La grande grille s’ouvrit pour les laisser entrer. Emon était assez simple, essentiellement des collines à perte de vue. Chaque colline comportait une petite porte permettant d’accéder aux maisons. Au loin, on apercevait aussi une grosse bâtisse en bois, ça devait être sûrement une auberge. Sur la route tout le monde les dévisageait comme des bêtes curieuses. Tous les Touziens sortaient de leur habitat pour observer les nouveaux visiteurs. Ils avaient un regard perçant et méfiant. Varro et Exéus n’étaient pas rassurés.
– Je n’ai aune confiance en eux Eldor, dit Exéus. Comment allons-nous nous défendre en cas d’attaque, nous n’avons plus nos armes?
Eldor ne dit rien mais sortit son grimoire et quelques instants plus tard, toutes leurs armes étaient de nouveau en leur possession.
– Vos pouvoirs sont impressionnants, je suis à chaque fois époustouflé s’étonna Varro.
– Ils sont toutefois limités mes garçons, comme je vous l’ai déjà dit, je ne peux faire apparaître que des objets existants et nous appartenant.
– C’est déjà formidable concéda Exéus.
Ils prirent tous leurs armes et les cachèrent sous leurs vêtements.
Un des Touziens interpella Eldor.
– Que cherchez-vous?
– Le responsable d’Emon.
– Vous l’avez trouvé. Je suis Lazarius. Que voulez-vous?
– Nous aurions besoin d’un toit pour cette nuit, pouvez-vous nous aider?
– Pourquoi le ferais-je?
Avant même qu’Eldor ait pu répondre, des cris gutturaux déchirèrent le ciel. Tout le monde se retourna et vit qu’un petit groupe de Touziens s’approchait dangereusement du mage et de Lazarius. L’un d’entre-eux avait un poignard. Il semblait menacer le chef du royaume. Alors qu’il s’apprêtait à atteindre sa cible, une flèche se planta dans son front. Varro venait de tirer avec une rapidité et une dextérité sans égale. Les autres Touziens du groupe, surpris, se jetèrent sur Varro, mais Exéus, Dana et Filen s’interposèrent. Exéus sortit son épée et trancha la gorge d’un d’eux. Il la planta ensuite dans le ventre d’un autre qui s’effondra sur le sol. Dana sortit elle aussi, un petit couteau et le planta dans le pied d’un Touzien qui, prit de douleur, tomba à terre. Elle l’acheva en le poignardant en plein coeur. Deux autres s’approchèrent de Filen qui sortit deux machettes et leur coupa la tête d’un seul coup. L’un d’eux réussit tout de même à taillader légèrement le bras de Filen. C’était un vrai carnage, des mares de sang se répandaient désormais sur le sol d’Emon. Lazarius n’en revenait pas. Les quatre humains venaient de le sauver et pourtant il semblait hors de lui.
– Comment avez-vous eu ces armes? cria t-il.
– Vous ne croyez tout de même pas qu’on allait tout vous donner? dit Exéus ironiquement.
– Arrêtez un peu Lazarius, dit Eldor. Ils vous ont sauvé la vie, vous auriez préféré qu’ils n’en n’aient pas eu?
– Non, c’est vrai, mais tout de même, cela veut dire que mes hommes ne sont pas efficaces.
Je vais y mettre bon ordre et je trancherai aussi la tête à ces assassins que j’accrocherai ensuite sur les piquets à l’entrée du royaume. Cela servira d’exemple au peuple et dissuadera d’éventuels rebelles. Il n’y a qu’un seul chef ici, et ce chef, c’est moi!
– Cela me paraît sage, Lazarius.
– Je vous suis redevable, dit-il en recouvrant son calme, c’est pourquoi je vais vous héberger cette nuit. Vous dormirez dans la colline de Machak, il est absent pour le moment, vous emprunterez sa maison pour ce soir.
– Je vous remercie de votre aide Lazarius.
Eldor demanda aux autres de se rendre à la supposée colline le temps qu’il finisse sa discussion avec Lazarius. Il garda avec lui Exéus. Il n’avait pas oublié la raison principale de sa venue à Emon.
– Ecoutez Lazarius, je sais que vous parlez le Lamos, l’ancienne langue des Mandores notamment.
– Oui et alors?
– Nous ne comprenons pas cette langue et nous avons besoin de votre traduction pour une phrase qu’on a entendu. Exéus!
