« Féranie » se posa dans l’astroport d’Odessa, au milieu d’autres vaisseaux tous très différents. Dans ce cube, pas de bulle de transport, mais ce fut une rampe qui vint englober la porte d’accès de l’aéronef. Tiago et Haïp s’engagèrent sur une passerelle brute sans s’adresser la parole, sans échanger un regard.
Ils entrèrent dans le hall d’embarquement où transitait un monde fou. Vendeurs ambulants, voyageurs et employés de la société de transports arpentaient une salle immense qui avait très mal vieilli. Les tableaux informant les voyageurs peinaient à fonctionner et annonçaient, sur certaines lignes, des retards vertigineux. Elle aperçut succinctement un ancien magasin de souvenirs de la Terre saccagé, arborant des tags explicites sur sa vitrine : « honte à vous », ou encore « menteur ». Ils se dirigèrent vers le métro en se frayant un chemin au milieu d’une foule compacte. Haïp avait revêtu un gilet épais gris à capuche tombant jusqu’aux genoux, et se fit la réflexion qu’il faisait un froid polaire. Elle regretta de ne pas avoir revêtu son manteau qui diffusait une petite chaleur douce, puis elle repéra quelques pickpockets à l’œuvre et mit instinctivement ses mains dans ses poches.
Les réseaux de transport souterrains avaient été les premiers travaux d’ampleurs réalisés lorsque ce cube fut bâti. Pour optimiser son espace, les rues étaient uniquement piétonnes. Tout était bon pour inciter les colons à faire de l’exercice physique, vital et indispensable sur ces planètes colonisées. Tous véhicules étaient interdits dans les espaces de vie, en dehors des petits taxis. Voitures légères et électriques de forme rectangulaire, avec pour protection des voyageurs, une bulle grise les enveloppant. Ils étaient emmenés par un chauffeur, car le central de circulation autonome ne fonctionnait plus depuis fort longtemps. Les trajets plus importants entre les cubes sud se faisaient en rame de métro.
Tiago et Haïp s’engagèrent dans un sas les amenant vers une gare souterraine. Lui ne faisait plus attention à cet état de délabrement, mais pour elle, tout était une découverte. Les structures du nord d’Eris étaient dans un meilleur état. Elle put voir des vieux écrans qui peinaient, eux aussi, à fonctionner et ne demandait qu’à tomber par terre. Sur les murs, les peintures des pionniers de la colonisation d’Eris étaient également recouvertes d’insultes. Plus ils s’enfonçaient dans le couloir d’accès, et plus elle eut l’impression d’entrer dans un autre monde. Beaucoup de lumières étaient cassées, et le couloir assombri par des murs sales. Certains voyageurs avançaient les yeux rivés sur leurs chaussures, prenant soin de ne croiser le regard de personne. D’autres, au contraire, donnaient l’impression de chercher des proies à dépouiller.
— Les caméras de surveillance du métro ne marchent plus depuis longtemps, fit Tiago. Aucun agent de sécurité ne vient patrouiller ici. Autrement dit, considère que nous rentrons dans un no man’s land.
En arrivant sur le quai, ils observèrent rapidement les quelques badauds qui les entouraient. L’un d’entre eux avait des tocs, balançant son corps d’avant en arrière, tel un malade mental, murmurant des phrases incompréhensibles. Haïp remarqua que les murs de la station étaient dans un piteux état, tapissés de trous et de dessins plus ou moins réussis. Elle distingua particulièrement ce petit sigle qui semblait être une forme de visage de profil graphique copieusement barré par la figure d’un jaguar. Quantité de détritus parsemaient le sol, et des odeurs d’urines venaient parfaire un tableau glauque. À l’autre bout du quai, un groupe de cinq hispaniques bruyants était installé sur des canapés d’attentes rouge vif, très usées. Tiago les repéra et se rapprocha de l’oreille d’Haïp.
— Mets ta capuche et cache ton visage, lui dit-il doucement.
Elle s’exécuta sans poser de questions. Lorsqu’une femme était accompagnée, elle n’était généralement pas importunée. Mais Tiago savait que les Hispaniques étaient friands de femme du type européen. Il avait espoir que sa seule présence les dissuaderait de s’approcher d’elle. Il était très surpris de leur présence dans cette partie du cube, car, avant qu’il ne parte pour Hauméa, c’était le territoire d’un gang russe. Aux dernières nouvelles, trouver des latinos, ici, était impensable. Quelque chose avait changé pour qu’ils puissent s’aventurer dans cette station baptisée « Ermitage ».
