De retour au camp, Erwin raconta sa vision à ses compagnons, et ce qu’elle pouvait signifier.
— Que Lipende ait été attaquée et vidée de ses habitants est une nouvelle grave, commenta Longine. Et inédite. Nous avons toujours cru que les Aériens s’étaient dispersés après la Grand Guerre, mais pas suite à une attaque directe. Les murailles noires me rappellent le sortilège souvent utilisé par les démons quand ils capturent une ville : plus personne n’entre ou sort, ou peut même voir ce qu’il s’y passe.
Pélane prit la parole.
— Nous n’avions que des contacts très épisodiques avec les Aériens, aussi avons-nous mis des années, des dizaines peut-être, à découvrir l’abandon de la ville. Il aura fallu un de leurs descendants doué pour déchirer le voile de l’apparence. Sais-tu situer l’époque de ta vision ?
— Non, le temps est toujours flou, mais j’essaierai d’en apprendre plus demain. J’y retourne. Il me faudra par contre être accompagné, je ne peux plonger trop loin dans la vision sans un guetteur. Erza, acceptes-tu de venir avec moi ?
Chacun retint son sourire, sauf la jeune femme qui acquiesça avec empressement.
— Les découvertes d’Erwin résonnent avec les nôtres d’étrange manière. Nous sommes certains que le déséquilibre du climat est lié aux vents. Ils ont changés, les grands souffles glacés de la mer du nord ne descendent plus jusqu’à nous, et n’amènent plus leur humidité. Les vents du désert ont pris leur place, et la chaleur s’étend souvent jusqu’au rivage de l’est en vagues brûlantes.
— Pélane, quel est le rapport entre une découverte historique et les changements dans les vents aujourd’hui ? l’interrompit Etaile.
— Lipen est la maîtresse des vents. La désertion de sa ville l’a privée d’une grande partie de son pouvoir, l’empêchant de réguler les courants pour équilibrer le climat.
— Nous la vénérons encore pourtant.
— Plus autant, pas avec la ferveur des Aériens. Elle n’est que la gardienne des voyageurs pour nous, et n’est plus louée comme déesse du Vent Vrai. Si les deux événements font partie du même plan, il implique directement la Cité du désert et ses sorciers. Un plan qui s’étire sur des centaines d’années. Peut-être même que chasser Lipen était l’objectif premier de la Grande Guerre, ou un atout pour le futur si nos ancêtres résistaient à l’assaut. Comment n’avons-nous pas vu cela venir ? Nous voyions la fuite des Aériens comme un fait historique, pas comme une potentielle menace pour l’équilibre de notre terre. Nous avons été aveugles, malgré nos connaissances, notre science et notre magie.
Elle respira un instant, avant de reprendre.
— Autre chose. En écoutant les flux d’énergie du monde aujourd’hui, j’ai senti un tremblement à la limite du désert. Exactement à l’emplacement du sortilège qui confine les démons. Il est possible que la barrière ait été franchie à nouveau.
— Nous allons devoir être prudent, répondit Argon. Ce peuvent être des renforts, ou plutôt le remplaçant de notre agresseur. Je pense depuis plusieurs jours qu’il a pu être blessé, ou même tué, par le contrecoup de la mort du hurl qu’il contrôlait. J’ai déjà vu l’effet de ce sortilège, et cela explique qu’il n’ait pas attaqué depuis. Si la relève arrive, nous serons sur nos gardes. De combien de temps avez-vous encore besoin ?
— Quelques jours pour avoir le tracé exact des vents, leur évolution, répondit la moniale. Si Erwin peut confirmer ce qu’il a découvert, l’information nous sera précieuse. Nous devrons ensuite retourner au plus vite à Whus pour organiser la riposte, tant pour contrebalancer le déséquilibre du climat que pour prévenir le Prince de préparer la guerre. Car nous allons vers un second conflit avec la Cité, sans l’ombre d’un doute.
Le sommeil et la garde de chacun fut sombre, plein de récits des massacres historiques.
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