit alors Salomé la choqua tant qu’elle ne parvint plus à se concentrer et viser justement. Son amie d’enfance bondit de son perchoir et se jeta sur l’un des myrmidons auquel elle trancha la gorge. A peine relevée, du revers de la main, elle trancha l’arrière du genou d’un autre, puis, après une roulade afin d’éviter les balles du dernier, saisit l’arme d’un des cadavres et vida le chargeur sur sa dernière cible. L’Oniscide se releva lentement puis se dirigea vers le myrmidon à la jambe à moitié sectionnée et lui dit :
– Maintenant tu peux vraiment dire que nous sommes des sauvages. Elle lui enfonça sa machette dans le front avant qu’il ne tire.

Après avoir récupéré les armes des myrmidons, elle se dirigea vers Salomé, terrorisée.
– Tiens dit Oranne en lui tendant un revolver. Cela peut être utile.
– Alors c’est cela que tu as fait à Perspicaris ? Tu as appris à tuer des myrmidons ?
– On en discutera une autre fois. Viens. Salomé ne suivait plus son amie, mais une étrangère, un fauve, assoiffé de chaire et de sang. Comme elle avait eu tord de penser qu’Oranne serait toujours la même. Elle avait pour elle un mélange d’admiration et de crainte. Après quelques minutes de marche silencieuse, Oranne s’arrêta brusquement, tendant son bras pour retenir son amie. Un myrmidon était tombé dans un des pièges Oniscides, soit une grande fosse où l’avaient accueilli de grands pieux aiguisés. A entendre sa complainte, le piégé devait être bien amoché et ses coéquipiers tentaient à plat ventre de le sortir. Oranne et Salomé échangèrent un regard complice, foncèrent sur les myrmidons et les poussèrent dans le piège. Mais la cible de Salomé lui attrapa la cheville et l’entraîna avec lui. Ses deux partenaires ayant amortis sa chute, il n’était nullement blessé et pointa une première arme sur la tempe de Salomé et l’autre en direction d’Oranne.
– Maintenant cela va être très simple lui dit-il, soit tu m’aides à remonter, soit je la tue.
Oranne espérait que Salomé se serve de son poignard pour se sortir de là mais la jeune fille, prise pour la première fois de sa vie en otage, restait stoïque et tremblante, mesurant que cette nuit aux côtés d’Oranne n’avait rien d’un jeu d’ego. Oranne se baissa et tendit sa main au myrmidon, celui-ci lâcha Salomé et de l’autre main s’agrippa au rebord terreux du piège. Oranne profita que de son équilibre dépende la main qui tenait l’arme pour lui brandir sa machette de sorte à lui planter dans la nuque. Mais elle mésestima son adversaire qui saisit sa cheville et la ramena vers lui, lui faisant perdre sa stabilité. Oranne saisit son poignard dans son dos et lui planta dans le dos de la main. Puis lui donna un coup de pied dans la tête. L’homme retomba en arrière sur une flèche que tenait Salomé. Celle- ci, plutôt que de l’achever, se servit de l’amoncellement humain pour se hisser hors du trou. La jeune fille sortit ensuite son revolver mais Oranne l’arrêta.
– Non, surtout pas. On va alerter tout le secteur avec la détonation. Elle balaya les alentours et saisit une
grosse branche avec laquelle elle frappa la tête du myrmidon plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle sente sa boite crânienne céder.
