Zeian voulut prendre le temps d’aller à la rencontre des colons les plus traumatisés regroupés dans les cubes de vie. En chemin, tous les souvenirs qu’il avait de Faraï foisonnaient, et l’annonce de son décès brutal l’affectait particulièrement. Il comprenait maintenant d’où venaient les yeux tristes d’Haïp, et devina toutes les nuits blanches qu’elle avait dû traverser. Il était vrai que la colonisation d’Hauméa engendrait une charge de travail importante, mais de là à passer à côté de la disparition tragique d’une Amazone, il se sentit honteux. Qu’avait-il fait depuis un an ? Le mot travail lui éclata en pleine figure, rien d’autre.
— Soit le temps passe trop vite, murmura-t-il. Soit, je suis un homme indigne !
Faraï était une réfugiée d’origine jamaïcaine, et à l’époque où il l’avait rencontré, elle portait fièrement une tenue bleu nuit de jeune Amazone sortant de l’école. Elle avait rejoint cette institution bien avant sa légalisation. Car l’ordre des Amazones était à l’origine une milice fondée par des femmes livrées à elles-mêmes, forcées de se défendre seules dans une ceinture de Kuiper rongée par la violence. Le surnom « d’amazone » avait été donné par certains colons, jusqu’à rentrer dans le langage courant pour parler d’elles. D’abord illégales, elles se structurèrent autour de la rigueur et d’un comportement exemplaire. Cette image brillante poussa le Conseil de Sécurité à les officialiser, et le quinzième anniversaire de cette date devait être fêté dans l’année. Ce temps passant trop vite mêlé au souvenir de Faraï émut Zeian. Il n’eut pas le temps d’arriver dans les cubes de vie que son driver l’informa des multiples communications importantes pour lui. Il fit demi-tour et regagna l’amphithéâtre pour retrouver du calme. Zeian se souvint pourquoi il avait aménagé une chambre près de son bureau. Il fallait qu’il trouve une solution pour se libérer du temps, car finalement, il avait passé sa vie à travailler, et cela devenait usant. Devenir le patron d’un gisement sur une planète tout juste colonisée, il l’avait déjà essayé sur MakéMaké, et cela n’avait pas été chose aisée. Malgré la présence d’autorités chargées du maintien de l’ordre, l’absence d’institutions et de cadres laissait le champ libre à des pratiques illicites, comme la corruption. Le Conseil de Sécurité n’avait pas cru utile, lors de la colonisation, de transférer des antennes les représentants. Selon une résolution, les lois en vigueur sur Terre devaient s’appliquer à la ceinture de Kuiper, sans aucune possibilité de dérogation. Pour Zeian, une véritable hypocrisie !
Il se projeta à l’époque où il dirigeait les mines d’extraction de MakéMaké. Il avait croisé Haïp, enfant, dans une école sur un des cubes adjacents à son exploitation. Il intervenait souvent pour donner des cours sur la particularité des mines de la ceinture de Kuiper, et susciter des vocations de chercheurs auprès de la jeune génération. Il s’aperçut, bien avant Faraï, que Haïp n’aimait pas l’école et s’y ennuyait fermement. Mais ce fut un événement marquant survenu alors qu’elle était encore enfant qui le marqua le plus.
Un matin, il reçut la visite de deux hommes d’origine asiatique qui lui avait proposé un service bien particulier, une protection contre le paiement d’une taxe. Zeian décida de jouer la sourde oreille et refusa net ce chantage. Les deux visiteurs n’avaient pas insisté, et étaient partis sans dire un mot. Et ce fut le début d’une série d’ennuis substantiels. Le premier fut le dysfonctionnement massif de son système informatique avec des attaques virtuelles paralysant son exploitation, l’empêchant de travailler convenablement. Il dut faire jouer ses relations pour dénicher un des hackers les plus talentueux qui lui inventa un antivirus performant et inviolable. Cette histoire lui avait coûté une somme coquette, mais ce fut indispensable pour repartir sur de bonnes bases, et surtout ne pas céder. Ce fut ensuite le tour des pannes répétées des machines d’extraction, puis les absences récurrentes d’une partie des employés, sans compter le pillage de ses stocks, et les dégradations de ses outils de travail. L’escalade n’avait plus de limites, et c’est bien ce qui lui faisait le plus peur. Faraï accepta de venir l’aider pour casser cette spirale infernale, et avait emmené Haïp avec elle. Elle devait avoir dix ans, et vouait déjà un grand attachement à Faraï, malgré la vie dure que la petite fille lui faisait vivre. Ce jour-là, face à une nouvelle incartade insolente d’Haïp, elle avait décidé de la punir en la laissant dans le « Thémis ». Il se souvenait de ce moment où il emmena Faraï dans le vestiaire des ouvriers qui avait été visité par des voleurs, et se souvenait de chaque mot qu’il avait échangé avec elle ce jour-là.
