Au milieu de la ceinture de Kuiper, plusieurs satellites gravitaient autour de la planète Eris, dont un, appelé Dysnomie. Dysnomie était une lune désertique, et possédait une roche sombre. À l’abri de tous les regards, une base se fondant parfaitement avec son sol avait été creusée dans la plus grande clandestinité, enveloppée d’une atmosphère grise camouflant parfaitement la vie secrète qui régnait en dessous.
Sur un de ses nombreux niveaux, un Espagnol arborant une quarantaine d’années, Viktor Pajarès, marchait avec gaieté dans des couloirs clairs, lumineux, comme exaltant l’envie de ne pas vouloir être discret. Une barbe de quelques jours et un teint basané lui donnaient un air très dur, surtout quand il se rasait la tête. Habillé d’un pantalon gris et d’un haut ample blanc, il faisait attention à toujours paraître élégant. Son chapeau gris donnait une touche finale parfaite à son allure. Il arriva en sifflotant dans une grande salle, et passa à côté d’un groupe habillé en tenue militaire noire. Il salua l’instructeur qui donnait de la voix pour expliquer le fonctionnement des armes qu’ils avaient tous devant eux. Debout en demi-cercle, les recrues étaient très disponibles pour leur moniteur parlant d’une voix autoritaire utilisant un anglais marqué d’un accent slave.
Mais Viktor n’était pas venu pour eux, et rejoignit un homme posté à l’écart. Un homme possédant une carrure très imposante, adossé contre un mur, et se reposant voûté sur une canne. Revêtu d’un long manteau, ample et marron, c’était l’une des rares fois où il se promenait hors de ses appartements. Cette entorse à cette habitude surprit beaucoup Viktor, car il n’aimait vivre que dans l’ombre, fuyant la foule et ne partageant son temps qu’avec un nombre restreint de personnes. Sa capuche massive vissée sur la tête dissimulait une grande partie de son visage. Il portait un masque gris très foncé, posé à même la peau, et dont la bouche paraissait proéminente. La greffe de ce visage artificiel commençait à marquer des années d’usures. On devinait les circuits électroniques qui jonchaient les joues et le front, mais restaient très discrets. Initialement, la couleur de ce visage pouvait changer en fonction des émotions de celui qui le portait, mais, depuis quelque temps, l’homme ne semblait pas accorder d’importance à ce que cette teinte reste grise. Un bruit de fond légèrement sifflant venait rythmer sa respiration, surtout lorsqu’il expirait. Pour tout le monde, son nom était Horkos, et Viktor, un de ses plus proches collaborateurs. Il se plaça à ses côtés et paraissait chétif comparé au physique si particulier de cet homme.
— Holà, señor ! Fit Viktor, avec légèreté. Tout s’est passé comme prévu. Les hoplites ont fait leurs devoirs. Nous avons reçu les images du site. Tout est exploitable.
— Bien, fit Horkos, avec sa voix grave. Vous avez bien travaillé señor Pajarès.
Horkos le regarda à peine, mais Viktor put apercevoir la couleur d’une de ses rétines, elle était bleue foncé, et c’était un signe de bien-être. Les humeurs d’Horkos se traduisaient au travers les couleurs de ses yeux, et le rouge vif était celui des colères les plus furieuses. L’espagnol entendait son souffle difficile et sifflant que cette bonne nouvelle n’apaisa pourtant pas.
— Que souhaitez-vous pour la suite ? Demanda Viktor.
— Poursuivez selon le plan prévu. Rien ne change.
Horkos préféra regagner ses appartements, et Viktor le regarda quitter cette pièce avec lenteur, frappant sa canne à chacun de ses pas. Lui qui l’avait connu avant ce tragique accident, le voir dans un état, qui se détériorait chaque jour davantage, le désolait. Viktor resta quelques instants et regarda les progrès des quelques apprentis combattants. Ils se mirent en ligne et assemblèrent les deux coques noires massives sur leurs avant-bras. L’instructeur valida le relais à leurs émetteurs, et un bandeau virtuel s’alluma devant leurs yeux, devenant la gâchette avec une commande du déclenchement des tirs, et du choix des balles uniquement grâce aux mouvements de la rétine de l’œil. Devant eux, le mur s’anima de plusieurs cibles simples, et les premiers essais purent commencer.
