L’aile gauche se regonfla un peu, battit rapidement, un seul coup. La chandelle céda face au courant d’air impératif.

Dans la salle commune, les jongleurs avaient rangés leurs exploits et leurs récits, et finissaient un pichet de vin dans un coin de la salle, maintenant presque vidée. Les villageois étaient rentrés chez eux dormir quelques heures avant la journée du lendemain, aussi dure que celle qu’ils avaient voulu fuir. Les voyageurs repartaient le lendemain pour la plupart, oiseaux migrateurs qui restaient peu de temps. Le patron rangea quelques chaises, attrapa une bûche, début d’une branche maîtresse d’un arbre défunt, et la jeta au fond de l’âtre. Un gourmand nuage de braises lui répondit, pour retomber comme les derniers clients attablés dans une torpeur digestive. Il ramassa quelques verres oubliés par sa fille, et les jeta dans un bac d’eau, avant de s’asseoir seul à une table en attendant que le sommeil invite tout le monde dans ses draps.

Une heure plus tard, il ronflait tranquillement, et sa fille rejoignait rapidement le jeune apprenti du charpentier dans la grange.

Le soleil était déjà haut ce jour-là, quand le patron surpris vit son meilleur client descendre l’escalier. Il le pensait parti depuis longtemps, sans manger, comme à son habitude depuis deux semaines qu’il séjournait à l’auberge. A sa demande, il lui servit un copieux déjeuner. L’homme rit et plaisanta avec lui pendant quelques minutes, avala les œufs et le lard fumé, les péches rouges et les abricots un peu acides. Puis il se leva, le salua et sorti tranquillement. Il prit la route vers l’est d’un pas nonchalant, le pas du promeneur qui ne va nulle part et marche pour marcher.

Après une heure sous le ciel bleu, et par une chaleur agréable, il quitta le chemin pierreux pour s’avancer dans l’herbe haute et sèche d’une prairie. L’homme s’assura qu’il n’était pas visible depuis la route, masqué par la végétation dense, et s’allongea. Il sorti une petite boite métallique ouvragée, ronde, aux motifs abstraits. Les entrelacs ciselés étaient quelques peu ternis par les ans mais leur grande finesse, le motif répété sur tout le pourtour avaient quelque chose d’hypnotique. En prenant garde de ne pas toucher au couvercle, l’homme la posa à côté de lui, et se mit sur le dos. Respirant calmement, les bras le long du corps, il ferma les yeux, et bascula dans le sommeil. A la frontière de la plaque métallique sous son œil droit, une goutte de sang perla. Elle se dilata quelques secondes, puis explosa dans un petit éclat lumineux, sans laisser de trace. Tout son corps frémit.

*****

L’homme se tenait debout, dans une pièce ronde sans ouverture apparente. Les murs brillaient, bien qu’aucune flamme ne les éclaira. La pièce était totalement vide à l’exception d’un bloc de cristal dans un coin, sur lequel une créature était assise. Il lui faisait face. Le corps était de forme humaine, mais trop grand, trop massif, et sa peau avait la couleur du charbon. L’être contrefait dépassait sans doute les trois mètres, et ses bras épais était trop longs, disproportionnés. Les mains portaient cinq doigts, tous terminés de griffes usées, émoussées comme une arme qui a trop frappé. Le crane était nu, la face imberbe. Deux yeux, trop larges, regardaient l’intrus. Le nez était à peine visible, deux fentes à plat, et en dessous la bouche sans lèvre révélait une dentition blanche et pointue.

— Que vas-tu faire de moi ?

La créature avait parlé d’une voix douce, presque celle d’un jeune garçon.

— Les moines de Whus s’occuperont de toi, répondu l’homme.
— Une prison contre une autre, mais au moins je ne serai pas seul. Notre pouvoir deviendra un jour trop grand pour que vous le conteniez, humains.
— Je ne suis pas un homme.
— Vrai ! Je sens quelque chose de différent en toi, mais griffes contre épée tu ne tiendrais pas plus longtemps qu’eux.
— Il est d’autres armes que les griffes et l’acier, démon.
— Sinon nous vous aurions exterminé, souffla la créature.
— Quel est ton nom ?
— Je suis Arkosh, de la Cité.
— Elle n’existe plus, ensevelie sous les sables du désert. Tu es resté trop longtemps dans le tombeau du nécromant.
— Et toi, humain, ou quoi que tu sois, quel est ton nom ? Que je te retrouve et te reconnaisse si je sors un jour ?
— Je doute de vivre assez longtemps pour cela.

L’homme se tourna à moitié, comme pour partir.

— On me nomme Erwin. Erwin le rêveur.

*****

Il se réveilla, rangeant soigneusement la boite de métal dans une poche intérieure. Il repris sa marche tranquille jusqu’à une rivière que la route enjambait d’un pont de bois usé, sur lequel se tenait un guerrier en armure.

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