— Cette petite a beaucoup grandi, fit Zeian. Et son caractère aussi !
— Elle entre dans un âge si délicat, soupira Faraï. Elle est très difficile, très dure à canaliser. J’avoue me sentir parfois… impuissante.
— Elle entre dans l’adolescence ! Fit Zeian, compatissant. Depuis toujours, c’est la période la plus délicate dans une vie. Elle va toujours à l’école ?
— Non ! Renvoyée pour insolence ! Elle ne tient pas en place ! Je tente de lui donner une instruction, mais l’enchaînement de nos missions, depuis que nous avons été légalisées, m’empêche de le faire comme je voudrais.
— C’est dommage, car je suis sûr qu’elle a des capacités ! Elle demande une attention particulière !
— J’en suis persuadée ! Mais je ne suis pas sa mère, et elle ne manque pas une occasion de me le rappeler pour mieux m’arracher le cœur ! À chaque semaine son caprice, le dernier en date est une phobie de son prénom.
— Patience, et attendre que l’orage passe ! Que faut-il faire d’autre ? Je ne sais pas ce que c’est d’être parent, je ne sais pas quoi te suggérer.
— Je ne trouve pas d’autres solutions que de celle de faire preuve de diplomatie, et lui prouver, aussi souvent que je le peux, que je l’aime comme si elle était ma fille.
Ils arrivèrent à hauteur d’un gardien posté devant le vestiaire tel qu’il avait été trouvé quelques heures plus tôt. Ils entrèrent dans une pièce retournée, et passèrent sur les casiers des ouvriers forcés, pillés et détruits avec beaucoup d’acharnement. Faraï avança lentement, chevauchant les affaires au sol, et s’approcha des salles de douches. Chaque bloc individuel avait été peint avec un graffiti : « Tu paieras ».
— « Tu paieras » ? Demanda Faraï.
— Protection.
— Je vois. Tu n’es pas le seul, mais, contrairement à toi, beaucoup de gens cèdent.
— Je sais, mais je refuse ce chantage.
— C’est courageux. Tu as prévenu les autorités ?
— Les autorités de ce cube sont gangrenées par la corruption. Je n’ai pas perdu mon temps.
En plein milieu de la visite, un des ouvriers appela Zeian en catastrophe pour lui annoncer des bruits suspects provenant de la navette des Amazones. Il vit le regard pétrifié de Faraï lorsqu’elle sut que Haïp avait peut-être un problème, et eut du mal à la suivre, courant à perdre haleine dans les couloirs pour rejoindre le parc de stationnement de l’astroport. Elle dut patienter la minute la plus longue de sa vie à attendre que la porte du vaisseau se déverrouille. Quand ils entrèrent, Faraï et Zeian découvrirent trois adolescents d’origine asiatique, étendus et assommés au sol. Haïp arriva devant eux naturellement, habillée dans une longue robe multicolore, en tentant de retrouver son souffle.
— C’est du sport de battre en robe ! Fit la petite fille. Il va falloir que je m’entraîne !
— Tu vas bien ? Questionna Faraï, en prenant l’adolescente dans ses bras. Que s’est-il passé ?
— Ils sont entrés dans le vaisseau en pensant, je suppose, qu’il était vide. Ils voulaient le fouiller, mais ils n’ont pas eu le temps.
— Tu as fait ça… toute seule ? Demanda Zeian.
— Ben, je ne vois personne d’autre ! Répondit Haïp.
Il entra dans son bureau quand le souvenir de cette réplique infantile le fit sourire. Mais c’était surtout la surprise de voir une gamine se battre avec autant de dextérité qui l’avait marqué. Il s’installa sur son fauteuil, revenant à l’instant présent. Il allait être compliqué de se concentrer sur son travail, mais il n’avait pas le choix, et reçut les appels en attente les uns après les autres.
