Alors que je ne pensais n’avoir trouvé le sommeil que cinq secondes plus tôt, je fus réveillé d’un coup de queue qui me fit tomber par terre. OK! Non seulement j’allais devoir supporter la fatigue, mais également la mauvaise humeur de Céline. Cette journée promettait d’être radieuse…
N’ayant pas daigné me déshabiller avant de me coucher la veille, je me contentais de remettre un peu d’ordre dans ma chevelure, l’attachant en catogan parfaitement lisse sur le dessus, et d’enfiler ma nouvelle armure. Céline me laissa me débrouiller lamentablement avec les jambières avant de prendre forme humaine et de m’aider à enfiler le reste de l’armure. Il s’agissait d’une armure absolument magnifique, conçue pour rester toujours brillante et pour me désigner comme dragon d’argent aussi surement que mon insigne officiel. Des motifs d’écailles recouvraient les jambières ainsi que les canons de bras et d’avant-bras. La cape de soie verte était découpée en trois parties, la centrale tombait raide tandis que des anneaux permettaient aux deux autres parties de voleter telles des ailes. Chaque spalière était surmontée d’une tête de dragon, la gauche représentait un dragon placide et âgé symbolisant la sagesse et la magie, et la droite était un jeune dragon menaçant représentant la force et la puissance. Le heaume que je gardais sous le bras était quant à lui muni d’une visière amovible et incrustée de cristaux, des reliefs en forme d’écailles recouvraient son ensemble, et les trois plumes rouges qui le surmontaient étaient le signe de reconnaissance permettant de savoir que mon âme sœur était Céline. Chaque dragon avait ainsi une sorte d’insigne, le nombre de plumes représentait la génération à laquelle elle appartenait, leur longueur représentait sa puissance, et la couleur mettait en évidence une particularité physique. Céline avait choisi de représenter la couleur singulière de ses écailles.
Une fois que je fus totalement équipé, la dragonne reprit son aspect reptilien d’origine et sorti de la chambre pour prendre la direction de la salle de commandement où nous attendait le général. Je me précipitais à sa suite tant bien que mal, le pas mal assuré du dragonnier enfilant son armure pour la première fois.
Nous débouchâmes sur un long couloir sombre. Des bancs longeaient les murs de chaque côté, et seulement deux portes perçaient ces rangées. La première porte sur la gauche menait au bureau et aux appartements du chambellan. L’usage voulait qu’on s’adresse à lui en premier lieu avant de s’assoir pendant qu’il irait annoncer le visiteur au général installé dans la grande salle au fond du couloir. Mais cette règle ne s’appliquait plus à nous à présent, aussi nous allâmes directement frapper à la grande porte à doubles battants qui flanquait le mur du fond. Le respect de la hiérarchie imposait malgré tout que nous attendions que le général vienne nous ouvrir la porte, mais à peine avais-je frappé trois fois que le battant de gauche s’ouvrit et je me figeais en portant le poing fermé sur mon cœur tandis que Céline penchait la tête en signe de salut.
– Bonjour jeunes dragons, les accueillit le général. Entrez, entrez, je suis désolé de vous avoir fait lever si tôt au lendemain de votre intégration, mais la mission que je souhaite vous donner nécessite un maximum de discrétion.
Le général était un homme d’une cinquantaine d’années à la musculature impressionnante. Ce matin il avait troqué ses spalières de cérémonies munies d’ailes dorées contre celles des simples soldats. Moins impressionnantes, mais de loin plus confortable. Nous le suivîmes jusqu’à son bureau derrière lequel se tenait un large fauteuil de cuir noir dans lequel il se laissa tomber. Apparemment, lui aussi accusait le coup de ces trois heures de sommeil manquées. Je me tins bien droit devant le bureau et Céline s’installa à ma gauche. Il n’y avait pas de fauteuil pour les invités dans son bureau.
– Asseyez-vous, mettez-vous à l’aise, cette mise en scène est réservée aux gens qui viennent m’embêter à longueur de journée, pas pour mes frères.
