Je vois une crête aiguisée, un sentier qui serpente vers le soleil couchant et l’océan. Une trace juste assez large pour autoriser un cheval. Une cime qui surplombe au Nord une vallée et plonge abruptement au Sud dans un plateau désertique. Tout est en feu, la forêt crépite, les animaux gémissent, condamnés dans le creux de ces deux murs qui glissent parallèles. Le vent d’Est empêche les fumées de s’évanouir, il les plaque, les maintient près du sol. En bas se doit être un massacre. Le feu consume chaque brin de verdure, étouffe chaque être vivant. Rien ne peut l’arrêter, poussé par les bourrasques, il avance solennellement vers l’océan, anéantissant tout espoir de fuite. Il progressera jusqu’à mourir lui aussi. Il agitera ses dernières flammes là où le sol disparait. Il s’éteindra à son tour au bord de l’eau. Et ce sera la fin.
La douleur de ce paysage renforce la beauté de sa démarche. Le sublime de sa silhouette. Un pur-sang, l’incarnation de la noblesse, avance dans ce brasier. Sa robe flamboyante léchée de flammes impuissantes. Il ne semble à portée d’aucune brûlure. Son pelage est plus sombre que la nuit mais rougeoie plus ardemment que la braise. Il est le feu. La monture du démon. L’ombre qui le chevauche absorbe le regard. Sa seule présence répand les ténèbres et recouvre le monde d’un épais voile de tristesse. Le cavalier ne laisse rien paraitre de son visage, enveloppé dans une cape de la même teinte que sa monture.
En amazone, l’être monte à cru, les jambes couvertes de sa sombre étoffe. Sa main, fine et gracieuse, tient les reines avec fermeté. Un anneau d’or orné de feu brille à son annulaire. De feu car dans l’incendie, un rubis semble n’être qu’une flamme. L’ombre de la capuche s’efface tandis que le soleil touche l’horizon, mais aucune lumière ne semble oser révéler ce cavalier. Il porte un masque d’une étrange matière qui absorbe les rayons. Trois fentes se discernent, aux emplacements des yeux et de la bouche. Trois fentes qui ne laissent transparaître qu’un obscur néant.
La monture s’immobilise. L’incendie a atteint le rivage. Il mourra bientôt, comme le soleil qui se noie dans l’océan. Le chemin ne mène guère plus loin. Il disparait au pied d’un dernier pic rocheux, marquant la fin de la crête. Un dernier promontoire au-dessus de l’eau. Le cavalier se glisse à terre et entame l’ascension. Il se hisse au sommet, un aigle effrayé s’envole. La silhouette fait encore quelques pas. Le regard invisible, mais perdu au loin. D’un mouvement étrangement faible, elle ôte le masque et le laisse se briser au sol. Une femme. Non, une reine. Une déesse. Enfin son visage se révèle. Quelle beauté. L’unique. La plus belle de toutes les existences de ce monde. Ses cheveux, légèrement ondulés resplendissent des dernières lueurs du jour. Ils annoncent une nuit sombre. Ses traits sont parfaits, non mieux, ses traits sont beaux. L’univers entier s’effondre, le ciel lui-même se meurt, les diamants se fissurent. Une larme. Une larme que je n’oserai même comparer à la plus belle des étoiles glisse sur sa joue. Je n’ai jamais vu de tels yeux, splendides et sombres. Bleu, bleu, bleu et tout autour bleu sombre. La beauté n’est qu’un voile, celui du désespoir. J’admire ce soir deux iris, deux prunelles qui ne porte qu’un message : souffrance.
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