*
Quand Haïp se présenta devant la porte transparente de la morgue, elle vit un homme habillé en tunique blanche lui tournant le dos et travaillant avec son écran tactile flottant. Dans cette pièce très sombre, seuls les rayons verts lumineux, tombant du plafond et maintenant dans les airs la dépouille d’un homme nu, amenaient un peu de clarté. Haïp observa le jeune médecin qui semblait analyser les blessures apparentes du corps, et se rapprocha de la porte pour déclencher l’allumage d’une lumière rouge devant elle et dans la morgue. Le médecin se tourna et arbora un large sourire en voyant la jeune femme. Tao, médecin d’origine chinoise, fit redescendre le défunt avant de s’adresser à son driver.
— D-v, accès accordé, dit-il joyeusement.
Haïp entra et passa à côté d’une grande armoire contenant des pièces de musée telles que des instruments d’autopsie datant du début du XXe siècle. Collé contre elle et caché grâce à la pénombre, Tiago regarda Haïp passer sans qu’elle s’en aperçoive tant Tao s’empressa de retirer ses gants pour venir se présenter à la jeune femme.
— Bonjour, pardonnez-moi ! Mais vous êtes une Amazone ?
— On ne peut rien vous cacher, dit-elle, avec un large sourire.
— Pardonnez-moi, je suis si heureux de vous rencontrer, dit-il, tout excité. Ma sœur vous admire. Elle voudrait devenir une Amazone plus tard… et moi aussi… enfin… j’admire ce que vous faites ! !
Haïp lui adressa un large sourire qui le rendit plus heureux encore. Cela lui faisait toujours plaisir de croiser des admirateurs si chaleureux.
— Vous ne voulez vraiment pas me dire votre nom ? Demanda-t-elle, amusée.
— Ah oui, je m’appelle Tao Zhuang. Je suis le seul médecin d’Hauméa pour l’instant. Donc si vous avez besoin, n’hésitez pas !
— Merci, et j’espère ne pas vous vexer en vous avouant ne pas rechercher vos services… en tout cas pas ceux-là.
— Vous ne me vexez pas du tout ! Dit-il, encore enjoué par cette rencontre.
Haïp découvrit le cabinet médical transformé en salle d’autopsie, et aperçut la silhouette à peine éclairée de Tiago derrière elle, avachie contre l’armoire.
— Bonjour, fit-elle.
— Cette tenue est une bénédiction pour tous ceux qui la regardent, répondit-il, d’une voix mielleuse.
— Qui êtes-vous ? Répondit Haïp, impassible.
Il avança son buste et lorsque son visage apparut, Haïp le reconnut immédiatement.
— Il me semble que l’on s’est déjà croisé. Tiago Wilson ? C’est vous ?
— Vous êtes déjà bien renseigné.
— Je suppose que c’est vous le responsable de la sécurité d’Hauméa ?
Il la dévisagea de la tête aux pieds avec une arrogance qui aurait pu mettre n’importe quelle femme mal à l’aise.
— Vous supposez bien… Haïp ? C’est un diminutif ? Demanda-t-il.
— Je vois que vous êtes bien renseigné aussi, mais je ne suis pas là pour répondre à vos questions, je suis là pour en poser.
Le regard de Tiago se fit incisif tout en arborant un large sourire de satisfaction. Décidément, cette Amazone commençait vraiment à lui plaire. Elle se retourna vers Tao, visiblement gêné pour sa visiteuse, qui préféra laisser cet échange de côté.
— Qu’avez-vous trouvé sur les soldats ? Demanda-t-elle.
— Ah, oui. Eh bien, pas grand-chose. Malheureusement.
— Pas grand-chose ?
Haïp ne put se retenir de faire les gros yeux, et montra beaucoup de scepticisme.
— Rien, fit Tao, l’air désolé. J’ai tout essayé pour trouver au moins un nom, mais même leur carte génétique reste muette. À croire qu’aucun d’entre eux n’existait jusqu’à aujourd’hui.
Haïp avait du mal à y croire, mais rien ne lui paraissait louche dans le comportement du médecin. Derrière lui, l’ordinateur affichait des séquences ADN muettes.
— J’aurai presque préféré que ce soient des robots ! Même détruite, une carte électronique a toujours quelque chose à dire, mais là…
— Vous avez trouvé quelque chose dans leurs affaires ? Demanda-t-elle.
— Les lunettes de visée possédaient des caméras 360, intervint Tiago. Tout a été filmé.
L’émetteur à l’oreille d’Haïp s’alluma et une conversation brève avec Lys vint sonner la fin de cet entretien. Elle salua Tao avec politesse et lui posa une dernière question avant de retourner voir Zeian.