Exéus s’approcha de Lazarius et essaya de se rappeler de la phrase. Elle lui revint à moitié.
– Euh « Est adhuca vavut? Loquarte le Guerno » je me rappelle plus du reste.
– Que veut-elle dire? demanda Eldor.
– Eh bien, elle dit « Est-elle vivante » et « Vas, demande à Guerno ». De qui parle t-il?
– On ne sait pas justement!
– Qui est Guerno? questionna Lazarius.
– Aucune idée.
Cela n’avait aucun sens. Qui devait être vivant? Qui était Guerno? Pourquoi le dire à un oiseau? Depuis quand les oiseaux parlaient-ils le Lamos? Quel était le but de Filen? Filen était redevenu étrange aux yeux d’Eldor et d’Exéus. Une fois encore, Eldor insista pour ne rien dire à sa fille et à Varro.
Ils rejoignirent la fameuse colline pour enfin dormir après ce long voyage. En rentrant, ils comprirent que cette demeure était vraiment construite pour des Touziens. Tout était petit et inutilisable. La table, les chaises, les fenêtres ainsi que les lits, tout était minuscule. Ils en conclurent qu’ils devraient dormir comme dans la nature; avec des couvertures à même le sol. C’était certes, moins agréable qu’un lit mais au moins ils avaient plus de place et la température ambiante était correcte.
En guise de repas, ils mangèrent un gros sanglier qui était déjà dans la maison. Eldor sortit ses habituelles broches et le fit cuire. Ensuite, la fatigue l’emporta et ils allèrent tous se coucher. Eldor, Varro et Dana s’endormirent rapidement. Exéus ne trouva le sommeil que bien plus tard. Il se réveilla et sortit de la colline.
Il était de retour dans cet environnement hostile, cet endroit sombre et funeste. Il vit exactement le même décor. Le ciel rouge avec des pluies de sang, de la roche noire partout et les fameuses grandes montagnes. Cette fois, il ne perdit pas de temps et se précipita vers elles. Il devait savoir quelle était cette ombre. A l’intérieur, tout était pareil, la faible luminosité de la pièce, le trône de marbre blanc, les torches aux murs et l’oiseau de Filen. Rien n’avait changé. Il courut jusqu’à la porte et vit l’ombre, il s’en approcha mais trop tard, tout redevint de nouveau noir et il se réveilla.
Il n’y avait rien à faire, il ne pourrait donc jamais savoir qui se cachait derrière cette masse noire. Pourquoi avait-il refait ce rêve? Quel en était le but? S’il ne pouvait pas voir qui était cette personne alors pourquoi rêver de nouveau? Il n’en avait aucune idée.
Au matin, il ne crut pas utile de révéler qu’il avait de nouveau fait le même rêve, surtout qu’il ne lui avait rien apporté de plus, aucune autre indication ni sur le lieu ni sur la personne. Il garda donc cela pour lui. Dès que tout le monde fut prêt, ils sortirent et se dirigèrent vers Lazarius pour le remercier encore une fois de son hospitalité. Ce dernier était en train de discuter avec un autre Touzien, plus grand que lui. Eldor s’approcha.
– Merci encore Lazarius de nous avoir accueilli chez toi.
– Merci à vous de m’avoir sauvé la vie la nuit dernière. Où allez-vous?
– Nous allons sur le continent de Gauche, d’ailleurs si vous savez quelque chose à propos de cet endroit, cela nous serait d’une grande utilité.
– Moi, je n’y connais rien, seulement quelques rumeurs mais quelqu’un d’autre pourra peut être vous aider.
– Qui?
– Géone Liota. C’est un prisonnier à la prison de Lashcoll. Il est toutefois possible qu’il soit déjà mort. Il y était enfermé pour trahison envers le peuple des elfes, il a été banni à vie. Vous pouvez aller le voir, si vous voulez, mais cette prison est devenue un enfer désormais. Maintenant qu’il n’y a plus de gardes pour surveiller les prisonniers, c’est devenu l’anarchie. Toute personne qui pénètre à l’intérieur à de fortes chances d’y mourir.
– Où est-elle? interrogea Exéus.
– Au sud de Tevargues, près des lacs de lave.
– Nous nous y rendrons, répondit Exéus.
– Mais enfin, dit Varro, c’est trop dangereux! Je ne veux pas mourir en prison.
– Tu t’es engagé à nous accompagner lui rappela Eldor.
Varro ne savait plus quoi dire pour sa défense. Il baissa la tête.
