Sur Eris, Tiago reprit ses habitudes et se fit livrer des produits frais pour le dîner. Haïp fut surprise de cette initiative, et s’habilla plus légèrement dans cet appartement où il faisait bon. Elle découvrit, pour la première fois l’art de la cuisine. La jeune femme n’avait jamais connu autre chose que les plats déjà préparés par les grands groupes industriels établis sur Terre, et Tiago insista lourdement pour lui faire goûter un vrai plat, avec de vrais ingrédients ! Elle comprit alors l’utilité de cet îlot central qui contenait une table de cuisson et un four. Le ravitaillement de la ceinture de Kuiper était un marché juteux, tout le monde le savait. Les produits frais étaient devenus la principale ressource d’une économie souterraine, car initialement réservés aux Terriens. Certains colons redécouvraient les plaisirs simples de la cuisine, mais les prix étaient très prohibitifs, et leurs utilisations réservées à une poignée de privilégiés. Haïp ne posa aucune question sur la provenance des produits, se contentant de profiter d’un moment apaisant et agréable. Elle était très amusée de l’image qu’il lui renvoyait, un tablier autour de la taille et un verre de vin de contrebande à la main. Cet homme qu’elle connaissait, certes, à peine, lui montrait un tout autre visage que celui du provocateur impoli. Elle continuait d’assembler ce jeu de patience qu’était l’analyse de sa personnalité, mais au bout d’un moment, elle décida de profiter simplement de ce moment. La confiance commençait à s’installer, et avec un tel personnage, ce n’était pas une mince affaire !
— Ça sent vraiment très bon ! Fit Haïp, en appétit. Qu’est-ce que c’est ?
— C’est l’odeur du curry.
— J’avais déjà goûté des plats au curry, mais ils n’avaient pas cette odeur !
Il prit un peu de jus de cuisson dans une cuillère, souffla dessus pour le refroidir et lui tendit pour qu’elle goûte.
— C’est chaud… fais attention.
Haïp avala une gorgée, suffoqua un petit peu à cause de la température, mais adora l’explosion de saveur dans son palais.
— C’est délicieux.
— Je sais.
— C’est une passion ?
— C’est un interrogatoire ?
— J’ai une devinette à découvrir !
Tiago esquissa un sourire qui fit plaisir à Haïp, car il était sincère. Les premières impressions qu’elle s’était faites sur lui furent confirmées à mesure de leurs échanges. Il dégageait grande une assurance et beaucoup de certitude dans son discours, mais elle en était sûre, elle le sentait, le fond était bon. C’était un très bon orateur, très mature dans ses opinions, elle comprenait désormais d’où lui venait sa réputation de leader. Cette conclusion faite, elle ne s’était pas aperçue que son réflexe inné de faire de la musique avec ses doigts en tapotant sur la table avait interpellé Tiago. Elle le faisait lorsqu’elle était bien, et cela faisait un an que ça ne lui était pas arrivé. Il l’invita à continuer, et elle joua des rythmes de percussions avec ses mains, se servant de tout ce qu’elle avait autour d’elle pour faire des sons. Tiago fut impressionné par ce solo harmonieux et entraînant.
— Où as-tu appris à jouer ? Demanda-t-il.
— Je ne sais pas. C’est naturel, je sais le faire, c’est tout.
Dans un premier temps, Tiago prit cela pour de la prétention, mais son air perdu à ne pas avoir de réponse à lui donner, finit par le convaincre qu’il n’y avait aucune trace de vanité dans son explication.
À la fin du repas, Tiago patientait devant la porte de son appartement, et marquait une impatience toute relative à devoir attendre sa cavalière qui finissait de se préparer. Il n’était pas enchanté à l’idée de l’emmener, mais il connaissait le système, et malgré son caractère obstiné, elle n’y entrerait pas.
— À la naissance de l’humanité, une femme, ça prenait déjà son temps ! Soupira-t-il.
Il s’était habillé de façon sobre pour sortir, un tee-shirt mauve sur un pantalon tendance noir. Il enfila une veste de la même couleur, longue jusqu’aux cuisses quand Haïp sorti enfin de la salle de bains. Une robe verte d’eau en fuseau et légèrement fendue sur un côté, des épaules nues sous des cheveux détachés, avec ce léger maquillage la rendait méconnaissable. Tiago eut du mal à reconnaître la femme avec qui, il s’était battu quelques heures plus tôt. Il ne put s’abstenir de mettre son bras en travers de la porte pour l’empêcher de passer lorsqu’elle s’apprêta à sortir.
— Tu es extrêmement ravissante, murmura-t-il.
Ils se retrouvèrent face à face devant la porte d’entrée, et il poursuivit en rapprochant son visage du sien pour lui adresser son regard le plus charmeur. Malgré tous ses efforts, elle paraissait complètement insensible.
— Si tu dois jouer ma petite amie, il va falloir que l’on soit crédible, poursuivit-il.
Haïp ne baissa pas les yeux. Même avec son regard là, elle resta impassible, de glace. Tiago s’avoua qu’elle serait plus coriace qu’il ne l’avait prévu.
— Qui a dit qu’il fallait que l’on soit un couple ? Répondit-elle.
— Je n’ai pas de petite sœur, ironisa Tiago, en remontant délicatement de la main une mèche qui retombait sur le visage de la jeune femme.
Pour dissiper tout malentendu inutile, Haïp décida de lui révéler quelque chose sur elle, sur les Amazones, quelque chose que personne ne savait.
