C’est avec une certaine anxiété que Lys regarda une autre navette de la flotte des Amazones, « Aphrodite », atterrir sur le parking de l’astroport d’Hauméa. Lorsque la bulle de transfert se posa contre elle, seule une Amazone prit place à l’intérieur et vint la rejoindre dans le hall. La jeune femme reconnut tout de suite la silhouette d’Eve dans sa tenue blanche. Mais lorsque la porte de la bulle s’ouvrit, la moue crispée de la jeune Ikasle ne tarda pas à la trahir.
— Bonjour Lady Eve, fit Lys. Où sont les autres ?
— Elles préparent le déchargement. Où est Haïp ?
Gênée, Lys consentit enfin à avouer à Eve l’escapade de sa marraine.
— Elle est partie sur Eris.
— Seule ? Répondit Eve, consternée.
— Non, avec le responsable de la sécurité d’Hauméa, Tiago Wilson.
— Tiago Wilson ? Grand, blond, beau garçon et surtout mercenaire ? Lys, c’est une plaisanterie ?
— Non, je suis désolée ! Je l’ai pourtant prévenu !
— Lys, il est interdit à toute Amazone de partir en mission seule !
— Je sais ! Et elle le sait aussi !
Eve soupira à l’écoute de cette nouvelle, et entendait, déjà, la colère de Jade, la reine des Amazones lorsqu’elle apprendrait cette nouvelle entorse d’Haïp au règlement.
— Que sont-ils partis faire sur Eris ? Demanda Eve, le plus diplomatiquement possible. Qui a décidé de cela ?
— Le vaisseau des assaillants provenait de là-bas, et c’est une décision de Lady Exteberri et de M. Smith.
— Et ? Ils ont trouvé quelque chose ? As-tu des nouvelles ?
— Aucune. Elle nous a interdit de la contacter, par peur du piratage.
— Pourquoi je ne suis pas surprise ! Pesta Eve. Elle a des tonnes de qualité, pourquoi s’acharne-t-elle à ne montrer que ses défauts !
— Je suis sûre qu’il ne lui arrivera rien ! Fit Lys en tentant de calmer la contrariété évidente d’Eve.
— Monte sur « Aphrodite » pour les aider à décharger le matériel. Je vais voir Smith.
*
L’île de Staten Island abritait l’astroport de la côte est des Amériques, et subissait depuis plusieurs heures les assauts d’un orage intense et violent. Belhène retrouva le responsable du détachement, le commandant John Brown scrutant le bulletin météo de la prochaine heure. Ce grand trentenaire semblait être né pour être militaire avec son visage carré et sa coupe de cheveux en brosse qui lui donnait un air autoritaire. Son béret bleu posé sur la tête lui allait bien, et soulignait des yeux francs. Il était satisfait de constater que les prévisions annonçaient l’arrêt des coups de tonnerre et la baisse progressive des vents dans les minutes à venir. Les canons à dissiper les nuages fonctionnaient très bien, et les filtres détournant l’air venant de l’océan étaient d’une efficacité redoutable. L’heure de départ de la flotte militaire pour Hauméa fut validée, et n’accusait aucun retard. Le commandant du détachement aimait le respect des horaires, mais prit le temps de faire visiter à Belhène cet aéronef baptisé « Fandango 7 ». Il venait de finir sa période de rodage et exécutait sa première traversée de l’espace. Au milieu des militaires finissant de charger le matériel, Belhène pouvait sentir l’odeur du neuf dans chaque recoin de l’appareil, et la fierté de tous de voyager dans un tel engin.
— Je suis vraiment rassurée de votre envoi là-bas, fit Belhène.
— Nous ferons notre possible pour protéger le site, Madame. Nous allons tout faire pour que tout rentre dans l’ordre.
— C’est un appareil neuf, je croyais vos budgets réduits au minimum.
— C’est exact, mais le projet « Mar’s Life » est à nouveau d’actualité, donc de nouveaux fonds ont été débloqués.
— J’ai entendu parler de la réouverture du dossier de la colonisation de Mars. Le temps de trajet est-il impacté ?
— Oui, répondit-il, fièrement. La traversée durera quatre jours, l’axe TC est complètement dégagé, et le tunnel d’accélération vient d’être rénové et régénéré. C’est un vrai progrès !
— Si cette mine est protégée, ce système peut prendre son élan et améliorer sa qualité de vie. C’est une vraie chance !
Quand l’heure officielle du départ approcha, le commandant accompagna Belhène respectueusement en dehors du périmètre de décollage. Elle regarda attentivement la force armée finir son embarquement, quand des interrogations lui virent à l’esprit.
— Une dernière question avant de vous laisser partir, quel est le motif premier de votre envoi là-bas ? Demanda Belhène.
— Mais notre objectif premier est la sécurisation du site, dit-il, sur un ton bien rodé.
Belhène pressentit un sous-entendu dans sa réponse. Elle n’avait pas pris le temps de lire le détail de la résolution prise par le Conseil, et le doute s’installa dans son esprit. Sa curiosité la poussa à insister pour obtenir des informations plus claires.
— Quand je regarde ce qui embarque, je remarque une très grande quantité de matériel. Votre bataillon me semble réduit au minimum. Je souhaite savoir juste une chose… Quelle sera votre principale mission… ?
Le militaire apparut gêné de sa remarque et Belhène profita aussitôt de cette faille pour s’y engouffrer. Elle croisa les bras en serrant les poings et décida de se montrer plus incisive dans son dialogue.