– Bien, nous partons de ce pas, dit Eldor. Encore merci Lazarius.
Après cette discussion fort intéressante, ils partirent d’Emon pour se rendre à Lashcoll. Selon Lazarius, cet endroit était réputé pour y abriter les pires criminels de Cryon. Après la guerre de 1439, les gardes décidèrent d’abandonner leurs postes jugeant qu’ils risquaient leur vie. Depuis, les prisonniers, sans surveillance faisaient régner la terreur. La prison se situait dans un endroit reculé, loin des royaumes voisins pour éviter tout danger. Au départ, elle devait être construite sur les plaines de Nashquall sur le continent de gauche. Mais, l’endroit fut jugé trop dangereux et la bâtisse finit par voir le jour près de Tevargues.
En quittant Emon, ils virent les têtes des coupables embrochées sur les piquets comme l’avait promis Lazarius.
Ils devaient maintenant se diriger vers les lacs de lave de Tevargues. Exéus était en train d’imaginer l’apparence du bâtiment. Etait-il grand? Petit? En pierre? Il y avait peut-être des pièges.
Varro et Dana s’approchèrent de lui.
– Tu crois que ce sera une sorte de château? questionna Varro.
– Je ne sais pas, peut être que ses rumeurs ne sont pas fondées et que l’endroit n’est pas si terrible que ça.
– Je n’y crois pas un seul instant, dit Dana. Une prison digne de ce nom doit être terrifiante, sinon pourquoi les gardes seraient partis. Ca doit être sûrement une grande forteresse.
Aucun ne la contredit. Même Filen, qui avait fait de nombreux voyages, n’avait jamais vu cette fameuse prison. En tout cas, c’est ce qu’il prétendait. Toujours selon Lazarius, l’endroit serait sombre, sale et délabré. Dès leur arrivée, les prisonniers étaient tatoués à l’abdomen. Cette marque indélébile, les empêchaient de s’échapper de l’enceinte du pénitencier. Ce dernier étant protégé par un dôme invisible qui laissait passer toute personne voulant y entrer mais qui s’activait pour empêcher à quiconque portant ce fameux tatouage d’en sortir. Toutes ces histoires n’étaient encore une fois que des rumeurs. Personne à ce jour ne s’était échappée et ne pouvait les affirmer ou les contredire. Tout cela inquiétait le groupe et affectait leur moral.
Exéus essaya de ne plus y songer et ses pensées furent pour Dana. Il ne cessait de se répéter qu’elle était sa cousine et qu’une histoire d’amour avec elle serait malsain. Il osait à peine imaginer la tête d’Eldor. C’était pourtant plus fort que lui, il ne la voyait pas comme un membre à part entière de sa famille mais comme une jeune femme désirable. Jamais auparavant il n’avait ressenti cela pour quelqu’un d’autre. Il aurait aimé lui faire part de ses sentiments, la courtiser mais il craignait sa réaction. Peut être ne ressentait-elle rien pour lui. Ce serait peut être même préférable. Dana, qui avait remarqué les regards appuyés d’Exéus ne manifestait pas son mécontentement. Elle se sentait flattée et en même temps, cela la troublait. Elle devait bien avouer qu’il ne la laissait pas indifférente.
Exéus chassa de nouveau cette idée et se concentra sur les choses plus importantes. Il en avait presque oublié la récente disparition de ses parents.
La route était des plus monotone, des plaines, des arbres et quelques sangliers, rien de très impressionnant. Eldor avait hâte d’arriver à la prison, il voulait voir cet endroit connu pour sa dangerosité. Il voulait vérifier chacune des rumeurs qu’il avait entendu. A en juger par le soleil très haut dans le ciel, l’heure du déjeuner était proche. Varro le premier manifesta sa faim. Eldor accepta à contrecoeur de faire une pause pour permettre à tous de se restaurer. Il était tellement impatient d’arriver à la prison qu’il en oubliait sa faim.