— Pourrais-tu me donner ta main ? Dit-elle, tout doucement.
Il n’eut pas le temps de l’enlever qu’elle emmena ses doigts sur un côté du crâne, en arrière puis de l’autre côté. Il ne comprit pas tout de suite ce qu’elle voulait faire avant de sentir, sous ses doigts, des petites boules grosses comme des têtes d’épingle réparties sur toute la boîte crânienne et cachées sous la chevelure.
— Est-ce que tu sens, ça ? Continua-t-elle, en ne le lâchant pas du regard.
— Qu’est-ce que ? Balbutia-t-il.
— En plus de prêter un serment quand on embrasse la vocation d’Amazone, on nous greffe sur le cerveau des puces électroniques, avoua-t-elle, d’une voix fébrile. Elles bloquent toutes sécrétions d’hormones provoquées avec les sentiments amoureux. Et dans mon cas, elles fonctionnent très bien.
Le jeune homme accusa le coup, retira sa main, mais n’abandonna pas, refusant de s’avouer vaincu au premier round !
— Il n’y a pas un p’tit bouton off ? Fit Tiago, semblant la supplier du regard.
Haïp esquissa un léger rictus face à son entêtement presque honorable.
— Désolée, dit-elle, en penchant légèrement la tête sur un côté.
Tiago tenta tout de même une dernière cartouche,
— On n’est pas obligé de parler sentiments.
— Tu n’as donc pas de limite ? Soupira-t-elle.
Il se redressa, retira son bras pour la laisser sortir et ferma sa porte. Tiago fut piqué d’une certaine frustration, et ce n’était pas un sentiment très agréable ! Elle n’avait pas baissé les yeux, à aucun moment. Charmante, chevronnée et donc inaccessible, de quoi donner à Tiago l’envie de se surpasser !
Haïp enfila un long manteau beige qui lui descendait jusqu’aux genoux et lui donnait une allure très chic. Prévoyante, elle prit, cette fois-ci, ce manteau si confortable qui fabriquait une légère chaleur au contact de la peau. Ils marchèrent dans le couloir et arrivèrent devant l’ascenseur, qui prit en compte leur présence par une lumière rouge.
— Pourquoi vous imposer une telle règle ? Demanda Tiago. Je ne comprends pas, comment on peut s’imposer de ne pas ressentir un sentiment, c’est absurde !
— Nous faisons une activité risquée. Être amoureuse peut nous conduire aux conflits d’intérêts, incompatible avec toute objectivité.
Tiago l’écouta se justifier pendant qu’ils entrèrent dans l’ascenseur, mais il se sentait perturbé par cette règle. Il le cacha très bien, et lui prêta une oreille attentive.
— Fonder une famille, c’est exposer, ce que l’on aime, à des vendettas. Il y a eu un précédent notable. La fondatrice des Amazones est morte dans des circonstances tragiques, assassinée à cause de son amour pour un homme. C’est après ce drame que cette règle fut imposée.
Arrivés au rez-de-chaussée, ils sortirent de l’ascenseur et se dirigèrent vers la sortie. Tiago lui laissa le choix entre le taxi et se promener dans le quartier à pied, mais même perchée sur des hauts talons, elle préféra de loin marcher dans ces rues qui lui semblaient magiques. Elle découvrit ce quartier aux traits architecturaux très typés, découpé de boulevards longs et rectilignes, de grilles de métal en fer forgé entourant des jardins somptueux. Des monuments et des sculptures décoratives donnaient une apparence majestueuse aux parcs et autres vastes espaces. Haïp était enchantée par ce lieu, tandis que Tiago, lui, était toujours intrigué par la greffe de ses puces sur son crâne,
— Et vous pouvez renoncer à ce serment ? Demanda-t-il. Certaines l’ont déjà fait ?
— Oui, certaines l’ont envisagé. D’autres l’ont fait.
— Donc quand vous voulez…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle l’interrompit,
— Toutes celles qui ont renoncé ont été tuées, dit-elle, avec émotion.
Haïp leva les yeux et examina avec attention le plafond du cube qui se trouvait à une hauteur vertigineuse. Elle ne se souvenait pas avoir vu une telle hauteur ailleurs. Le soleil artificiel s’était estompé depuis longtemps pour laisser place à une paroi sombre et des éclairages urbains très doux. Le cycle de la journée était fini depuis quelques heures maintenant.
— Et vous savez pourquoi ? Demanda Tiago, presque gêné.
— On ne sait pas. Personne ne sait.
Ils franchirent les grilles de sortie du quartier de Petrograd, et croisèrent un panneau indiquant leur entrée dans un nouveau quartier, baptisé par ses habitants, Bohême. Haïp fit connaissance avec un environnement plus modeste. Elle était déjà venue sur Eris, mais vers les cubes américains, français ou scandinaves, installés vers le nord, et ne souvenait pas avoir mis les pieds un jour dans cette partie de la planète. Les Russes, très majoritaires ici, avaient la réputation de laver leur linge sale en famille. Ils ne faisaient jamais appel à de l’aide extérieure. La milice locale semblait très efficace, les autorités officielles inexistantes. Puis, elle se souvint que les Amazones venues chercher Faraï, l’année dernière, étaient allées vers les cubes espagnols situés à l’est des quartiers russes.
— Tu es d’origine russe ? Demanda-t-elle.
