Eshe ouvrit grand les yeux, ne croyant pas ce qu’elle venait d’entendre.
– Pardon ? dit-elle sans réfléchir.
Ishaq répéta :
– Je t’emmène Ahankh. Là-bas je te vendrais très cher, peut-être même plus cher que dans n’importe quelle ville.
Un titillement l’irrita à l’intérieur de sa tête. Quelque chose … elle ne savait pas quoi, tentait de lui rappeler un souvenir. Elle sentait que ce nom avait une grande importance dans son ancienne vie. Avant qu’elle oublie tout.
– Tu connais Ahankh quand même ? demanda Ishaq sans se rendre compte de l’effet qu’avait ce nom sur la jeune fille.
Encore ce titillement. Mais qu’est-ce que c’était ? Ce nom ! C’était une chose importante. Qu’avait-elle vécu là-bas ? Elle chercha en vain dans le peu de souvenirs qu’elle possédait et tenta de percer le secret de ce nom. En vain. Sa tête lui faisait de plus en plus mal.
– Hey ! lui lança Ishaq en la secouant, qu’est-ce qui ne va pas ?
Eshe sentit que le souvenir s’échappait. N’obtenant toujours pas de réponse de sa part, l’homme la souleva dans ses bras pour la déposer sur la couchette. La jeune fille s’en rendit compte et tenta de se dégager. Le coup qu’elle lui donna projeta Ishaq contre son bureau qui se renversa. Le souvenir lui avait échappé. Si seulement il ne l’avait pas déconcentré ! Elle se retourna, furieuse, vers le marchand d’esclaves. Ce dernier était debout, à quelques pas d’elle, il y avait dans ses yeux une lueur de surprise. Sa main massait son menton endolori qui prenait déjà des couleurs rouges à cause du coup reçu par la jeune fille.
– Tu m’as frappé ? bégaya-t-il effaré.
Eshe se contenta de le regarder haineusement. Elle ne savait pas comment, mais elle était sure que ce souvenir était très important. Et à cause de lui, elle ne saurait jamais ce que c’était.
– Tu m’as frappé ? répéta Ishaq un peu plus fort.
– Je n’ai fait que me défendre …
– Je suis ton maitre ! Tu n’es qu’une esclave ! Tu n’es rien !
Eshe secoua la tête.
– Non …
– Sais-tu seulement ce qui arrive aux esclaves qui osent frapper leurs maitres ?
– La punition divine … chuchota malgré elle la jeune fille.
Eshe se leva de la couchette. Elle fit quelques pas sur le côté, tentant d’esquiver le marchand. Avant que ce dernier ait pu faire quoi que ce soit, elle prit ses jambes à son cou. Quand elle franchit le seuil de la tente, le soleil couchant l’ébloui. Il faisait encore si chaud dehors ! Elle vit que les hommes de mains d’Ishaq s’étaient retournés pour l’observer. Son souffle s’accéléra et son cœur se mit à battre plus fort. Y arriverait-elle seulement ? Et s’ils la rattrapaient ? Il la punirait sans aucun doute … Mais au point où elle en était, elle avait déjà frappé leur chef alors que risquait-elle de plus ?
– Qui ne tente rien n’a rien ! s’encouragea-t-elle.
Et elle s’enfuit derrière la tente. Le sable brulant rentrait entre ses orteils, le vent ressemblait à une haleine chaude, comme si le désert était une bête prête à l’engloutir. Les dunes s’étendaient à perte de vue.
– Je n’y arriverais jamais … désespéra Eshe.