– Rentrons maintenant. Les deux Oniscides rentrèrent rapidement. Les archers avaient prit leur place en haut des falaises, des séquoias, de chaque point culminant entourant leur empire sylvestre, prêts à repousser l’ennemi. Oranne souhaitait rester au corps à corps et si besoin se servir de son arc mais refusait que Salomé la suive. S’était-elle rendu compte qu’elle n’avait pas le niveau suffisant ? Qu’il ne suffisait pas d’avoir des armes et de la volonté pour vaincre ? De plus, bien que des ordres soient donnés et des plans établis depuis longtemps, l’Oniscide préférait agir seule et comme bon lui semblait. Erthur, escorté d’une dizaine des siens donna ses dernières directives d’un air serein tandis que l’angoisse de ce qui allait venir croissait chez le peuple. Tout était en ordre, il ne manquait plus que l’ennemi. Oranne comptait sur Perce-Neige pour donner le signal. L’excitation croissait chez chacun d’entre eux, bien décidés à se battre pour la justice, pour ce qu’ils avaient mis des années à bâtir, pour que leur famille puisse continuer d’y vivre sereinement. Mais était-ce seulement possible maintenant que la milice connaissait l’emplacement ? Quand bien même ils la repousseraient, d’autres reviendraient et perturberaient leur tranquillité. Fallait-il vraiment se battre ? Malgré ces diverses remarques qu’Oranne fit à Erthur en le prenant à part, celui-ci estima que oui. Ils se devaient non seulement de protéger leurs biens mais aussi de montrer toute la puissance Oniscide, d’honorer la légende et les autres peuples. Par loyauté et reconnaissance, tous les Oniscides le suivraient, quoi qu’il en coûte. Erthur n’avait qu’un ordre à donner pour tous les sauver : fuir. Mais son orgueil l’empêchait de prendre cette décision, il leur imposait ainsi sa volonté, sa bêtise. Les autres duos rentrèrent au compte goutte, échangeant leurs impressions puis Perce-Neige surgit de l’ombre et donna l’alerte avant de se poser sur l’épaule d’Oranne. Ils étaient là. Erthur lança le début de l’assaut et s’éloigna, escortés de ses gardes du corps. La première vague d’archers déferla une pluie de flèches alors que les myrmidons n’étaient plus qu’à une centaine de mètres d’eux. Puissantes et précises, elles vinrent se planter dans les parties vulnérables du corps des ennemis, celles que leur équipement ne protégeait pas. L’obscurité ne leur permettait pas de pouvoir anticiper leur trajectoire
ni de localiser les archers dissimulés dans la végétation alentour. Ayant apprit de leur mésestime des Oniscides, les escouades suivantes s’avancèrent armées de casques et de boucliers, réduisant l’efficience des archers presque à néant. Oranne décida de ressortir, se sentant inutile à l’intérieur afin d’éliminer les survivants de la première strate de myrmidons. Elle s’éclipsa de sorte de Salomé ne puisse pas la suivre et se rendit à l’extérieur. La cité Oniscide était cernée. Les flèches pleuvaient, couvrant les plus courageux, qui, à l’instar d’Oranne terminaient le travail commencé par les archers. L’Oniscide se mouvait dans la pénombre, achevant les blessés, décapitant les rescapés, jouant avec les plus alertes. Dès qu’elle avait l’occasion, elle dépouillait les cadavres de leurs armes afin d’en approvisionner les Oniscides. La seconde strate de myrmidons s’approchait dangereusement. Combien il y en avait-il ? Iraient-ils crescendo, se rendant compte que les sauvages qu’ils venaient tuer n’étaient pas aussi faibles qu’ils le pensaient ? Oranne se hâta d’achever son office jusqu’à ce qu’elle s’estime en danger et décide de contourner les escouades armées pour les abattre par surprise et anticiper une éventuelle troisième. Les myrmidons atteignirent les premiers remparts dont ils
devinèrent les ombres colossales et menaçantes. A peine les eut-ils frôlés que des coulées de sèves de chélidoines affectant les muqueuses et les voies respiratoires et d’arum maculé provoquant des troubles cardiaques à forte dose dégoulinèrent sur eux. Pour terminer, les Oniscides lâchèrent des cuves de latex de mancenillier et de palétuvier aveuglant. Des cris et des quintes s’élevèrent, Oranne et les autres Oniscides restés dehors profitèrent de leur cécité pour fondre dessus et les massacrer, ne leur laissant aucune chance. Oranne aperçut Salomé, à plusieurs dizaines de mètres d’elle, figée devant l’innommable auquel elle assistait. Elle, était incapable de tuer, pourtant les circonstances lui simplifiait tellement la tâche. Ceux qu’elle connaissait depuis son enfance, ses voisins, ses amis, ceux qu’elle côtoyait au quotidien arrachaient la vie, montrant toute l’inhumanité dont ils étaient capables. C’était la première fois qu’elle voyait des individus autres que les Oniscides. Alors c’était cela l’Homme? Cette soudaine prise de conscience l’effraya davantage. Pourquoi tous ne pouvaient-ils pas cohabiter à l’instar des siens? Pourquoi se déchirer au nom de la vie en la volant aux autres ? Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas un myrmidon foncer vers elle, bien décidé à lui faire
porter le poids de la vengeance collective. Oranne perçut la menace, acheva sa victime et se rua vers elle. Mais la distance à parcourir était bien trop grande pour qu’elle puisse arriver à temps. Elle hurla le nom de son amie, priant pour qu’elle réagisse à temps. Salomé réalisa la menace trop tard mais parvint quand même à sortir son arme. L’homme se jeta sur elle, la plaqua au sol et commença à la frapper. Une détonation se perdit dans les nébulosités. Perce-Neige jusqu’alors occupé à s’attaquer à ces grosses proies inhabituelles se rua sur le myrmidon, piquant son crâne à grands coups de becs en attendant que sa maîtresse arrive et lui transperce de son sommet jusqu’à sa gorge. Le sang aspergea Salomé qui se dégagea difficilement, choquée et dégoûtée.