Cette question le surprit avant de le faire rire.
— Quoi ? S’exclama Tiago. Pourquoi cette question ?
— Je reste une femme, je suis curieuse ! Ironisa-t-elle. Et j’ai un secret à découvrir !
— Tu ne lâches rien ?
— Jamais !
Tiago esquissa encore un large sourire, le troisième depuis leur rencontre, ce qui ne manqua pas la ravir, l’opération séduction fonctionnait à merveille.
— Eh bien, non, je ne suis pas un colon russe, avoua-t-il. Mais j’ai un travail où je n’ai pas que des amis. J’ai donc un très bon deal avec eux, et je peux vivre ici sans crainte.
— Ton indépendance n’est donc qu’une façade.
— Précise ta pensée…
— Elle t’intéresse ?
— Je tente l’aventure…
— Les Russes te protègent, et tu travailles pour eux…
— Et il m’arrive de rendre des services à d’autres clans, rivaux…
— C’est incompréhensible ! Comment peuvent-ils tolérer cela ?
— Le prix du talent !
— Pardon, une évidence que j’avais oubliée de souligner !
Haïp n’en tira qu’une conclusion : soit il ne lui disait pas tout, soit lui-même ignorait quelque chose. Ils continuèrent à marcher au milieu de la foule, et passèrent à côté d’un stade avec des jeunes habitants jouant une partie de basket-ball, un des rares édifices n’ayant pas subi de dégradation, avec cet immense château fort truffé de jeux enfantins. Le jour occupé par des enfants, la nuit par des adolescents commençant déjà à jouer les caïds, et fumant sous un écriteau l’interdisant. Plus loin, au centre d’une petite place, la statue d’un cosmonaute ostensiblement décapitée, et son expression inscrite sur le socle, copieusement graffée. Ils entrèrent dans un grand boulevard animé et populaire, avec des petits commerces exhibant des stands sur toute sa longueur. Ici, les horaires n’existaient pas, les contraintes étaient rares. Chacun vivait à son rythme, à sa façon. Malgré cela, ils étaient nombreux à manger dehors, sur le pouce, entre compatriotes. Sur Eris, le repas se résumait à des boissons consistantes, et des aliments reconstitués dont la qualité ne tenait pas toujours ses promesses. Alors, lorsque des produits alimentaires importés et interdits arrivaient dans les assiettes, ils avaient pris l’habitude d’en profiter ensemble. Les prix prohibitifs rendaient tout de même l’accès à cette nourriture très difficile. Sur Terre, les pollutions massives des sols ne cessèrent qu’au milieu du XXIe siècle, mais le mal était fait. Conjuguées aux constructions massives pour loger la population sur un espace réduit par la montée des eaux de mer, les terres agricoles salubres propices aux cultures étaient devenues rares. Les Terriens étaient les premiers servis sur les produits naturels, rejetant, pour des raisons idéologiques, tous les produits de synthèse. La grande famine du XXIe siècle avait laissé des traces indélébiles.
« La rareté impose des choix difficiles » avait scandé un Conseiller.
« Ceci est une définition de la spéculation ! » lui avait répondu un opposant.
Des odeurs de sucre, de cuissons diverses remplissaient les narines d’Haïp, et cela réveillait des saveurs très agréables plus appétissantes que ce que devait manger officiellement tout colon. Tous ceux qui étaient nés dans ce système avaient appris à vivre avec cette habitude, et seuls les nouveaux exilés mettaient du temps à s’adapter.
Des artistes en herbe erraient dans les rues, et des spectacles de danse ou de cirque s’improvisaient. Plus loin, ce fut un apprenti magicien qui tentait d’émerveiller son public, puis d’un cracheur de feu qui bravait l’interdiction des flammes dans un cube pour faire son spectacle. Tout était bon pour gagner un peu d’argent. Pour s’offrir à manger, chacun devait se débrouiller comme il le pouvait. En contrepartie de leur venue, chaque habitant avait son toit, et les loyers n’existaient pas, résultat des premières lois sur l’exil. Tous les arguments, à l’époque, étaient bons pour inciter les Terriens à prendre un aller simple pour Eris et MakéMaké. Mais au fil du temps les habitants avaient créé une monnaie et leurs règles de vie. Toutes celles qui avaient été importées par le Conseil de Sécurité, avaient vite été abandonnées. Haïp insista pour s’arrêter prendre un verre dans un des bars de la rue, mais Tiago préféra l’emmener dans une adresse vendant de la bonne contrebande. Lorsqu’ils entrèrent, elle entraperçut une pièce de jeux clandestine à peine dissimulée derrière d’épais rideaux. Ils prirent un verre au comptoir, et reconnurent immédiatement un groupe de nouveaux arrivants discutant à une table, arborant tous le même regard, hagard, perdu, déboussolé. Cette attitude quelque peu maladroite attira l’attention de leurs voisins de table et une conversation spontanée s’enclencha. Haïp alluma la fonction traducteur de son driver et écouta les conversations autour d’elle. Ils échangèrent des banalités sur les différences des conditions de vie entre la Terre et ce système. Mais ce fut quand l’un des néophytes exprima son étonnement face à l’absence de loi qui déclencha la réponse la plus cinglante.
— Ici, il n’y a qu’une seule loi, celle du plus fort. Si un jour tu l’as oublié, c’est que tu es mort…
Tiago remarqua le manège d’Haïp, et en fut surpris.
