Erwin et Argon parlèrent longuement des révélations de Pélane. Le guerrier pesta contre l’inconscience des moines et leur fichu sens du secret, mais il était homme à comprendre et accepter les raisons de ses clients. Il n’en ressentait pas moins le manque de confiance comme un risque inutile pour cette mission, d’autant plus qu’elle se révélait plus importante qu’annoncé. Leurs années d’errances leur avait prouvé l’avancée du désert, la disparition de certains cours d’eaux, la raréfaction des plantes avides. Jusqu’à la dernière mission d’Erwin dans le tombeau d’un archimage, et le village proche, déserté comme sa rivière.
Malgré les révélations, ou peut-être à cause d’elles, Erwin reprit son projet de visiter l’ancienne ville du Pic, demeure des Aériens. Il privait le camp de sa protection, mais l’appel de l’histoire de ses ancêtres le tenaillait chaque jour. De plus, Argon pourrait le prévenir, et il ne lui faudrait que peu de temps pour porter secours. Les ruines étaient à quelques minutes de vol, et seule l’attente d’un danger inconnu l’avait retenu jusqu’à maintenant. Erza lui rendit son signe de main d’un regard triste, tandis qu’il s’élevait. Il survola le sommet, s’assurant une dernière fois de l’absence de danger, puis piqua vers le versant nord.
Son grand-père n’avait pas vécu lui même à Lipende, abandonnée après à la Grande Guerre, mais la ville restait une légende, au cœur de la plupart des histoires qu’il avait entendu et répété. Comme Erwin s’approchait, il superposait au décor les images des récits : la ville était nichée sur une plate-forme rocheuse entre le Pic lui-même et une montagne de moindre importance qui lui faisait contrefort. Le précipice la protégeait et l’isolait du monde. Elle s’étendait en un vaste complexe de bâtiments de pierre, issues des carrières locales. Aucune route n’y menait, la voie des airs était la seule possible. Son grand-père racontait que les dignitaires humains invités étaient hissés dans un panier suspendu par des câbles, ce qui était à la fois effrayant et dégradant. On ne savait trop qui refusait de venir par peur, ou par honte.
Quelques instants plus tard, il se posait au milieu de la place centrale, dallée entièrement selon des motifs complexes. L’herbe festonnait les jointures de plumets qui se balançaient gracieusement au vent, au bout de longues herbes un peu sèches. Un grand bâtiment pyramidal imposait sa présence devant lui. En vol, il avait reconnu le temple dédié a la déesse des vents, Lipen, la gardienne du lieu. Les humains la priaient sous le nom d’Aria, pour assurer la sécurité de leurs voyages. Le vent vrai ne leur importait pas.
Il se dirigea vers sa droite, où s’étiraient des bâtiments bas. Il cherchait des lieux de vie, et s’arrêta au milieu du marché, dont le toit s’était effondré en son milieu. Il sentait une énergie vitale résiduelle, trace des multiples individus, de leurs interactions. Sa vision-rêve lui montrait une activité soutenue, des étals de marchandises hissées par la même voie que les visiteurs, des aériens nombreux, parlant, marchandant, se déplaçant indifféremment au sol ou dans les airs. Il y avait de fait autant de portes que de larges fenêtres pour laisser passer le flux des clients.
Erwin avait grandi comme un être étrange, non pas un paria car les aériens restaient honorés bien des années après leur disparition quasi-totale, mais sa nature métissée troublait les humains. Son visage n’avait pas la finesse étrange du peuple des airs, ses doigts étaient puissants, et non filiformes, mais ses ailes intriguaient. Sa mère avait caché les siennes aussi longtemps que possible. Le seul avec qui il se sentait totalement à l’aise était son grand-père, qui ne faisait aucune différence entre les races. Voir, sentir, même de manière diffuse, autant de « gens comme lui » balayait des années de regards discrets mais insistants, les camarades de jeux qu’il avait dû convaincre, la honte de sa mère de leur double nature.
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