– Mer…merci Oranne.
– Remercie Perce-Neige. Répondit Oranne en aidant son amie à se relever. Je crois que tu devrais rentrer maintenant.
– J’ai voulu y croire, croire que toi et moi on était encore semblables, que moi aussi je pourrais aider, changer les choses. Oranne lui prit la main délicatement.
– Je suis toujours là Salomé. Tu peux aussi aider et changer les choses. Savoir tuer n’est pas la seule solution. Toi, tu es humaine, c’est ce qui pourra nous sauver.
– Tu l’es aussi Oranne, derrière…derrière cette façade.
– Parfois j’en doute. Mais aujourd’hui je n’ai pas besoin de l’être. Je vais te raccompagner.
Oranne déposa son amie devant l’une des entrées souterraines avant de regagner le front. Après plusieurs heures de lutte, il ne resta qu’un charnier béant de myrmidons et de quelques Oniscides. Tous attendaient une nouvelle strate mais celle-ci ne vint pas. Connaissant les myrmidons et leurs moyens, Oranne doutait que la bataille soit terminée. Était-ce une ruse ? Attendaient-ils qu’ils fassent jour ? Soit dans environ trois heures. La défense Oniscide avait été sans failles. Malgré quelques pertes, ils s’en étaient relativement bien tirés. Après une heure d’attente, les Oniscides se réunirent devant la cathédrale, rapatrièrent les corps à l’intérieur, quelques uns s’occupèrent de la thanatopraxie avant de pouvoir leur
offrir des funérailles décentes.
– Ils vont revenir dit Oranne devant l’assemblée. Bien plus armés. Ils nous ont sous estimés mais quand ils reviendront, ils ne feront pas les mêmes erreurs. J’ai entendu des myrmidons dirent qu’ils voulaient nous cramer.
– C’est notre plus grande menace coupa Erthur, feignant d’y avoir pensé tout seul. Je veux que les cuves d’eau soient remplies en permanence ainsi que celles de sèves. Préparez les toiles et rechargez tous les carquois. De même que je veux un Oniscide devant chaque piège de pierre en haut des falaises. Et tirez le plus de cordes possibles afin de faciliter les déplacements. Nous avons peu de temps alors tâchez d’être efficaces. Nous avons toutes nos chances. Battons-nous comme nous venons de le faire. Au travail !
Aussitôt, la cité végétale grouilla d’une effervescence guerrière, galvanisés, confiants, les Oniscides préparèrent la bataille à venir avec zèle. Les cueilleurs récupéraient les sèves toxiques et les faisaient bouillir dans de grandes marmites tandis que près du lac s’affairaient les Oniscides chargés de remplir les cuves d’eau. Les poulies effectuaient une danse verticale, baladant à travers les arbres le liquide précieux, les armes, les grandes cuves toxiques ainsi que des sacs de cendres et de feuilles émiettées. Si la marchandise montait, des cordages étaient jetées depuis les falaises et les séquoias, créant un immense saule pleureur dont les bras alanguis frôlaient la terre ferme. Des pierres de toutes tailles furent hissées en haut des remparts à la force des bras Oniscides ainsi que de lourds troncs d’arbres. Sur les arrêtes des falaises furent ajoutés une deuxième rangée de pieux aiguisés et du sable, rendant l’ascension déjà abrupte plus difficile. Tous les embouts des flèches furent remplis de liquide explosif ou paralysant, les cordes des arcs furent changées ou retendues. Chacun devait tâcher de s’armer le plus intelligemment possible en fonction du poste qu’il occupait. A l’aube, ils étaient prêts. Certains avaient réussis à se reposer afin d’être le plus énergique possible, d’autres, angoissés que ce repos soit leur dernier, veillèrent et guettèrent l’horizon. Le ciel se débarrassa de son voile turquin, dévoilant peu à peu les silhouettes ennemies progressant dans le lointain. La cloche d’alerte retentit pour la seconde fois, tous se précipitèrent sur les hauteurs afin de jauger l’ennemi. Les arbres s’écroulaient un à un sur son passage, de gros véhicules déboisaient leur sillage avec barbarie pendant que les escouades à terre dégageaient les branches devant eux. Autour de la cité graminée, la végétation s’inclinait devant une force
supérieure. L’homme faisait ce qu’il savait faire de mieux : détruire son habitat naturel pour son profit. Les feuillus centenaires étaient éventrés, amputés, dépecés, décapités, les plantes rampantes écrabouillées, souillées de carburant, réduites à néant. La progression des myrmidons était rapide, organisée, redoutable. Plus les arbres tombaient, plus les Oniscides apercevaient l’armée monstrueuse qui broyait leur territoire et cheminait vers eux. Oranne avala sa salive. Ils n’avaient aucune chance. Elle se jeta sur une corde et se laissa glisser jusqu’en bas, décidée à parler à Erthur. Mais il demeurait introuvable. Arkero et Isea traversèrent non loin d’elle, chargés d’armes et de carquois. Elle les interpella :
– Vous avez vu Erthur ?