— Tu comprends ce qu’ils disent ?
— J’ai quelques bases de russe, mais mon driver fait le reste…
— La traduction du russe est…
— Introuvable… c’est vrai… sauf chez nous…
— Comment ?
— Ça t’épate ? ? ? Chacun ses secrets !
Elle but le reste de son verre cul sec, puis sortit avec un sourire railleur et taquin. Quelques instants plus tard, ils arrivèrent dans une rue où l’animation était plus forte qu’ailleurs. Haïp repéra la boîte dont lui avait parlé Tiago et ils arrivèrent au milieu d’un petit attroupement formé devant l’établissement l’« Antika ». L’endroit était très en vogue.
— Il y a beaucoup de monde, ça va prendre un siècle de rentrer, pesta Haïp.
Tiago la regarda et esquissa un sourire. Elle se demanda ce qu’il y avait de si drôle dans ce qu’elle venait de dire. Arrivée devant la boîte, elle put lire sur quelques écriteaux, les mentions : « arme interdite » ou bien « vente de substance illicite interdite » sur des façades très colorées. La traduction en cyrillique était sur toutes les affiches, et Haïp parvint à fouiller dans ses plus lointains souvenirs pour les comprendre. Tiago passa entre plusieurs badauds et arriva devant un grand blond, se tenant devant la porte d’entrée avec des videurs. Ils se firent une accolade chaleureuse qui fit comprendre à Haïp qu’il ne serait pas si long de rentrer !
— Tiago ! Comment vas-tu mon ami ? Dit le grand blond.
— Isaak, comment vas-tu ?
Il était très grand, au moins 1 mètre 90 pour une carrure tout aussi imposante. Il était, à lui seul, une dissuasion pour toute personne souhaitant se faire trop remarquer. Tout le monde parlait russe, mais pour Tiago, il utilisait l’anglais. Son accent était fort, mais il maîtrisait la langue, cela se sentait.
— Tu es de retour à la maison ? Demanda Isaak, avec un large sourire.
— Tout juste !
Le colosse passa son regard derrière Tiago, qui n’était pas plus petit que lui, et remarqua que son ami n’était pas venu seul. Il ne l’était, d’ailleurs, jamais. Il poussa amicalement son ami et fit signe à Haïp de s’approcher.
— Tu es bien accompagné à ce que je vois. Bonjour, je m’appelle Isaak, et vous ? Charmante dame ?
— Je m’appelle Haïp.
Le videur lui serra délicatement la main, faisant bien attention de ne pas la serrer trop fort. Beaucoup de ses conquêtes lui reprochaient de ne pas mesurer sa force.
— Haïp, comme c’est charmant, dit-il avec un air de grand dragueur.
— Et ça va aller, vieux frimeur ! ! Intervint Tiago.
Il prit Haïp par la taille, contourna son ami et la guida pour entrer. Le brin de jalousie de Tiago amusa beaucoup Isaak. C’était dans ses habitudes d’être très gentleman avec ces dames, tant qu’elles n’étaient pas trop envahissantes. Isaak accompagna le couple dans le hall d’accueil de la discothèque dans lequel il faisait très chaud. Le choc thermique avec l’extérieur était énorme, et Haïp retira immédiatement son manteau.
— Où sont les vestiaires ? Demanda-t-elle.
Isaak lui montra la direction à suivre avec son plus beau sourire, n’hésitant à la déshabiller du regard. Haïp prit le manteau de Tiago et s’approcha d’une rangée de casiers. Elle posa ses empreintes digitales sur une des façades dont la porte s’ouvrit, et plia proprement les deux manteaux très chauds, faits pour lutter contre le froid polaire qui régnait dehors. La température baissait d’intensité de façon notable à la fin d’un cycle de douze heures, car le but était de simuler la nuit à la fin d’un cycle de journée. Les scientifiques, qui avaient mis au point ce système, l’avaient prôné officiellement pour le rythme biologique de chacun. Mais la raison officieuse était qu’il fallait trouver des moyens de rationner l’énergie consommée. Isaak profita de l’absence provisoire d’Haïp, pour parler à Tiago.
— Tu tombes bien, lui chuchota Isaak, le visage proche du sien. Viktor est là, cela fait des semaines qu’il te cherche, tu n’as pas eu ses messages ?
Tiago, qui continuait à observer Haïp, fit un signe de la tête voulant dire non. Ce qui était un mensonge, il les avait tout simplement ignorés.
— Il prépare un gros coup, continua Isaak. Il te veut dans son équipe.
— Quel gros coup ?
— Je ne suis pas dans la confidence. Mais il a demandé à tout le monde si quelqu’un savait où tu étais.
Isaak jeta un coup d’œil inquisiteur autour d’eux, salua de loin un groupe de jeunes noctambules, et continua de faire attention qu’aucune oreille indiscrète n’entende leur conversation.
— Cela fait des semaines qu’il délaisse les affaires, fit Isaak, un brin énervé. Et ce n’est pas bon de laisser le champ libre comme il le fait. La concurrence s’en donne à cœur joie !
La présence des Colombiens à la station de métro « ermitage » était donc claire pour Tiago, ils s’étaient emparés du secteur. C’était Viktor qui dirigeait les affaires plus ou moins légales dans ce cube, et il était loin d’être un patron respecté. Mais pour une raison inconnue de Tiago, il était protégé par quelqu’un de plus puissant, du moins, c’est ce qu’il pensait. Il ne voyait pas d’autres explications à son maintien à la tête du clan russe.
