La voix est chaude. Elle glisse en moi, réveillant un feu intérieur que je croyais éteint. Ce n’est pas possible. Les secondes passent et mon cœur continue de battre. Je soulève une paupière … et me retrouve paralysée sous un regard aussi noir que le vide de l’espace. Je sens de légères décharges provenant des mains qui m’enserrent se propager en moi. L’odeur du sang me submerge. Un haut le cœur. Je sens que je vais vomir. Le corps se relève et l’une des mains qui me maintenait en place me tire vers le haut. Je suis en train d’halluciner. Un écorcheur n’est pas en train de me remettre sur pied. Il n’est pas en train de me tapoter le dos tandis que je régurgite tout mon repas.
– J’t’en fais de l’effet chaton !
Prenant soudain consciente de la proximité de son corps, je bondis en arrière et le regarde attentivement pour la première fois. C’est bien lui, mon écorcheur. Il a survécu. Ses cheveux noirs flottent dans le vent autour de son visage. Sa chemise est maculée de tâches de sang et son jean semble avoir été déchiré par les griffes d’un animal.
– Ce cri tout à l’heure … Ca ne peut pas être …
Sous mon regard incrédule, son visage fermé jusque là s’éclaire soudain d’un sourire … à tomber à la renverse. Je n’en crois pas mes yeux. Tout ceci est démentiel. Et je dois faire une tête bizarre vu que ses yeux soudainement interrogateurs parcourent mon corps de haut en bas avant de revenir sur mon visage.
– Un problème ? me demande-t-il.
Si on m’avait dit que les démons possèdent une voix aussi grave … Au jeu « Je suis le Démon le plus sexy du monde », il gagne … amplement … Il attend une réponse ? … Cette situation n’a absolument rien de logique. Je suis en train de … discuter avec un démon.
– Non, enfin si … Tu … parles ?
Il hausse les sourcils apparemment amusé par ma remarque idiote.
– Je veux dire bien sûr que tu parles. Mais tu sembles avoir autre chose dans la tête que : moi vouloir manger toi, moi arracher tête à toi ! Enfin ce genre de trucs quoi.
Il reste silencieux et me scrute. Ce qui me rend mal-à-l’aise. Je suis pourtant indifférente aux regards en temps normal. Peut-être parce qu’en temps normal les gens ne me regardent pas comme une grosse boulette de viande.
– Effectivement Humaine, j’ai autre chose en tête.
Ok, la boulette veut bien se laisser manger … avec de la crème chantilly et des fraises … Mais bien sûr … S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que les démons n’ont pas de pulsions sexuelles. Je ne sais pas ce qu’il mijote mais je n’ai pas l’intention ne me laisser embobiner. Je dois me sortir de là. Il est plus rapide que moi. Et beaucoup plus fort. Je suis sûre qu’il est en train de se demander avec quoi il va bien pouvoir m’assaisonner. Je me retourne brièvement. Imbéciles ! Ils sont restés plantés là comme des piquets. Je lève machinalement la main vers mon cou et saisis une petite fiole suspendue au bout d’une chaine. Elle contient du sang. Du sang très puissant capable de guérir les blessures les plus graves. Et capable d’arrêter n’importe quel démon. Le dernier cadeau de mon amie.
« Utilise-le à bon escient »
Je la regarde puis jette un nouveau coup d’œil derrière moi, sur la passerelle cette fois-ci.
– N’y pense même pas.
J’aime ce ton autoritaire. En temps normal ça m’aurait amusée. Et j’aurais bien joué avec lui si je n’étais pas persuadée de ne pas tenir plus de 15 secondes contre lui. Les démons dégagent une aura qui nous permet d’évaluer leur force. Celle du Titan était aussi effrayante que celle de l’écorcheur est … absente. Un écorcheur ne terrasse pas un Titan sans dégager des pics de puissance … Du moins pas un écorcheur normal. Mon instinct me dit de fuir, et de ne pas me retourner.
– Désolée chéri.
A peine ces mots sortis de ma bouche qu’il s’élance vers moi. J’arrache la fiole et la jette à mes pieds avant qu’il ait eu le temps de m’atteindre. Une étincelle, puis un cercle de lumière s’élève autour de lui, formant une barrière infranchissable. Alors que je cours pour rejoindre les autres, un grondement de fureur s’élève derrière moi, provocant une montée d’adrénaline et … me rendant complètement moite.
– J’ai cru que tu allais y passer !
– Comment tu as fait ?!
– C’était quoi ce truc ?
– Qu’est-ce que tu as lancé ?
J’aurais du rester avec lui, au moins il ne me tapait pas sur les nerfs.
– Je ne sais pas combien de temps la barrière tiendra mais je ne veux pas être là quand elle lâchera. Si on remettait les questions à plus tard … et je ne sais pas … on se barrait de là !
Sans attendre de réponse, je m’engouffre dans l’escalier qui mène au quatrième étage du centre médical, au service radiologique. J’entends les moutons me suivre. Et me demande sérieusement si on s’en sortira tous. Mes pensées vont vers mon amie sans qui je serai morte je pense. Lorsqu’elle m’avait tendue la fiole, je lui avais ri au nez.
« J’ai pas besoin de ça ! Ca va plus les attirer qu’autre chose, et ce n’est pas très sexy … »
Merci Mysth, je jure de ne jamais plus rechigner à garder un peu de ton sang sur moi.
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