— Quelle est l’origine des soldats ennemis ?
— Elles sont toutes représentées, dit-il. Je suis navré.
— C’est suffisamment rare pour être souligné. Merci pour votre aide. Et je suis heureuse de vous avoir rencontré.
— Moi aussi, je suis ravi ! Répondit Tao. Revenez quand vous voudrez.
Haïp quitta la morgue en même temps que le sourire du médecin s’effaça. Il se tourna vers Tiago, interrogatif.
— Pourquoi ne lui as-tu pas dit que tu connaissais ces hommes ?
— Parce qu’ils n’ont pas besoin de le savoir, répondit Tiago, froidement.
Tiago reçut un message provenant du driver de Zeian, lui demandant de venir dans son bureau rapidement. Il se leva et quitta la pièce à son tour, laissant Tao avec ses interrogations. Il suivit discrètement Haïp sur quelques mètres avant de la laisser filer dans les couloirs du cabinet médical, mais il n’alla pas voir Zeian. Les réunions de travail, très peu pour lui ! Dans tous les cas, il ne lui restait plus que deux mois ici. Tous les assaillants morts étaient des membres d’un gang russe d’Eris. Il les connaissait bien, mais ne comprenait absolument pas le pourquoi de cette attaque. Presque un an qu’il avait déserté Eris, il était peut-être temps de renouer quelques contacts.
Haïp comprit le sens des symboles affichés pour se guider et trouva son chemin sans aide. Quand elle descendit les marches de l’amphithéâtre, elle entendit des bribes de conversations de colons n’ayant que la genèse de l’attaque à la bouche, et l’inquiétude qui en découlait. Haïp entra dans le bureau de Zeian, et le trouva assis sur son pupitre au côté de Lys avec, en face d’eux, l’hologramme de Belhène.
Belhène Exteberri était la fille de la fondatrice de l’ordre des Amazones. Elle avait épousé très jeune, un astrophysicien réputé, ce qui lui avait permis de gagner son billet de retour sur Terre. Peu de temps après le décès tragique de sa mère, elle prit le parti de représenter cette institution auprès des plus hautes autorités. Grâce à son action, l’ordre des Amazones fut notamment légalisé. Malgré l’éloignement des deux planètes, la communication et l’hologramme étaient de très bonne qualité. On devinait chaque détail de sa tenue, une robe bleu foncé lui arrivant aux mollets, dégageant des hauts talons noirs vertigineux. Une veste blanche à manches longues tombant jusqu’aux genoux apportait une touche chic et cachait une silhouette un peu forte. On devinait même des broderies sur l’encolure, et un motif brillant sur sa robe qui ressortait bien avec ses bijoux, fins et discrets. Des cheveux châtains coupés au carré lui donnaient un air sérieux. Belhène salua Haïp d’un geste amical avant de reprendre sa conversation avec Zeian,
— Cette attaque change tout. Le Conseil de Sécurité ne peut plus ignorer les tensions qui existent dans votre système.
— Ne soyons pas dupes, dit-il, avec un air désabusé. Le pouvoir central s’est complètement désintéressé de nous.
— Je vais faire mon possible pour les convaincre de vous envoyer au moins une armée. Je vais essayer d’en parler à la présidente dès que possible. J’ai espoir de la convaincre de réunir une assemblée extraordinaire d’ici à demain.
Belhène espérait que ses quelques paroles allaient lui apporter un peu de réconfort, mais la nervosité de Zeian allait de nouveau le trahir.
— Il y a un temps de trajet de 7 jours pour que les troupes légères arrivent de la Terre. Et ne parlons pas des armes lourdes. Comment pouvons-nous être sûrs qu’une telle attaque ne va pas se reproduire ?
— Avez-vous trouvé quelque chose ? Soupira Belhène, en s’adressant à Haïp.
La marraine regarda son Ikasle qui semblait impatiente d’annoncer ses premiers résultats.
— Il m’a fallu du temps, mais j’ai réussi à craquer l’ordinateur du vaisseau, fit Lys. Il vient d’un astroport au sud d’Eris, et il appartiendrait à un certain Bogdan Stislav. J’ai transmis une demande aux autorités sur place pour qu’ils se renseignent.
— Eris est devenu le repère de tous les mercenaires et bandits du système, intervint Zeian. Les cubes du sud sont en dehors de tout contrôle, ce n’est un secret pour personne. Et je crains que les autorités d’Eris ne soient pas très crédibles dans leur recherche. Il ne faut rien attendre d’eux.