Le bruit des chameaux derrière elle la fit s’ébranler. Elle courut, courut autant qu’elle le pu. Au loin, la voix d’Ishaq retentit. Les bruits de la course effrénée des chameaux se rapprochaient … inexorablement … de plus en plus près … Elle entendit un bruit, la, juste dans son dos. Instinctivement, elle fit un bond de côté et le fouet claqua sur le sol. Pile à l’endroit où elle se tenait une seconde auparavant. Son attention fut détournée pendant un instant par le bruit du fouet. Cela suffit pour qu’elle ne voie pas la pierre devant elle. Son pied se prit méchamment dessus et elle tomba face contre terre. La douleur remonta, aigu, mais Eshe était trop déterminée pour abandonner. Elle se mit en boule au moment de toucher le sol, repliant ses bras et ses jambes, et roula sur le sol pour se relever aussitôt. Mais un cavalier déboula juste devant elle, projetant une vague de sable. La jeune fille freina et voulut partir sur sa droite. Un autre cavalier. ‘’Tant pis !’’ se dit-elle.
– Arrête-toi esclave ! Lui cria l’un des hommes.
Mais elle ne l’écouta pas. A la place, elle se mit à courir vers lui et, au dernier moment, alors qu’elle était sur le point de percuter le cavalier et son chameau, elle glissa entre les pattes de l’animal qui, effrayé, s’en allât à vive allure malgré les protestations de son maitre. Le plus rapidement possible, elle se leva et recula. Ishaq se tenait maintenant en face d’elle avec quelques-uns de ses hommes. Le reste devait être resté à la caravane.
– Arrête-toi … lui dit-il, tu sais très bien que tu ne pourras pas t’enfuir éternellement …
A force de reculer, elle commença à gravir à reculons une immense dune.
– Si je te vends, tu auras une vie beaucoup plus facile que les autres esclaves. Crois-moi, je connais ce milieu mieux que tu ne le penses …
– Laissez-moi ! s’écria Eshe terrifiée.
Mais les hommes se rapprochèrent. Le sable s’affaissa sous ses pieds et la jeune fille faillit déraper. Elle se retint de justesse en calant ses mains dans le sable. Elle était la et, en bas, il y avait ces hommes. Ils lui faisaient penser à une bande de loups près à attaquer leur proie, menaçants, grognant et bougeant, attendant le moment opportun. Elle finit de gravir la dune. Le vent soufflait, envoyant ses cheveux blond onduler de chaque côté de son visage. Les pieds bien calés dans le sable, la tête haute, ses yeux bleus comme l’azur fixant les hommes en contrebas, le soleil couchant chauffant agréablement son dos … Elle se sentait forte. Elle se sentait puissante. La peur s’en allât, comme le sable emporté par le vent du désert.
– Je ne vous suivrais pas …, dit-elle.
Ishaq l’observa avec des yeux ronds.
– Je ne vous suivrais pas … répéta la jeune fille un peu plus fort.
Mais le marchand ne répondit rien. Eshe fronça les sourcils. L’homme semblait frappé de stupeur. C’était comme s’il avait vu une apparition.
– Mais qu’est-ce que …
Elle se retourna. Derrière elle, il n’y avait que les dunes. Le sable, le ciel et le soleil, d’un rouge éclatant, qui descendait paresseusement en colorant le bleu du ciel de milles couleurs dans son sillage. D’un seul coup, le vent se mit à souffler, a rugir comme une bête. Il souffla tellement brutalement et subitement que la jeune fille fût surprise et perdit l’équilibre. Elle dévala la dune qu’elle avait escaladée quelques secondes auparavant pour finir aux pieds des marchands d’esclaves. Les chameaux firent un écart. Eshe toussa. Le nuage de sable qu’elle venait de soulever retombait lentement vers le sol.
– Impossible …
Eshe leva les yeux vers les hommes autour d’elle. La peur était revenue …
– Je … c’est n’est pas réel ! dit l’un des hommes, ça ne peut pas être !
– Et pourtant … murmura Ishaq, vous avez tous vu comme moi.
– Hein ?
Elle ne comprenait pas. De quoi parlait-il ? Que c’était-il passer ? Elle voulut bouger ma sa cheville l’obligea à rester à terre. C’était fichu, elle ne pourrait plus s’enfuir avec sa blessure.
– Emmène-la ! ordonna Ishaq à l’un des hommes.