Ils se s’arrêtèrent près d’un arbre. Exéus et Varro se dévouèrent pour aller chercher du gibier. Ce n’était pas trop dur, il y avait une plaine avec des dizaines de sangliers. Varro ne perdit pas de temps, il encocha une flèche et la tira sur l’animal le plus proche. A sa grande surprise, il ne s’effondra pas. Ses congénères ressentirent le danger et passèrent à l’attaque. Un groupe fonça sur Exéus et Varro. Exéus sortit son glaive et Varro banda son arc. Ce dernier tirait aussi vite qu’il le pouvait pour éliminer le plus de sangliers possible. Exéus quant à lui, allait dans le tas et essayait de les tuer, mais en vain. Ils étaient extrêmement résistants aux coups d’épée. On aurait dit que leur peau était faite d’une cuirasse. Du sang s’échappait bien de leur corps mais ils n’étaient pas morts pour autant. Soudain, sans raison apparente, tous les sangliers se mirent à courir dans la direction opposée et en un rien de temps, ils avaient tous disparu. Exéus et Varro ne comprirent pas ce qui venait de se passer.
– Alors? dit Varro content de lui. On leur a bien fait peur?
Avant qu’Exéus ait eu le temps de lui répondre, son médaillon le brûla et prit une couleur rougeoyante.
– Varro je ne crois pas que ce soit nous qui leur ayons fait peur. Regarde derrière toi.
En effet, derrière eux se tenaient des morts vivants montés sur d’impressionnants loups mutants aux yeux rouges sang. Les cavaliers tenaient dans leurs mains des épées affutées. Ils frappaient leurs montures et avançaient dangereusement vers eux.
– COURT! cria Exéus à Varro.
Ils détalèrent aussi vite que possible en direction d’Eldor et du reste du groupe. Ils traversèrent la forêt aussi rapidement qu’ils le pouvaient. Ils étaient toujours là, derrière eux. Ils se rapprochaient de plus en plus. Les deux amis arrivèrent enfin auprès d’Eldor qui les aperçut transpirants et dégoulinants de sueur. Il vit aussi le médaillon de couleur écarlate et comprit le danger. Il sortit sans attendre son grimoire de sa poche et prononça une phrase incompréhensible. Tout à coup, le terre se mit à trembler, le ciel devint noir. Tous se mirent à l’abri et s’accrochèrent tant bien que mal aux branches de l’arbre. Les secousses intenses déstabilisèrent les loups et leurs cavaliers qui tombèrent à terre. Ils tentèrent de se relever et de remonter sur leurs loups, mais en vain, les secousses étaient trop violentes. Ils s’enfuirent tant bien que mal et disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus.
Tout le monde était hagard et observait Eldor avec admiration. Le plus impressionné fut tout de même Filen qui en devint muet.
– Tu es un génie Eldor! finit par dire Exéus. Nous ne nous en serions jamais sorti sans toi. Je comprends mieux pourquoi grand-père tenait tant à ce que tu viennes avec moi.
– Oui… Vraiment impressionnant, avoua Filen qui sortit de son mutisme.
– Cela demande beaucoup de pratique, dit Eldor modestement.
Une question était à la bouche de tous. Qui étaient ces cavaliers étranges et d’où venaient-ils?
Ce fût encore Filen qui perça le mystère.
– Des Scillimorts dit-il comme s’il devinait leurs pensées.
– Mais c’est quoi toutes ces espèces inconnues! s’alarma Exéus encore sous le choc.
– Ce sont d’anciennes créatures au service des Mandores, dit-il. Les rumeurs racontaient qu’ils étaient tous morts mais cela montre, une fois de plus, que les rumeurs restent des rumeurs.
– Que faisaient-ils ici? Si loin de chez eux et pourquoi nous attaquer nous? demanda Varro.
– Je n’en sais rien, mais ce n’était pas un hasard, ils savaient où nous étions.
Exéus aperçut une fois de plus l’oiseau étrange perché sur une branche d’un arbre non loin. Que faisait-il ici? D’abord avec Filen, après dans ses rêves et maintenant là. Ce n’était pas une coïncidence, il les suivait.
Après s’être remis de cette attaque, ils décidèrent de reprendre la route vers Lashcoll, ils avaient assez perdus de temps ici. De plus, les cavaliers pouvaient toujours revenir et personne ne tenait à revivre ça. Désormais, Varro regardait sans cesse derrière lui pour s’assurer qu’aucune créature ne s’approchait.
Plusieurs heures étaient passées et la nuit tombait de plus en plus vite. Rapidement le ciel devint très sombre sans aucune source de lumière pour les éclairer. Eldor fit apparaître une torche enflammée. A présent, plus personne ne s’étonnait des miracles qu’il accomplissait. Ils arrivèrent près d’un grand pont de pierre délabré et abandonné vraisemblablement depuis des années et aperçurent au loin un énorme bâtiment gris:
Lashcoll.

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