Je fixais le sol un instant avant de réaliser ce que le général avait en tête. Aussitôt je puisais un peu de magie à la source et me baissait pour poser la main au sol. L’usage de la magie fonctionnait comme un échange. La source était toujours là, à portée de la main de ceux qui pouvaient s’en servir, et il suffisait d’y puiser pour pouvoir utiliser sa magie. En échange de ce pouvoir, la source se nourrissait des changements que nous provoquions, ce qui l’empêchait de s’assécher. Plus l’usage de la magie était surnaturel, plus la source se remplissait. Être en contact direct avec une chose que l’on souhaitait transformer réduisait la quantité de magie nécessaire sans pour autant minimiser les effets. En procédant ainsi, on donnait plus que l’on recevait. Je formais une image distincte de ce que je souhaitai dans mon esprit, et l’insufflait directement dans le sol, lui intimant qu’il n’était pas juste un sol de bois, mais un sol sur lequel reposait un objet. Une demi-seconde plus tard, une chaise en bois se dressait à l’endroit où j’avais posé la main, et je chuchotais comme à mon habitude un discret « merci » à l’intention de la source de magie. Ce n’était pas nécessaire, mais je ressentais toujours le besoin de lui exprimer ma gratitude pour les miracles qu’elle me permettait d’exercer. Je m’assis sur la nouvelle chaise tandis que Céline s’asseyait à même le parquet en bois précieux.
– Bien, je souhaite que vous vous rendiez en Angle-terre, commença le général sans plus de cérémonie, et plus précisément dans la petite ville d’Ill’s Town. Vous y assisterez la police locale dans les investigations concernant un gang qui sévit actuellement dans la région.
Il sortit d’un tiroir de son bureau le portrait d’un homme patibulaire, habillé comme dans un vieux western, avec un cache-poussière en cuir huilé et un foulard noué autour du cou. Une cicatrice lui lacérait la joue gauche comme pour parfaire le stéréotype du gangster.
– Cet homme est John Miles, il est à la tête de ce gang. Officiellement, il gère une petite mine de charbon un peu en retrait de la ville, mais en réalité il gère également tout un réseau de prostitution dans la région et nous le soupçonnons de se servir de ce réseau pour blanchir de l’argent qu’il fabriquerait dans ses mines. Ces hommes sont trop peu nombreux pour être capables d’extraire quoi que ce soit de ce trou, mais ils sont d’une violence extrême envers les forces de l’ordre et la police est complètement dépassée. Nous aurions bien envoyé nos hommes du quartier général de Londres, mais ils sont déjà trop occupés à contenir les révoltes dans les Highlands, du coup c’est vous que j’ai dé-signé. Cette mission ne devrait pas être trop difficile, la seule chose, c’est de réussir à les approcher d’assez prêt pour tous les coffrer d’un seul coup. Si un seul réussit à s’enfuir, pire, si Miles réussit à s’enfuir, ils recommenceront et deviendront plus prudents. Il faut les attraper pendant qu’ils se pensent en sureté à cause des rebelles du nord. Vous avez carte blanche, vous êtes des dragons d’argent à présent, alors montrez-nous ce que vous valez. Des questions?
– Oui général, lançais-je. J’aimerai savoir où en est précisément l’enquête des policiers locaux actuellement, est-ce qu’ils ont des contacts? ont-ils déjà infiltré le gang? Est-ce qu’il y a déjà eu des affrontements?
– Je te laisse voir ça avec eux, nous n’avons pas beaucoup de temps pour discuter : ils t’attendent dans trois heures.
Il me tendit une carte et la déplia devant moi, il s’agissait du nord de la France, de la vallée de la Manche et de l’Angleterre. Une pastille indiquait l’emplacement d’Ill’s Town un peu au nord-ouest de Birmingham. Il déplia ensuite une deuxième carte plus détaillée de la région, avec des annotations pour marquer le commissariat, les entrées de la mine, les emplacements des prostituées contrôlées par le gang, ainsi que quelques-uns de leurs repères.
– Tu étudieras ces cartes pendant le vol, Céline a déjà pu s’en imprégner hier après-midi. Son ton s’était tendu en prononçant ces derniers mots.
– Bien mon général! Répondis-je en me levant, le poing sur la poitrine.
Avant que le sujet de mon absence de la veille ne soit remis sur le tapis, je tournais les talons et commençais à me diriger vers la porte. Au passage, je frôlais discrètement ma chaise du bout des doigts pour la faire disparaitre. « Merci », chuchotais-je à nouveau.
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