L’enthousiasme de Lys s’éteignit à l’écoute de la réponse de Zeian, triste de se dire que son initiative serait sans effet, mais sa marraine vint la soutenir.
— Il va bien falloir agir. Ils portaient des caméras 360, et aucun d’entre eux n’est identifiable. Je pense que ce sont des hoplites.
— Des quoi ? Fit Belhène.
— Des hoplites, répéta Lys. Comprenez kamikazes, Madame. On les appelle comme cela là-bas.
— Quelque chose se prépare, conclut Zeian. Il ne peut pas en être autrement. Envoyer une dizaine de soldats pour filmer l’intérieur d’une mine ultra-sécurisée a nécessairement un sens pour quelqu’un. Il faut trouver pour qui.
Belhène, consciente qu’il fallait agir au plus vite, se fit force de proposition.
— Haïp, va sur Eris, et trouve qui a commandité cette attaque. Lys, appel Themiskyra, et fait venir du renfort. Je vais faire mon possible pour faire réagir le Conseil.
Elle les salua avant que son hologramme ne s’éteigne.
— Combien de temps pour que vos renforts arrivent ? Demanda Zeian.
— Pour ne rien arranger, les cubes de MakéMaké sont en effervescence, mais la situation est contrôlable, répondit Haïp. Elles pourront être là rapidement.
La nouvelle calma un peu Zeian qui les raccompagna au pied des marches remontant l’amphithéâtre. Il aperçut Tiago, se dirigeant vers lui avec cette décontraction insolente qui pouvait exaspérer les plus patients. Lorsqu’il croisa les deux jeunes femmes, il ne put s’empêcher de les dévisager sous le regard inquisiteur d’Haïp, ce qui l’amusa beaucoup. Même la forte contrariété de Zeian ne le força pas à retrouver son sérieux immédiatement.
— Alors, du nouveau boss ? Demanda Tiago, sous le ton d’une légère provocation.
— Nous sommes en situation de crise ! Où étais-tu ?
— Je suis là ! Relax ! Du nouveau ?
— Pas grand-chose, répondit Zeian, en ravalant sa fierté. Haïp va dans le sud d’Eris. C’est là que vient le vaisseau qui nous a attaqués ce matin.
Le rictus provocateur de Tiago s’effaça et son attitude changea soudainement. Il devint plus nerveux et prit Zeian par le bras pour l’entraîner dans son bureau.
— Vous êtes complètement inconscient ! Fit Tiago. Le sud d’Eris est un vrai coupe-gorge, et pour tout le monde !
— Je n’ai pas le choix, répondit Zeian, surprit de cette réaction. Le Conseil de Sécurité n’a encore rien décidé. Nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle attaque. Je veux savoir à qui j’ai à faire.
— Écoutez, je vais y aller sur Eris. J’ai travaillé pour beaucoup de monde là-bas. C’est chez moi. Je saurai très rapidement qui est derrière ça. Elles font venir du renfort de Themiskyra ?
Zeian lui répondit par un hochement de la tête.
— De savoir que plusieurs Amazones sont ici, va très certainement calmer le jeu.
— Tu dois rester pour protéger la mine ! Affirma-t-il, en tentant un ton autoritaire.
— Moi tout seul sans une armée, je ne ferai rien. Il n’y a pas de soldats ici. Aman a largement les épaules pour me remplacer. Laissez-moi y aller, c’est trop risqué !
— C’est une Amazone. Ce sont de vraies guerrières…
— Il me semble avoir entendu qu’une Amazone avait été tuée sur Eris. C’était quand ? L’année dernière ?
Le visage de Zeian se décomposa, la seule idée de perdre Haïp lui était insupportable. Surtout depuis qu’il avait appris les circonstances tragiques de la mort de Faraï.
— Si tu vas sur Eris, je refuse que tu y ailles seul, décida Zeian. Dans tous les cas, Haïp t’accompagne.
— Je ne garantis pas sa sécurité, je ne suis pas baby-sitter !
Tiago laissa Zeian à ses doutes. La seule certitude du chef Smith était de ne pas laisser Tiago partir seul sur Eris. Il restait un mercenaire. Ses convictions allaient toujours vers les offres les plus alléchantes. Impossible de lui faire confiance, même si son travail était irréprochable depuis l’année dernière, date de son arrivée sur Hauméa.

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