— J’ai été très occupé, mais maintenant, ça va mieux.
— Elle est charmante, lui fit Isaak en déshabillant Haïp des yeux. C’est possible de… ?
— Tu n’as aucune chance…
— Je peux tenter ?
— Tu peux dire à Viktor que je suis là s’il veut me voir.
— C’est bon de te revoir vieux frère ! Fit Isaak, en lui donnant lui accolade virile épaule contre épaule.
Il se dégagea de l’entrée et repartit dehors lorsque Haïp revint auprès de Tiago. Il la prit par les épaules et se dirigea vers la salle de danse. Sa robe devint scintillante dès son entrée sous les projecteurs, et toute la partie du tissu partant de ses hanches vers la naissance de sa poitrine devint transparente. Tiago souffla, et se mit à détester les puces électroniques qu’elle avait dans le cerveau. Il la prit par la taille et se dirigea vers le bar situé au centre de la salle. La musique était forte, électronique. Tout le monde bougeait en rythme. Des hologrammes de femmes dansant sur des podiums mettaient une ambiance de feu tandis que des danseuses se déhanchaient sur des barres, portant des bottes qui remontaient jusqu’aux cuisses et perchées sur des hauts talons surdimensionnés. Elles n’étaient habillées que d’un short et d’un bustier avec le reste du corps recouvert de pastilles brillantes en imitations diamants. Leurs cheveux étaient longs avec des couleurs plus ou moins farfelues. Le maquillage, outrancier, changeait de teinte grâce aux lumières des projecteurs.
Les murs possédaient des écrans de couleurs vives qui reflétaient la salle et les danseurs. Tiago fit maintes fois des signes de la tête pour saluer plusieurs de ses amis. Quand tout à coup, toute la salle fut remplie d’une fumée blanche qui monta sur un mètre de haut, accompagnée d’un courant d’air chaud. L’effet provoqua des cris de joie mêlés d’hystérie ! Même si l’endroit se voulait irréprochable avec ses écriteaux sur la façade, Haïp n’était pas dupe de la clientèle de cette boîte qui donnait l’impression d’être sortie tout droit des bas-fonds des cubes sud. En arrivant au bar, elle avait bien remarqué que Tiago était un habitué des lieux.
— C’est ton fief ici ? Demanda-t-elle, en se collant à lui à cause d’une musique trop forte.
— Disons que je viens de temps à autre, dit-il, en espérant minimiser les faits. Qu’est-ce que je t’offre ?
Haïp regarda le mur de servitude trônant derrière le bar, illuminé des boissons disponibles, et lui montra un cocktail. Tiago appela la barmaid, une rousse sulfureuse et extravagante, aux formes généreuses. Elle se précipita vers le jeune homme et lui adressa une accolade bien plus que chaleureuse. La jeune femme ne manqua pas de saluer poliment Haïp avec un petit clin d’œil complice et le regard coquin.
— Tiago, chéri, dit-elle, en russe. Tu nous as manqué ! Tu m’as manqué ! Comment va ? Que veux-tu boire ?
Haïp comprit parfaitement la phrase et éclata de rire. Tiago ria à son tour et commanda à boire à la barmaid,
— Deux cocktails Santa-Monica, s’il te plaît.
Haïp aperçut un autre géant bond traverser la foule de la piste de danse, en se dirigeant droit sur eux. Tiago la vit ouvrir les yeux en grand devant cet homme très imposant au visage fermé. Mais quand Tiago se retourna, cela eut pour effet de donner le sourire à cet inconnu, et ça ne lui allait pas. Il était aussi impressionnant que les videurs de l’entrée. Ce colosse salua Haïp et se pencha vers Tiago.
— Bogdan ! Quoi de neuf ? Demanda Tiago.
— Ça fait plaisir de te revoir mon ami, répondit Bogdan. Viktor veut te voir… Seul.
— Et je laisse mon amie ?
— Viktor ne reçoit pas d’inconnu, tu le sais. Et ne t’inquiète pas pour ton amie. Ici, il n’y a pas de problème. On surveille tout, ne t’inquiète pas.
— Pas de problème ? C’est nouveau !
Bogdan lui fit un signe approbateur de la tête qui ne rassura Tiago qu’en partie. La réputation sulfureuse de ce cube n’était pas une légende urbaine. Mais la rixe du métro l’avait rassuré sur la capacité d’Haïp à savoir se défendre. Il se retourna et se colla contre elle pour lui parler à l’oreille, adorant jouer l’amant d’un soir.
— Viktor veut me voir seul. Je t’avais prévenu. Reste ici, je n’en ai pas pour longtemps.
Avant de se redresser, il lui adressa un doux baiser sur la bouche et ne put s’empêcher de rajouter un conseil :
— Sois très prudente, et rends-moi un service, n’embroche personne !
Haïp ne transpira pas une émotion et dut se résoudre à le voir suivre Bogdan au travers la foule de danseurs. La barmaid la rappela tandis qu’elle peinait à les garder à vue. Ils prirent un escalier et Tiago salua encore du monde en montant vers le carré VIP. Elle prit sa boisson, remercia la barmaid en russe, et eut juste le temps de voir Tiago arriver sur cette estrade qu’il disparut aussitôt derrière les filtres sonores qui séparaient les deux salles. Elle ne discerna pas son interlocuteur camouflé par cette barrière lumineuse faite pour préserver l’intimité de cet endroit privilégié. Sur la piste de danse, un homme arriva à côté d’Haïp et se mit à la dévisager, la mettant mal à l’aise. Elle commença à marcher dans la salle, tentant de le semer, et observant tout ce qui s’y passait.