Le métro entra en gare en provoquant un grand courant d’air, dans un bruit assourdissant, qui laissait penser qu’il y avait des soucis mécaniques. Il était en aussi mauvais état que la station. D’une forme carrée, entièrement automatisé, son envergure impressionnante remplissait l’espace du sol au plafond. Les portes se translatèrent avec à-coups, et le flux des voyageurs transita sur le quai. Tiago prit Haïp par l’épaule et la guida dans le wagon. Il la plaqua délicatement contre la paroi, et espérait la camoufler suffisamment pour ne pas attirer leur attention.
— Continue de baisser la tête, lui dit-il.
Haïp comprit sa démarche et surveilla la rame de part et d’autre de ses épaules. Les voyageurs s’étaient installés sur les fauteuils abîmés, chacun dans leur bulle, voulant ignorer, le plus possible, ce qui se passait autour d’eux. La lumière du plafond était en mauvais état, et s’assombrissait, quelques secondes, régulièrement.
Peine perdue pour passer inaperçu, à la fermeture des portes, la bande des cinq courut pour monter dans le même wagon. Les drapeaux présents sur leurs blousons informaient la population qu’ils étaient colombiens. Ils se tournèrent et fixèrent ce qu’ils pensaient être un couple banal. Leur look se résumait à des chaussures ostentatoires, pantalons foncés, larges avec des tee-shirts à manches longues pour certains, chemises pour d’autres. Mais ils laissaient tous entrevoir le même tatouage, celui d’un dieu Maya, K’inich Ajaw. Certains voyageurs comprirent ce qui se tramait et beaucoup descendirent à la station suivante avec précipitation. Ceux qui n’avaient pas immédiatement saisi, et qui s’étonnaient de cette désertion, ne cherchèrent pas à comprendre et quittèrent la rame à toute allure.
Le wagon quitta la station en faisant des à-coups et s’engagea dans les entrailles d’un tunnel sombre. À l’intérieur, désormais seuls dans une rame vidée de ses voyageurs, Haïp et Tiago s’échangèrent le même regard pessimiste, mais ne bougèrent pourtant pas quand le groupe des Colombiens commença à s’avancer tout doucement vers eux. Affichant des sourires salaces en arrivant à leur niveau, ils firent un arc de cercle autour du couple, avant que l’un d’eux n’entreprenne Tiago,
— Buenos Dias, señor.
Tiago ne se retourna pas, l’ignora autant qu’il le put en fixant Haïp dans les yeux. À peine intimidé par la situation, il se fit la réflexion qu’il les trouvait d’ailleurs, très beau. Mais un des Colombiens le prit par l’épaule et le força à le regarder.
— Et… tu es sourd peut-être ? Dit-il, avec un fort accent.
Tiago ne répondit toujours pas, continuant à feindre l’indifférence. Un autre membre de la bande s’approcha d’Haïp. Elle put sentir son haleine repoussante, voir que les traits de son visage trahissaient sa prise régulière de stupéfiant. Il ne devait pas être âgé, mais des yeux creusés accentués par des cheveux longs tirés en arrière lui donnaient un air vieux.
— Toi aussi, tu es sourde ? Tu as perdu ta langue ?
Haïp afficha un rictus de dégoût et détourna la tête. En lui parlant, il tenta de lui poser la main sur la joue, mais sa riposte ne se fit pas attendre, et elle le repoussa brusquement. L’homme marqua son mécontentement d’une grimace de mépris, mais Haïp ne montrait toujours aucune crainte à son égard. Elle analysa rapidement la situation, leurs corpulences, leurs attitudes et ne les craignait pas. Vexé qu’elle ose lui tenir tête, il tenta alors de la gifler. Confiante, elle bloqua sa main dans son élan avec son bras, et le regard insolent qu’elle lui lança finit par l’agacer profondément.
— Occupez-vous de lui, je m’occupe d’elle.
Deux Colombiens tentèrent de saisir les bras de Tiago, mais celui-ci ne leur en laissa pas le temps et donna au premier un violent coup de coude dans le visage. Le nez brisé, des gouttes de sang giclèrent sur le mur du wagon et l’homme se tordit de douleur. Il avait appris à se battre contre plusieurs adversaires, et l’idée d’en avoir trois en face de lui ne le dérangeait pas. Il y en avait déjà un au tapis, plus que deux. Haïp voulut aller l’aider, mais l’homme à l’air vieux l’encercla, avec celui qu’elle avait catalogué comme avorton. Elle se demandait lequel il serait le plus judicieux d’étaler en premier.