*
Sur Hauméa, toujours installé sur le toit du cube, le vaisseau des assaillants faisait l’objet d’une inspection minutieuse. Les démineurs ne trouvèrent aucune charge explosive à son bord, et Lys se joignit à plusieurs Centurions pour continuer à chercher des indices sur sa provenance. C’était sa première mission avec Haïp, qui avait consenti à prendre une jeune Ikasle avec elle en mission. Elle était bien déterminée à faire ses preuves, à montrer à sa nouvelle marraine qu’elle n’était pas là par hasard. Haïp était une figure de référence dans l’institution des Amazones. Malgré tous ses efforts, la jeune Ikasle ne trouva rien et se décida à aller tenter sa chance vers le poste de pilotage. Elle y trouva Aman, assis devant les commandes de l’appareil et tentant, en vain, de le faire démarrer.
Elle entra discrètement en prenant la carte de son driver rangée dans sa ceinture, et l’inséra dans le pupitre sous le regard surpris d’Aman, surtout quand les commandes se mirent en route. Cette grande brune aux origines hawaïennes possédait de solides connaissances en nouvelle technologie, qu’elle avait pu perfectionner au contact de sa marraine. Elle avait configuré elle-même son driver.
— Je peux me joindre à vous ? Demanda-t-elle, poliment.
— Vous avez l’air plus doué que moi ! Je m’appelle Aman.
— Lys, enchantée.
— Je sais que l’on doit vous le dire à longueur de journée, mais vous avez toute l’admiration de ma famille, sans parler de celle de mes sœurs !
— Même si je l’entends beaucoup, je ne m’en lasse pas !
— Sans indiscrétion, quel âge avez-vous ?
— J’ai 16 ans.
— C’est jeune pour risquer sa vie.
— Vous pensez que je suis irresponsable ?
— Non, désolée ! Fit Aman, en voulant se repentir. Je ne veux pas être désagréable ! Mais vous prenez de tel risque !
— Nous avons une très bonne école qui ne sélectionne qu’une poignée de candidate. L’instruction est très dure et l’enseignement, rigoureux. Perdre une Amazone est devenu exceptionnel !
— J’ai entendu que l’une d’entre vous avait été retrouvée morte sur Eris.
— Oui, Faraï.
— Vous avez le fin mot de l’histoire ?
— Non, mais nous trouverons !
— Je vous le souhaite. Il n’y a rien de pire, que de ne pas savoir. Alors, trouvons aussi d’où vient cette navette !
Lys s’enfonça confortablement dans le siège et interpella son driver sous le regard admirateur d’Aman,
— D-v, je suis dans un appareil dont le driver est inconnu, fit Lys. Peux-tu t’installer ?
— Mise en route de l’installation, répondit D-v.
L’écran en trois dimensions du pupitre s’anima devant la jeune femme. Aman avait essayé pendant une heure de l’allumer, elle y arriva en moins de dix secondes. Le driver essaya de s’implanter, mais à plusieurs reprises, l’accès au disque dur lui fut interdit.
— L’accès est sécurisé, fit la voix informatique. La provenance et les caractéristiques de l’appareil sont inconnues.
Lys fit les gros yeux. Un défi ? Elle adorait ça ! Son driver possédait toutes les bases de données pour accéder à n’importe quel disque dur, elle en était sûre.
— Tiens donc ! Fit-elle, en se redressant. À nous deux !
Lys se repositionna dans son fauteuil et commença à explorer toutes les possibilités pour craquer l’accès au disque. Alors qu’elle était concentrée sur son travail, un Centurion arriva à pas de velours dans la cabine, et attendit que quelqu’un lui donne l’autorisation de parler.
— Vous avez trouvé quelque chose ? Demanda Aman.
— Non, ce bâtiment est entièrement vide, répondit le robot.
Aman le congédia et Lys continua avec détermination à tenter de percer l’accès à l’ordinateur du vaisseau. Il ne lui restait plus que cette possibilité pour trouver des réponses à leurs questions, et faire ses preuves lui tenait à cœur.

3