Quand Tiago arriva dans le carré, il salua quelqu’un à toutes les tables avant d’arriver à la hauteur de Viktor qui se leva en affichant un large sourire, et vint lui faire une accolade.
— Tiago, mon vieux frère, fit l’espagnol. Comment vas-tu ?
— On se maintient !
— Toujours bien entouré, à ce que je vois !
Ils regardèrent dans la salle en direction d’Haïp, qui marchait tranquillement en buvant son verre. Le Santa-Monica était un cocktail bleu avec une petite fumée blanche qui se dégageait du verre. Quand elle but une gorgée, de la fumée lui sortit par les narines, et la surprit. Tiago fit un sourire affectueux de cet imprévu.
Viktor invita le jeune homme en lui montrant une table entourée d’un canapé rouge vif capitonné, d’une forme incurvée et épousant la rondeur de la table. L’espagnol prit le temps de dévisager Haïp quelques secondes, ressentant cette vague impression de visage qui ne lui était pas inconnu. Mais il ne préféra pas s’attarder à ce genre de détail, il avait plus urgent à traiter. Il fit face à Tiago en lui adressant le plus large de ses sourires, ravi de le retrouver après tout ce temps.
— Veux-tu boire quelque chose mon ami ? Demanda Viktor, en s’asseyant.
— Pourquoi pas… une vodka pomme, et s’il te plaît, pas coupé avec autre chose ! !
Viktor eut un rire moqueur, car les boissons étaient régulièrement coupées avec de l’eau. Il adressa un geste sec à la serveuse et commanda un verre de champagne pour lui. Elle partit sans attendre au travail vers le bar privé du carré tandis que les deux gardes du corps furent invités à s’éloigner avec une seule consigne, celle de réprimer les éventuelles oreilles indiscrètes. Enfin, en tête à tête, Viktor croisa ses bras sur la table et ne put s’empêcher de le taquiner de nouveau.
— Il faudra que je note le jour où je te croiserai avec la même femme deux fois de suite. Comment fais-tu ?
— Secret !
Ils rirent tous les deux quelques instants.
— En parlant de secret, enchaîna Viktor. Où étais-tu depuis tout ce temps ? Je t’ai envoyé une tonne de messages. J’ai des projets et j’ai vraiment besoin de toi !
La serveuse déposa les deux verres sur la table et repartit sans s’attarder.
— Pourquoi as-tu disparu depuis l’année dernière ? Poursuivit Viktor.
— Je suis là maintenant.
— Il paraît que tu étais sur Hauméa ?
— Et tu t’es inquiété pour moi ? Ironisa Tiago.
— Il paraît aussi que c’est toi qui as formé l’armée de Smith.
— Qu’attends-tu de moi ?
— Tu serais disponible pour un travail ?
— Ça dépend, combien tu paies ?
Une réponse comme Viktor les aimait et qui déclencha un ricanement de satisfaction.
— Que j’aime faire des affaires avec toi, dit-il.
Sur la piste de danse, Haïp flâna au milieu des fêtards en tentant de capter des fragments de conversation. Mais elle n’assista qu’à des trocs de produits interdits et autres passes de femmes aux mœurs légères. Rien qui ne concerne l’attaque d’Hauméa, personne ne s’en souciait. Elle arriva près du couloir des toilettes et continua d’écouter quelques causeries quand elle s’aperçut que l’homme, qui la dévisageait, s’était mis à la suivre. Son visage angélique ne la rassurait pas, et lui donnait même une allure de savant fou avec des cheveux bruns ébouriffés qui lui arrivaient sur les épaules. Elle décida de s’arrêter, posa son verre sur une table et se tourna pour lui faire face. L’homme pensa immédiatement que le travail allait être plus facile qu’il ne l’avait prévu, et l’aborda sans gêne.
— Salut, ma belle ? Je ne t’ai jamais vu ici, c’est la première fois que tu viens ?
— On se connaît ? Répondit Haïp, sèchement.
L’étranger s’approcha d’elle et lui colla un petit appareil contre le ventre. Haïp sentit la fraîcheur de deux broches métalliques froides à travers sa robe, et soupçonna un usage paralysant à la première tentative de résistance.
— Pas encore, fit-il. Mais on va faire connaissance, tourne-toi et avance.
Haïp ne trembla pas, et exécuta son ordre en parfaite victime potentielle. Elle se retourna et avança droit devant elle. L’homme se plaqua contre son dos et la saisit par la taille pour la guider en appuyant les extrémités pointues des broches contre ses reins.
Dans le carré VIP, Viktor semblait satisfaisait de pouvoir enfin exposer ses projets à Tiago en sirotant des cocktails. Il parsemait la conversation de détails en voulant insinuer des secrets, et faisait sans cesse des allusions qui commençaient à excéder Tiago qui préférait les discussions plus directes.
— J’ai une armée ! S’exclama soudain Viktor. J’ai une armée, et il lui faut un chef, un vrai !
— Si c’est ton armée, c’est toi le chef !
— Et je sais que tu es le meilleur.
— Je n’ai jamais fait ça !
— Si, sur Hauméa.