La rame s’arrêta quelques secondes dans une station de métro. Les voyageurs présents sur le quai regardèrent, médusés, la rixe se dérouler. Tous s’éloignèrent sans se retourner pour ne pas avoir d’ennuis. Seul l’un d’eux resta, tel un spectateur au cinéma, et vit, sans réagir, deux hommes tenter de saisir Haïp à la fermeture des portes. Mais il sursauta avec surprise quand elle envoya un direct du droit à l’un. L’heureux élu du premier coup avait été le vieux. Le métro redémarra et repartit dans les entrailles du cube devant un spectateur déçu de ne pas connaître la fin. Le second assaillant, qu’elle avait surnommé l’avorton, et tout aussi surpris de son attaque, ne la vit pas armer sa jambe. Brusquement, elle lui saisit violemment le cou pour lui baisser la tête et lui frappa le visage avec toute la force de son genou. L’homme tomba de tout son poids ventre au sol. Le vieux, à peine assommé du coup droit, tenta de se jeter sur elle. Elle se décala et saisit alors une barre fixe verticale servant normalement aux voyageurs pour se tenir debout. Elle prit une impulsion pour lever son corps à l’horizontale et frappa son visage avec ses talons. Elle ne s’attarda pas davantage sur ses deux adversaires à terre et se retourna vers Tiago, en mal avec trois Colombiens.
Il se défendait, mais le combat était inégal. Celui qui avait reçu le premier coup se releva le nez en sang, et dégaina une arme cachée sous sa chemise. Les deux autres se poussèrent en arrière quand Tiago sortit également la sienne. Les deux hommes se retrouvèrent tous les deux à se braquer. Leurs canons étaient à quelques centimètres du torse de chacun. Les trois Colombiens faisaient face au mercenaire, affichant des visages agressifs et haineux. Ils se mirent à tourner, sous les lumières chancelantes et les bruits de casseroles de la rame. Haïp attendit que Tiago soit bien en face d’elle, le Colombien au nez explosé qui tenait l’arme se retrouva entre eux deux. Elle mit sa main derrière son cou et appuya sur un petit bouton plat qui déclencha l’expulsion de son arc caché sous sa veste. Lorsqu’elle le saisit, il se déplia, et doubla son envergure. Les câbles apparurent pour se tendre entre les deux branches, elles-mêmes surmontées de deux petites poulies pour accentuer la force du tir. Elle donna une impulsion brève à son poignet droit pour faire sortir une flèche de sa coque cachée sous sa manche, et vint s’installer entre la corde et la poignée. Tiago ne bougea plus quand il entraperçut Haïp en joue avec son arc, droit devant lui.
— Baisse-toi ! Ordonna-t-elle.
Il ne chercha pas à comprendre et se baissa. Elle tira dans la seconde et la flèche transperça le Colombien armé de part en part, frôla la tête de Tiago pour partir se loger sur une des parois du wagon. Les deux autres se retournèrent, et la virent en joue dans leur direction.
— Putain… une Amazone, on dégage ! Cria l’un d’entre eux.
Ils partirent en courant vers la porte de la rame et changèrent de wagon. Tiago se releva et fusilla Haïp du regard en remettant son arme dans son dos. Il avait bien cru que la flèche allait l’embrocher, lui aussi. Elle haussa les épaules avec une nonchalance qui aurait pu l’agacer dans d’autres circonstances.
— Désolée, je ne…
Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase que Tiago dégaina de nouveau son arme cachée au creux de ses reins. Il braqua Haïp et tira. La balle effleura ses cheveux tressés et partit se loger dans le crâne de l’avorton qui s’était relevé derrière elle. Quand elle se retourna, elle s’aperçut qu’il tenait une arme. La cartouche de gaz explosa et fit saigner son nez et sa bouche. Haïp se tourna vers Tiago avec le même regard.
— Oh, comment il faut dire, je suis désolé, dit-il, sur un ton ironique.
Ils s’échangèrent un sourire crispé et s’éloignèrent du regroupement des corps à l’autre bout du wagon. La rame arriva à une station, et les portes s’ouvrirent sur des quais parsemés de quelques voyageurs. Tiago et Haïp en descendirent promptement sans se soucier de ce qu’ils laissaient derrière eux.
— C’est loin, chez toi ? Demande-t-elle.