– Non pas depuis un moment, il était sur les remparts et je l’ai vu descendre avec une dizaine de myrmidons répondit Isea.
– On n’a aucune chance. Ils vous nous massacrer. Cette nuit n’était rien à côté de ce qui nous attend abandonna Oranne, espérant trouver du soutien chez le couple.
– Il faut qu’on essaie, Erthur pense qu’on a toutes 148
nos chances et je le crois aussi. Regarde autour de toi, tous veulent se battre, défendre leurs biens et les leurs. Où est passée ton âme guerrière Oranne ?
– Elle est là s’indigna t-elle. Ce n’est pas la question, je suis juste réaliste. Je n’ai pas envie de piétiner des cadavres Oniscides en tentant de sauver ceux qui restent. Je ne veux pas vous perdre pour une cause perdue d’avance !
– Cette cité est tout ce que nous avons, nous croyons en ses valeurs alors nous devons nous battre pour, au moins essayer. Ce sont les ordres d’Erthur tenta de se justifier Isea.
Oranne s’éloigna écœurée et entreprit de chercher Erthur et lui parler avant qu’il ne soit trop tard. Où pouvait-il être ? Soudain, un sifflement sourd retentit, avant que les Oniscides puissent comprendre son origine, les remparts est explosèrent, projetant des débris de bois enflammés qui embrasèrent les alentours. De hautes flammes s’élevèrent et commencèrent à dévorer la forteresse végétale, formant une brèche par laquelle les troupes d’Orbis s’infiltrèrent. Les pièges Oniscides furent déployés mais la sève n’avait plus aucun impact sur les myrmidons,
casqués, masqués et protégés par des combinaisons. Ceux-ci abattirent froidement tout ceux qui se trouvaient sur leur passage, hommes, femmes, enfants sans aucun discernement, sans aucune humanité. Certains furent écrasés par les chars qui tiraient des projectiles aveuglement, traversaient les flammes, détruisaient tout sur leur passage. Une centaine de flèches explosives vinrent s’abattre dans le brasier et disloquèrent les véhicules infernaux ainsi que leurs occupants. Tous les Oniscides s’élevèrent afin de déverser tous leurs projectiles dans la vallée. Mais le flot myrmidon avait déjà envahît les hauteurs, déversés par des véhicules aériens, contournant ainsi les pieux. Postés en haut des falaises, ils balayaient par rafales de balles les alentours, refermant peu à peu leur piège sur les Oniscides. De part et d’autre comme dans la vallée, ils étaient cernés. Il fallait fuir. Oranne se balançait dans les airs, accrochée à une corde et tranchait tout ce qu’elle pouvait sur son passage. Sa vitesse empêchait les myrmidons de l’atteindre, par moment, elle jetait dans les flammes des fioles explosives à côté d’eux puis remontait sur sa corde pour éviter les projections de chair et de sang. Les pierres et les troncs dégringolaient de part à d’autre des remparts, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, les myrmidons étaient partout, proliféraient et ne pouvaient atteindre les Oniscides, suspendus entre ciel et terre, protégés par ce qu’il restait de leur puissance végétale et des parois rocheuses. Les enfants lapidaient les myrmidons, cachés dans les branchages, avec des fioles paralysantes et explosives alors que leurs mères affolées, les appelaient entre deux flèches. La milice, alourdie par son équipement peinait à atteindre les Oniscides, rapides et alertes. Seuls leurs explosifs pouvaient prétendre à les anéantir. Il fallait tuer la végétation pour les réduire à néant, sans elle, ils n’étaient que des petits vers vulnérables. Les autres chars restèrent à une distance sécurisante et bombardèrent ce qui restait de la cité, la réduisant pour moitié à un tas de sciure et de chaire. Pour Oranne, c’en était trop. Il fallait fuir avant de périr. Erthur restait invisible, elle ne l’avait vu nul part. Elle arrêta son jeu et se laissa tomber sur une passerelle puis se dirigea vers la cabane de son père adoptif. Vide. Ses affaires