— Mais que veux-tu faire d’une armée ? Répondit Tiago, d’un ton un peu moqueur.
Viktor se recula sur son dossier, et lui afficha un air très sérieux.
— Je veux prendre les gisements d’Hauméa, annonça-t-il.
Tiago éclata de rire.
— Qu’est-ce qui te fait rire ? Fit Viktor, un brin déconcerté.
— C’est toi l’assaut dans la mine ?
— Les hommes que tu as formés se sont bien défendus. J’ai été très impressionné.
— Tu veux me proposer la tête d’une armée que je ne connais pas pour aller en combattre une autre que j’ai formée ?
— Je n’ai jamais été aussi sérieux.
Tiago but une gorgée de son cocktail, et ne tarda pas à comprendre que Viktor était très déterminé.
— Que vas-tu faire après ça ? Poursuivit Tiago. Tu veux déclencher une guerre ?
— Parce que prendre Hauméa nécessitera de longs combats ?
— Le pouvoir central ne l’admettra jamais ! Et tu le sais !
Inquiet, Viktor écoutait Tiago exposer son point de vue. Il avait pourtant espéré un peu plus d’enthousiasme de sa part. Sa réticence n’était pas habituelle, et l’intrigua.
— Des Amazones vont arriver sur le site, ajouta Tiago. Rentre en guerre contre elles, et c’est le système, en entier, que tu auras contre toi !
Il tourna brièvement la tête en direction de salle pour chercher Haïp, sans la trouver. Il vit le visage de Viktor se fermer, la nouvelle semblait le contrarier.
— Tu es mieux renseigné que moi. Des Amazones sur Hauméa ? Tu es sûr ?
— Certain, répondit Tiago en buvant une gorgée de son verre.
Viktor savait ce sujet très délicat. La mort d’une Amazone, dans les cubes espagnols, l’an passé, avait suscité une émotion que personne n’aurait pu soupçonner. Les manifestations de soutien avaient duré trois jours.
— Je ne veux pas débarquer sur Hauméa et tuer tout le monde ! Ajouta Viktor. Le but est de pouvoir exploiter les mines ! Il faut mettre en place une stratégie d’invasion. Rejoint nous !
— Ça dépend.
— Tu seras bien payé. Tu me connais. Je n’ai jamais été ingrat.
— Je sais. Mais prendre d’assaut une planète, c’est autre chose que de transporter de la contrebande. Où vas-tu trouver les armes ou les soldats en nombre suffisant ?
Haïp fut escortée par son agresseur vers une salle de toilette pour femme. La porte se ferma à leur passage, puis l’homme la poussa avec un élan violent à l’intérieur, la faisant trébucher et tomber. Il bloqua la porte en posant sur le capteur rouge, une carte circulaire mettant l’ouverture de la porte en défaut. Il composa un code, et, toujours à terre en lui tournant le dos, Haïp entendit un « clip », qui symbolisait son verrouillage. L’homme semblait bien rodé dans cet exercice. La pièce était très large et permettait d’accéder à trois portes. Des fauteuils d’attentes étaient installés le long d’un des murs et des grandes baies à miroirs de l’autre.
Quand elle se retourna, l’homme avait déjà ouvert les portes pour vérifier que toutes les toilettes étaient vides. Il la saisit alors par le cou, la força à se lever, et lui plaqua le dos contre le mur. La proximité fut soudaine et grande entre eux. Elle sentait son haleine infestée d’alcool, et vit ses pupilles dilatées résultant sans nul doute, de l’effet d’une drogue. Il la tenait fermement par le cou d’une main, et de l’autre, baladait son petit appareil neutralisant sur tout son corps. Haïp joua la fille apeurée, ce qui gargarisa l’homme dans son action.
— On va passer un bon moment tous les deux, murmura-t-il.
Il colla sa bouche contre sa joue, et elle sentit son souffle chaud contre sa peau. Un sentiment de dégoût profond la traversa.
— Excuse-moi, dit-elle, suppliante. Il faudrait que j’enlève mes chaussures, j’ai très mal aux pieds avec ses talons. Je serai plus à l’aise.
— Comme tu veux.
Décidément, ce soir, l’homme se pensait chanceux pour être, en plus, tombé sur une cruche coopérative. Haïp commença à retirer ses hauts talons, mais même s’il la trouvait idiote, il préférait ne pas la lâcher. Ils restèrent debout, sa main serrant son cou, accentuant sa sensation de toute-puissance. Dans le passé, certaines avaient usé de beaucoup de supercheries pour s’enfuir. Alors, il ne se laissait plus avoir. Quand il en tenait une, il ne la lâchait plus. Dès l’instant où Haïp eut fini de défaire les liens en forme de ruban qui tenaient ses hauts talons translucides, elle ne se retrouva pas plus petite que l’étranger.
— On y est, lui lança-t-elle. J’ai fini. Je pense que je suis mieux là.
— Tu es plus à l’aise ? Dit-il avec un regard pervers.
La seconde où le visage d’Haïp changea fut une grande surprise pour l’homme qui ne s’y attendait plus.
— Plus à l’aise pour te mettre une bonne raclée ! Rétorqua-t-elle.