Elle appuya sur un petit bouton de son arc et déclencha son pliage. Elle ouvrit son gilet et l’inséra dans son emplacement, sur la structure située dans son dos.
— Euh… encore une station… mais je préfère te faire visiter la ville, dit-il avec un brin d’humour.
— C’est une bonne idée, répondit-elle, en fermant son gilet.
Tiago s’avoua qu’il n’aurait jamais parié sur un tel scénario. Il était encore surpris de l’issue de la bagarre. Dans sa tête résonnaient encore les mots dits à Zeian sur Hauméa : « Je ne garantis pas sa sécurité, je ne serai pas sa baby-sitter ».
Tiago se mit à se moquer de lui-même, et se rendit à l’évidence, les Amazones méritaient leur bonne réputation dans les combats. Les voyageurs qui montèrent dans la rame, firent à peine attention aux hommes à terre. Les rixes étaient devenues banales, et les règlements de comptes faisaient partie du quotidien de ce cube.
Ils sortirent de la station de métro et Tiago préféra prendre un taxi pour se rendre dans le quartier de Petrograd. La transition fut fulgurante. Du métro taudis, elle entra dans une cité au luxe ostentatoire.
— Comment fais-tu ? Demanda Haïp.
— Comment fais-tu quoi ? Répondit calmement Tiago.
— Comment fais-tu pour rester indépendant ? Les mercenaires ont soit une espérance de vie très limitée, vivent cachés ou sont rapidement achetés par un clan. Quel est ton secret ?
— Si c’est un secret, tu n’as plus qu’à le deviner !
— Attention, j’adore les devinettes !
Un sourire en coin put se lire sur le visage de Tiago. Haïp se sentit enfin soulagée et eut l’intuition d’avoir, un peu, brisée la glace. Sa première conclusion fut confirmée, il s’était construit une carapace et donnait l’impression de vouloir tenir tout le monde à bonne distance.
Le taxi se présenta devant un grand portail grillagé qui filtrait l’accès au quartier de Petrograd. Un agent, à peine sorti de l’adolescence, se présenta à eux, et une petite fenêtre se forma à la surface de la bulle les entourant. Tiago échangea quelques mots en russe avec lui, et lui prit son empreinte rétinienne. Quand il voulut faire la même chose avec Haïp, elle mit en garde son voisin.
— Je te préviens, je ne suis enregistrée nulle part.
Cette remarque interpella Tiago, car toutes les naissances, garçons ou filles, étaient fichées dès la maternité grâce à l’empreinte génétique. Il resta sceptique jusqu’à ce qu’il vît la surprise du gardien de ne pas avoir obtenu l’identité de la jeune femme. Tiago lui parla, de nouveau, en russe, mais Haïp ne comprit rien à leur échange, il parlait trop vite. Elle n’eut pas le temps d’allumer la fonction traduction de son émetteur, que le grand portail en fer forgé s’ouvrit devant le taxi.
— Il n’y a pas de problème ? Demanda-t-elle.
— Qui a dit qu’il y avait un problème ?
Haïp ne put admirer le quartier aussi longtemps qu’elle le voulut, car ils arrivèrent, rapidement, à destination. Elle eut juste le temps d’apercevoir un ensemble de bâtiments orné de coupoles multicolores et étincelantes avant d’entrer dans le hall d’un hôtel particulier. La bulle de protection s’effaça et un employé déguisé en groom vint aider Haïp à descendre du taxi et la salua respectueusement. Tiago, très à son aise, prit immédiatement la direction de l’ascenseur. Ils étaient au milieu d’un hall dont les murs étaient recouverts de sculptures d’icônes en bois doré. Haïp resta subjuguée par la beauté et la finesse de l’architecture, ce qu’il ne manqua pas de remarquer.
— Tu peux prendre les escaliers si tu veux, lui dit-il gentiment. Il y a de somptueuses mosaïques et peintures. Mais il y a 262 marches à gravir pour arriver chez moi.
La porte de l’ascenseur s’ouvrit et Haïp rejoignit le jeune homme à l’intérieur. Ils arrivèrent au dernier étage de l’hôtel sur un palier ne desservant qu’une porte. Pour rentrer chez Tiago, c’était un véritable arsenal de vérification et de protection auquel il devait s’acquitter. Il fallait, de façon simultanée, donner son nom à haute voix, poser son doigt sur un capteur pour son empreinte, et présenter son œil devant une caméra. Une fois la porte ouverte, il avait moins de 10 secondes pour insérer son driver et débrancher l’alarme. Haïp, impressionnée par autant de précautions, emboîta son pas pour entrer chez lui.
