Pilk accrochait les annonces et les publicités sur la grande place. Depuis la toute petite affichette jusqu’à l’immense tapisserie peinte, chaque fois que quelque chose se préparait à Bellwade, c’était lui qui était chargé de le faire savoir en recouvrant les murs et les panneaux prévus à cet effet.
Parfois, il éprouvait un petit pincement au cœur en en décrochant une avec laquelle il avait eu une affinité toute particulière. Ce fut le cas notamment avec celle annonçant l’arrivée en ville du cirque Zeïckov. Pilk n’avait jamais autant désiré pouvoir entrer dans une affiche avant cela ; le petit lutin aurait tout donné pour pouvoir aller y danser avec la magnifique fée qui y était représentée.
Il n’avait eu aucune peine à s’imaginer maintes fois la douceur de ses cheveux, la couleur de ses yeux, les mouvements gracieux du tissu de sa robe cannelle…
Malheureusement, un poseur d’affiche, ça ne gagnait pas assez bien sa vie pour espérer pouvoir s’offrir le billet d’entrée si onéreux. Seuls les plus aisés pouvait prétendre assister au spectacle, et il s’était donc contenté d’admirer jour après jour l’affichette en soupirant.
***
Le soir où le cirque s’était préparé à partir, après la dernière représentation, il avait bien dû se résoudre à la décoller. D’autres attendaient déjà de prendre sa place, bien roulées dans son sac de cuir. Il l’avait longuement contemplée d’un air triste, puis s’était incliné en une profonde révérence. Un rire léger et mélodieux avait alors résonné dans son dos et il s’était retourné en bafouillant. Les mots s’étaient éteints sur ses lèvres quand il avait croisé le regard de la danseuse.
— Mes amis me disent que tu contemples l’affiche tous les soirs depuis que nous sommes arrivés. Ils disent que tu sembles esquisser quelques pas parfois.
Ne sachant comment réagir, il s’était balancé d’un pied sur l’autre et s’était contenté de hocher la tête en rougissant. La fée avait de nouveau eu ce petit rire si charmant, puis elle lui avait tendu la main.
— Si nous dansions pour de vrai ? Le cirque part bientôt et mes affaires sont déjà toutes prêtes.
— Je…
— Oui ?
— Je ne sais pas danser…
— Alors, il est temps d’apprendre.
Le sourire de la fée avait été plus beau que n’importe quel ciel étoilé et la main de Pilk avait tremblé quand il la lui avait timidement tendue pour accepter l’invitation.
***
Cette nuit resta gravée à tout jamais dans le cœur du petit colleur d’affiches. Quand bien des années plus tard il devint trop vieux pour travailler, il passa ses journées entières dans son fauteuil à bascule et se remémora bien souvent la douceur de ses cheveux et le son cristallin de son rire. Le cirque était revenu quelques fois à Bellwade, mais la fée n’était jamais revenue avec lui.
Ainsi, pour toujours, elle resta la petite danseuse de l’affiche, coincée entre le monde du rêve et celui des souvenirs.
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