Sans qu’il eût le temps de réagir, Haïp lui donna un violent coup de poing sous la mâchoire et le repoussa en arrière en lui infligeant ses deux tapes sèches dans le thorax. Les cours de boxe de Faraï avaient porté leurs fruits. Elle donnait souvent les bons conseils pour envoyer des coups précis dès lors qu’elle était très rapprochée de son adversaire. L’uppercut était une très bonne alternative. L’étranger, sonné et furieux, tenta de se jeter sur elle en brandissant les deux broches de son appareil en avant, jurant tout ce qu’il pouvait.
— Espèce de…
Stoïque, Haïp s’avança en se décalant légèrement sur un côté, prit un peu d’élan, bloqua les bras de l’étranger avec ses mains, et lui donna un coup de genou dans le ventre, ce qui déchira une partie de la fente de sa robe. L’homme se plia instantanément en deux, et Haïp en profita pour l’achever avec un violent coup de coude derrière la nuque. Son appareil paralysant tomba et roula à l’autre bout de la pièce. Ce n’était pas facile de se battre en robe de soirée, mais l’homme s’écroula tel un poids mort au sol. Haïp soupira avant de se mettre à penser à haute voix.
— Je savais que les cubes sud étaient dangereux, mais deux bagarres en si peu de temps, j’ai rarement fait !
Elle regarda l’homme avec un brin de pitié, et s’accroupit à côté de lui pour vérifier son pouls. L’homme était vivant, mais bien assommer, gisant au sol et ne bougeant plus. Haïp se mit assise sur un fauteuil et rassembla ses chaussures. Elle inspecta la fente de sa robe quand l’homme se remit à gémir. Un violent coup de talon sur les tempes lui fit reperdre connaissance instantanément. Elle jeta un œil à sa chaussure. Ouf, elle n’était pas abîmée.
Elle remit ses talons, et passa un bref instant devant la glace pour refaire sa coiffure. Elle se dirigea vers la sortie et retira la carte qui mettait la porte en défaut pour l’écraser d’un coup bref avec son pied. Une autre femme attendant devant la porte commença à tambouriner, mécontente de ne pas pouvoir entrer, hurlant des mots d’insultes en russe. Haïp commanda l’ouverture de la porte et fut amusée du cri strident que la femme poussa en voyant l’homme à terre.
En haut de l’escalier du carré VIP, Viktor tenta sa dernière chance face à Tiago qui montrait beaucoup de scepticisme face à son projet.
— Viens me voir demain. J’envoie tout à ton driver. Je compte sur toi mon ami.
— Je viendrai demain, céda Tiago.
Cette réponse rendit le sourire à Viktor qui salua son ami. Tiago lui tourna le dos et redescendit les marches quand il croisa encore des amis qu’il prit le temps de saluer. L’espagnol n’était absolument pas satisfait de cet entretien, en se disant qu’il n’était pas comme d’habitude, quelque chose avait changé.
À son arrivée en bas, Tiago chercha activement Haïp dans la foule, et commença à marcher au milieu des danseurs quand il l’aperçut enfin. En le voyant, elle accélérera le pas pour le rejoindre, encore décoiffée. Tiago la regarda arriver, interloqué quand il vit sa robe déchirée.
— Ça va ? Demanda-t-il. Il s’est passé quelque chose ?
Il la dévisagea, inquiet, alors qu’elle tentait d’être placide, mais arbora tout de même un léger sourire sur le coin des lèvres.
— Tout va bien, dit-elle en se recoiffant. Et toi, quoi de neuf ?
— Pas grand-chose. Partons, je t’en parle dehors.
Haïp perdit son rictus et ne cacha pas son incrédulité. Tiago montrait une contrariété surprenante qui tranchait avec la bonne humeur affichée en début de soirée. Avant de sortir de l’établissement, elle récupéra les affaires au vestiaire avant de le retrouver dans une rue toujours animée d’une ambiance de fête. Tiago avançait d’un pas cadencé et slalomait entre les badauds sans ralentir le rythme. Haïp enfila sa veste en accélérant le pas, et avait du mal à le suivre. Il donnait l’air d’être préoccupé, perdu dans ses pensées. Elle finit par le rattraper, et arriver à sa hauteur, elle l’interpella en lui tendant sa veste,
— Je t’écoute.
— Rien de nouveau sur notre affaire, dit-il, en se tournant succinctement vers elle. Par contre, il m’invite pour discuter de quelques projets d’ordre professionnel, donc personnel !
Il prit sa veste sèchement et l’enfila. Haïp eut comme un mauvais pressentiment. Quelque chose n’allait pas dans son comportement.
— Il ne sait rien pour l’attaque d’Hauméa ? Insista-t-elle. C’est une plaisanterie ?
Gêné de ses questions, ne sachant pas comment faire, il préféra improviser un mensonge.
— Il avait entendu vaguement d’une préparation à cette attaque. Il ne m’a rien dit d’autre.
— Rien ?
Tiago l’ignora et accéléra le pas. Elle lui emboîta la marche, mais devait trottiner pour parvenir à le suivre.
— Je viendrai avec toi ? Demanda-t-elle, une dernière fois.
Tiago ne faisait plus attention à sa cavalière d’un soir, et Haïp décida de ne pas en rajouter pour l’instant. Sa seule préoccupation était de ne pas tomber en essayant de suivre son rythme de marche. Elle avait pris le parti de mettre de très hauts talons pour la soirée, et se mit à le regretter. Sur tout le chemin du retour, il marcha quelques mètres devant elle, et ne se retourna à aucun moment. Même dans la promiscuité de l’ascenseur, il ne décrocha pas un mot.
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