avaient disparu. Folle de rage, elle ouvrit les placards, il ne restait que le mobilier, plus aucune trace de lui. Il ne pouvait quand même pas avoir fait cela. Elle refusait d’y croire. Des craquements interrompirent ses fouilles. Les poutres d’une alcôve du niveau supérieur vinrent s’écraser sur celle d’Erthur puis s’affaissèrent sur le toit avant de le transpercer, laissant juste le temps à Oranne de se jeter sur la passerelle extérieure. Derrière elle, la cabane s’écroula. Elle évita de justesse les débris projetés par l’impact et regarda les alentours. Le nombre de myrmidons dépassait celui des Oniscides et bientôt il n’en resterait plus aucun. Là où la milice échouait, les flammes triomphaient et dévoraient férocement le bois qui leur était offert. Les quelques cuves d’eau ne suffisaient pas. Elle croisa le regard d’un des soldats regardant avec effroi ses cibles terrifiées qui tentaient de sauver leur vie. Pendant une fraction de seconde, ils partagèrent le sentiment d’absurdité de cette bataille inégale. Oranne resta stoïque, guettant les mouvements de cet être humain forcé à tuer par devoir. Un de ses collègues n’eut pas son hésitation, le poussa et tira sur Oranne, qui rattrapa à la passerelle un niveau plus bas avant de se laisser tomber dans le lac afin d’éviter la pluie de balle s’abattant sur elle. En se hissant sur le rebord, elle aperçut Salomé longeant le lac, les bras chargés de carquois. Oranne l’appela plusieurs fois avant que son amie ne la voit, trempée et aplatie dans la boue. Oranne se releva et lui fit par de son idée de fuir.
Celle-ci l’accueillit avec réticence, n’affectionnant pas l’idée d’aller à l’encontre d’Erthur. Oranne s’énerva :
– Mais tu te rends compte de la situation ? Regarde, regarde tous ces cadavres ! D’ici peu nous en serons aussi si nous ne fuyons pas.
– Mais Erthur a dit que…
– Je sais très bien ce qu’a dit Erthur ! Coupa Oranne, et tu trouves son idée brillante ?
Concluante ? Tu sais où il est actuellement ? Non hein ! Il est parti, il a prit toutes ses affaires et il a fuit. Quel héros ! Quel chef !
– C’est impossible, il n’a pas pu faire cela. Tu te trompes.
– Je me trompe ? Tu crois que cela me fait plaisir de porter de telles accusations sur celui qui m’a recueilli et que j’ai considéré comme mon père ? Il nous pousse à lutter et lui fuit ? Comme un lâche ? C’est ce que l’on a de mieux à faire.
– D’accord, je te suis.
– Il faut le dire aux autres en disant que c’est l’ordre d’Erthur.
– Tousnefuirontpas.
– Ce n’est pas notre problème. Au moins ils seront
au courant qu’ils peuvent le faire.
Les Oniscides avaient épuisés leurs pièges et les munitions de flèches et bientôt cela serait leurs forces. Salomé leur apporta les derniers carquois avec l’opportunité de fuir. Pour beaucoup, cette possibilité fut un soulagement. Ainsi, les Oniscides se toisèrent, essayant de se persuader que personne ne les jugerait s’ils quittaient leur poste. En quelques minutes, la plupart finirent par le quitter. Les myrmidons profitèrent de cette déclaration de forfait pour abattre les moins vigilants, soulagés à l’idée de quitter ce champ de bataille. Oranne attendit que la cité se vide des siens pour déverser les cuves de sèves restantes et celle de liquide explosif dans la vallée puis regarda les myrmidons brûler vifs, se jeter dans le lac, se débarrasser de leur équipement pour ensuite inhaler de la sève et la laisser les terminer lentement. La panique générale laissait le temps aux Oniscides d’emprunter les passages souterrains les menant en sécurité dans la forêt. Oranne s’assit sur le rebord d’une cavité rocheuse où était entreposé le bois et regardl’empire sylvestre se décimer. Pourquoi la milice cherchait- elle Erthur ? Était-ce la raison de cette haine et soif de destruction jusqu’alors injustifiée ?

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