— Madame, je suis soumis au devoir de réserve, fit le militaire en tentant de faire bonne figure. J’espère que vous comprenez…
— Commandant ! L’interrompit Belhène. Je suis la porte-parole, sur Terre, de celles qui sont les garantes de la sécurité là-bas. Je ne suis pas militaire, je ne suis pas représentante, mais vous vous devez d’être honnête avec moi. Je répète ma question, quelle est votre mission première pour Hauméa ?
Le militaire regarda autour de lui, se donna un temps de réflexion avant de céder.
— Nous embarquons tout le matériel nécessaire pour un poste de sécurité dédié uniquement aux gisements avec l’installation d’une surveillance passive et active, et des robots de combat. Nous n’avons que quelques semaines pour former et transmettre notre savoir aux habitants d’Hauméa. Notre temps, là-bas, est compté, il n’excédera pas quelques semaines.
— Mais, ce n’était pas ce qui était prévu ! La résolution acceptée prévoyait une présence plus longue, et…
— Elle a été modifiée en seconde lecture…
— Quelle seconde lecture ? S’insurgea Belhène.
— Je n’ai pas plus d’informations que vous. J’exécute. Je ne suis là que pour cela. Poser des questions ne fait pas partie de mes prérogatives.
Belhène avait souhaité une aide pérenne, non ponctuelle. La résolution avait été modifiée après le premier vote, en seconde lecture. Cela n’arrivait jamais, de rectifier une résolution acceptée en première lecture ! Comment le Conseil de Sécurité pouvait-il se montrer aussi ingrat envers ses exilés…
— Madame, sachez que l’armée du Conseil, que j’ai le privilège de diriger, a le plus grand respect pour l’institution que vous représentez.
— Sachez également respecter les habitants d’Hauméa. Ils en ont le droit. Merci, et bon voyage. On vous attend avec impatience là-bas.
Cette dernière réflexion mit le commandant Brown mal à l’aise, mais il garda son aplomb et ils se saluèrent.
— Madame, ce fut un honneur, ajouta-t-il.
Le commandant fit demi-tour et partit à la rencontre de ses deux adjoints qui l’attendaient au pied de l’appareil. Belhène regarda l’équipage monter à bord de « Fandango 7 » et le plafond de décollage s’ouvrir sous un ciel dégagé. Elle prit un temps de réflexion et décida de ne pas parler de cette discussion avec Zeian.
— D-v, envoi d’un message vocal à Zeian Smith.
Le bandeau vert se dessina sur ses yeux, tandis que Belhène tentait de cacher sa contrariété.
— Enregistrement prêt à commencer, fit D-v.
— La force armée s’apprête à décoller. De nouveaux vaisseaux avec des propulseurs plus puissants sont arrivés. Dans quatre jours, ils sont sur Hauméa.
— L’enregistrement est clos. Vous validez l’envoi ?
— Je valide.
Belhène sentit un grand malaise l’envahir. Elle décida de rentrer chez elle pour retrouver son mari. Il était son confident, un homme au conseil avisé et clairvoyant. C’était pour son intelligence et son savoir-être qu’elle l’admirait depuis toutes ces années. Elle voulait changer d’air, mais trop de questions se pressaient dans sa tête. Plus elle rassemblait les pièces du puzzle, plus elle considérait que beaucoup de zones d’ombre persistaient.
— Demain, j’ai du travail, se dit-elle.
Sur le tarmac, le transporteur alluma ses réacteurs et prit son envol dans un ciel bleu habité par une chaleur moite étouffante.
*
Sur Hauméa, Zeian reçut instantanément le message de Belhène et s’étonna qu’elle n’ait pas pris le temps d’une communication. Ce n’était pas dans ses habitudes. Il éteignit le message vocal et vit Eve descendre l’escalier de l’amphithéâtre au travers des murs laissés transparents. Il se leva et alla l’accueillir à l’entrée de son bureau avec une bienveillance qu’elle lui rendit.
— C’est un plaisir de te revoir, fit Zeian, enchanté.
— Plaisir partagé.
— Je suppose que vos Amazones vous ont expliqué notre situation.
Ils avancèrent tous les deux dans le bureau, et Zeian invita Eve à s’asseoir dans un fauteuil. Il ordonna à son driver de cesser la transparence des murs et lui proposa une boisson qu’elle déclina.
— Nous vous apportons une solution provisoire, dit-elle, en s’asseyant. Nous ne sommes pas une réponse pérenne.
— Je le sais. C’est pour cela que Haïp et Tiago sont partis sur Eris. Nous devons savoir qui a prémédité cette attaque.
— Qui a pris la décision d’envoyer Haïp seule sur Eris ?
Zeian comprit immédiatement que cette décision allait avoir des conséquences néfastes pour Haïp.
— C’est une décision que nous avons prise avec Belhène. Il était indispensable de faire quelque chose. Nous sommes dans une situation de crise, il faut agir vite.
— Agir vite, oui, mais pas dans la précipitation. Depuis la mort de Faraï, l’année dernière, il est interdit à toute Amazone de partie seule en mission. Je ne vous blâme pas Zeian, car vous n’êtes pas censé connaître notre règlement. Haïp, si. Et même si je ne suis pas étonnée de son comportement, elle n’avait pas à faire cela !
— Eve, je suis désolée. Je ne veux pas qu’elle ait des ennuis à cause de moi.
— Nous verrons cela à son retour. Pour l’instant, nous sommes une unité venue pour sécuriser le site, au moins jusqu’à l’arrivée de l’armée.
— Une unité, cela veut dire combien ?
— Nous sommes 5 avec Lys, et l’unité sera complète au retour d’Haïp.
— Je vais appeler Aman pour vous faire visiter le site à défendre, et vous expliquer tout ce qu’il y a à savoir. Merci à vous d’être venue.
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