J’ai une folle hystérique sous les yeux. Je la vois gesticuler dans tous les sens, son visage devenu rouge sous la panique. Ses yeux déjà globuleux sortent presque de leurs orbites.

– C’est pas possible !! C’est sensé nous protéger ! On va tous mourir !

J’hésite entre la laisser tourner en rond comme un chien après sa queue ou l’attraper par le col et l’enfoncer dans son siège. Tous mes sens sont en ébullition. Je perçois l’impatience des démons. Ils sont aussi excités que moi. L’odeur du sang à venir me monte déjà au nez. Mes mains ne démangent tellement j’ai envie de caillasser des petits toutous à leur papa. Je resserre malgré moi ma prise autour de ma matraque. Blablabla, blablabla, elle m’exaspère. Plus je la regarde, plus je sens ce courant électrique remonter le long de ma colonne vertébrale. Avant de m’en rendre compte, ma main gauche se retrouve sur le cou de la Belle au Bois dormant et je sens mes ongles s’enfoncer dans sa peau.

– Tu me tapes sur les nerfs Laila. Boucle-là deux minutes tu veux ?

Tout le monde se fige, totalement terrorisé. Laila elle s’est arrêtée de respirer. Son visage est à présent livide.

– Ca va, ca va … prends une bouffée d’air, tu risques de mourir asphyxiée, lâché-je après avoir retiré ma main. Et essuie ton cou, ils sont attirés par l’odeur du sang.

Je recule histoire de lui laisser un peu d’espace, et plus je recule, plus je les sens se détendre.

« Qu’est-ce qu’on attend alors ? Pourquoi tu as barricadé la porte ? On n’a plus aucun moyen de sortir ! Ils vont débarquer, monter et nous cueillir ici parce que mademoiselle en cuir rouge a eu la bonne idée de nous enfermer … »

Alors qu’ils perdent tous les pédales un à un, un flash attire mon attention de l’autre côté de la vitre. Je préfère me concentrer sur ce que je viens d’apercevoir plutôt que sur les zigotos qui se réveillent de leur long sommeil juste à côté. Je m’avance prudemment vers la fenêtre centrale où je me trouvai plus tôt tout en leur intimant du bras de ne pas s’approcher et par la même occasion, de se la fermer. Le silence s’installe subitement. Tandis que la masse bouillonnante de démons apparait sous mes yeux, je guette le moindre mouvement, la moindre couleur et le moindre son dans le cas d’un éventuel projectile. Mis à part des hordes de Krollers, d’Amanites, de Crashit et j’en passe, rien ne semble constituer un danger immédiat. Rassurée, je me retourne vers mon assemblée. Moi qui aurais bien eu besoin de soldats me retrouve entourée de chèvres, les gueules ouvertes et les yeux aussi ronds que des boules de pétanque. Je me suis vraiment fourrée dans un sacré merdier. Afin de ne pas attirer l’attention sur nous, je me baisse et m’éloigne des vitres pour revenir à mes verts pâturages.

– Les Démons présents ne sont pas très intelligents. Ils vont d’abord investir le bâtiment central. On va attendre patiemment que la foule se dissipe, puis nous prendrons nos petites armes et nous descendrons botter quelques fesses avant de nous volatiliser derrière les barrières de la rue publique. C’est assez clair ?

Mon petit troupeau acquiesce. Il me regarde comme si j’étais leur dernier espoir. Ce qui est très certainement le cas. Mais si mon plan échoue, il y a 99% de chance que je finisse seule survivante. Et le gros inconvénient : je me retrouverai seule à assurer la permanence téléphonique, ce qui est parfaitement inadmissible.

Peu de temps après que la barrière ait cédé complètement, un cri percent s’élève du centre médical. Des hôtesses ? Des patients ? Qui peut être assez stupide pour ne pas sortir en voyant ces monstres baveux tambouriner à sa porte. Voilà qui complique ma tache. Non seulement je dois sortir mes petites chèvres, mais je vais devoir aussi retourner chercher les brebis égarées. Survivre lorsqu’on est encerclée par des démons n’est pas bien compliqué, mais survivre et protéger des moutons est quasiment impossible. Si on veut sauver sa propre vie, il faut accepter la mort des autres. Je décide d’attendre encore dix minutes, histoire de n’avoir à affronter que des guetteurs. Pendant que mes compagnons jacassent comme des pies, je m’assois sur le bureau vide de feue ma responsable et j’observe la salle. J’ai intégré l’équipe sans vraiment penser que j’y passerai ma vie entière. La plupart était des anciens de la boîte. Je me sentais toute petite comparée à eux. Ils déambulaient dans les allées avec une aisance que je leur enviai. Ils arrivaient à maintenir une ambiance très agréable, du moins en apparence. A l’époque le bruit emplissait toute la pièce, et il était très difficile de s’entendre penser. Le plateau transpirait la vie, et moi je peinais à obtenir une bouffée d’air. Aujourd’hui, les joyeux gaillards ont perdu de leurs couleurs et moi je pète la forme. Je descends du bureau et annonce avec toute l’excitation qui s’empare de moi :

– Mes cochons, c’est l’heure !

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