— Eh bien… Je peux brancher mon driver ?
— Bien sûr, dit-il en lui indiquant le pupitre annexe situé contre le mur.
Elle s’avança dans le salon pendant que Tiago se dirigeait vers son mur de servitude. Lorsqu’il posa sa main dessus, un écran s’anima et des icônes apparurent devant lui.
— Un verre d’eau pétillante, c’est possible ? Demanda Haïp.
— Suffit de demander.
Tiago posa son épais manteau sur le bar, se tourna vers le mur et balaya, d’un geste, l’écran tactile. Un menu s’afficha, il sélectionna le choix d’Haïp et le sien. En quelques secondes, un verre rempli d’une eau gazeuse apparut dans une petite fenêtre puis un second tomba à côté, rempli d’une eau plate pour lui. Elle se demanda à quoi servait cet îlot central, car ce grand cube n’avait pas l’air d’avoir une fonction de table. Cet appartement était un endroit reposant, où régnait une ambiance zen. Haïp s’avança près du canapé, surprise par la tranquillité et le bien-être qui se faisaient ressentir. Une fontaine posée au milieu du salon faisait résonner le bruit apaisant de l’eau qui ruisselait. Elle remarqua comme cet endroit était impersonnel, stérile. Il ne possédait aucun souvenir ou cadre photographique.
— Vous avez bon goût… pour un mercenaire, dit-elle, en continuant de balayer l’appartement du regard.
— Je dois prendre cela pour un compliment ? Répondit-il, en se rapprochant d’elle les verres à la main.
— Vous emmenez souvent des inconnues chez vous ?
Tiago arriva à ses côtés et la regarda dans les yeux. Il avait abandonné sa carapace de mauvais garçon et enfilé celle du séducteur, un bon signe pour Haïp, il cherchait à s’adapter. Elle remarqua qu’il avait un regard très expressif et très incisif, ce qui pouvait lui donner beaucoup de charme.
— Seulement de jolie femme, dit-il, avant de boire son verre.
Il lui tendit le sien quand la voix d’un driver se fit entendre.
— Un message pour Haïp a été envoyé d’Hauméa.
— Je prends, répondit-elle, après une gorgée.
Le regard incisif de Tiago posé sur elle commençait à la mettre mal à l’aise. À force de vouloir briser la glace, il se sentait pousser des ailes, et la draguait ouvertement. Elle ne devait absolument pas le vexer, éviter de se le mettre à dos et dans le même temps, conserver des distances convenables. Elle devait trouver un équilibre délicat et fragile. Tiago remarqua sa gêne, mais se mit à apprécier de la regarder dans les yeux. Ses yeux verts avaient quelque chose de très particulier, de très magnétique. Lys apparut avec un hologramme d’Eris devant le mur blanc consacré aux communications, et elle profita pour détourner son regard.
« Haïp, j’ai réussi à craquer le programme des caméras des hoplites. Lors de la bataille, tout a été retransmis vers des relais se situant sur les cubes de l’extrême-sud d’Eris. Ils sont à la jonction des quartiers de Petrograd, de Podolsk et de Bratva. Bonne chance »
L’hologramme de Lys s’estompa et Tiago s’avoua brièvement une certaine admiration pour sa dextérité informatique, alors qu’Haïp trouvait cela normal. À trop côtoyer les qualités de quelqu’un, on finit par ne plus les voir.
— Arrête-moi si je me trompe, mais sommes à Petrograd ? Remarqua Haïp.
— Oui, mais Podolsk et Bratva sont dans des cubes situés à l’extrême sud. Ses trois quartiers sont habités par les populations originaires des Balkans, et tenus par des Russes. J’ai déjà travaillé pour leur chef. J’irai le voir ce soir. Il tient tous les bars de nuit du secteur, mais je pense savoir où le trouver.
— NOUS irons le voir ce soir.
— Viktor ne reçoit pas… s’il ne connaît pas.
— Je boirai un verre en t’attendant.
Ils furent interrompus par l’annonce de l’arrivée de leurs bagages, et Tiago partit les chercher lui-même à l’accueil. Haïp fut troublée par autant de précaution, et l’attendit debout au milieu du salon, se faisant la réflexion qu’il se méfiait de tout, qu’ils ne se connaissaient que depuis quelques heures, et qu’elle était debout au milieu de son appartement. Il ne s’absenta que quelques instants, mais elle se demanda pourquoi il avait baissé la garde pour elle.
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