– Je ne la toucherais pas ! s’exclama ce dernier, ça je le jure devant tous les dieux, je ne la toucherais pas !
Ishaq pinça les lèvres avec une mimique déçue. Il donna un coup dans les flancs de son chameau et s’approcha de la jeune fille, toujours assise sur le sol.
– Lève-toi, lui dit-il.
Elle voulut répliquer mais il ne lui en laissa pas le temps.
– Lève-toi ou je descends et c’est moi qui viens te chercher.
Elle examina la main tendue du marchand.
– Je ne vais pas te mordre, tenta-t-il de la rassurer.
– Non, bien sûr ! Vous allez juste me vendre ! se rebiffa la jeune fille.
Elle prit néanmoins sa main et grimpa devant lui en prenant soin de ne pas appuyer sur son pied blessé. Puis, une fois qu’elle fut installée, ils se mirent en route vers la caravane.
– Qu’avez-vous donc vu lorsque j’étais en haut de cette dune ?
Elle sentit le corps de l’homme se crisper derrière elle.
– Tu ne le sais pas ? demanda-t-il.
N’obtenant aucune réponse, il comprit que c’était non.
– Ce que nous avons vu en haut … à ce moment-là … C’était les dieux qui te désignaient.
Eshe fronça les sourcils. Comment ça les ‘’dieux’’ ?
– Le soleil est devenu d’un rouge lumineux, il était juste au-dessus de ta tête comme une couronne de feu et les nuages, de milles couleurs, t’encerclaient de leurs parures duveteuses.
Le soleil une couronne ? Au-dessus de sa tête ? Ce n’était surement qu’un hasard ! Si elle avait été là, exactement au même emplacement, quelques minutes plus tard, le soleil n’aurait pas été juste au-dessus de sa tête !
– Les contours de ta silhouettes se sont mis à briller … c’était un geste divin ! J’en suis sûr !
‘’Et bien moi pas !’’pensa la jeune fille. Et qu’allaient-ils faire d’elle maintenant ? La vendre plus cher parce qu’elle avait été ‘’désignée’’ par les dieux ?
– Le serpent, et puis maintenant ça ! continuait néanmoins Ishaq, plus de doute … non, plus de doute …
Eshe ferma les yeux. Qu’il continu donc à fantasmer sur ses dieux. Elle, elle ne voyait que le fait qu’elle avait échoué et que désormais, elle ne pouvait plus s’enfuir.
Les jours qui suivirent, elle les passa assise sur un chameau. Avec sa cheville, elle aurait du être abandonnée dans le désert mais elle était bien trop précieuse aux yeux d’Ishaq pour cela. Les jours passèrent, sa cheville lui faisait de moins en moins mal mais il fallait attendre encore avant de tenter une nouvelle fois de s’échapper. Ou plutôt d’essayer de s’échapper car le marchand d’esclaves la faisait surveiller de très près. Ses hommes de mains avaient interdiction de la toucher ou de lui faire tâter du fouet lorsqu’elle lâchait un commentaire désobligeant. La jeune fille jouissait d’une place de luxe malgré son rang d’esclave. Comme tout le monde lui fichait la paix lors des longues marches, elle avait tout le loisir de réfléchir à certaines choses … Ses souvenirs dont elle n’arrivait pas à se rappeler, l’incident du cobra, celui du soleil … Tant de choses louches et pourtant si peu à la fois ! Qui était-elle ? Elle aurait bien voulu que quelqu’un le lui dise. Une fille de haut rang ? Du peuple ? Ou une esclave ? Qu’avait-elle vécue dans son ancienne vie ? Comment s’était-elle retrouvée dans ce désert ? Des gens étaient-ils à sa recherche ? Pourquoi ? Elle regarda le soleil, éblouissant comme tous les jours. Avait-il la réponse, lui ou les dieux ? Ou seulement une personne dans ce monde ? Quelqu’un avait-il au moins la réponse ?
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