Neil et Ataen continuaient leur route vers le Nord.
– Un sortilège conçu de dure labeur n’a pu sauver mon ancien frère d’arme. Ton espoir de sauver ton ami risque de faillir de la même façon.
Ataen était abattu. Il n’avait plus goût à continuer l’aventure. Après tout, ce voyage était peut-être futile.
– Maître Ataen, votre foi vacille et je le comprends. Votre perte est douloureuse, mais vous êtes le plus pieux de nous tous. Je partage votre chagrin et nous ne retiendrons de Maître Lotedan que son courage. Le temps allégera votre peine, mais nous devons avancer pour Terrelongue et les autres royaumes.
– Je m’étais perdu dans ma quête et cela m’a conduit à la prison des gobelins où j’ai cru mourir. Ta rencontre a été comme une seconde chance qui m’a aiguillonné jusqu’ici. Je me console en pensant que j’ai pu dire adieu à mon ami perdu, grâce à toi. Dieu t’a mit sur mon sentier pour cette raison. C’est moi qui t’emboîte le pas aujourd’hui car la guilde du futur est bel et bien restaurée et un serment me pousse à avancer. Silvel ne voudrait pas que je t’abandonne. Comme je l’ai abandonné, lui.
Des larmes coulèrent sur le visage du magicien et Neil eût le cœur lourd.
– Cela me touche Maître. Je dois vous avouer que je me trompais sur votre compte. Vous êtes un homme bon et sage. C’est moi qui vous emboîterai le pas jusqu’au bout du monde.
Ataen essuya ses larmes avec sa manche.
– Trêve de sentimentalisme. Si notre foi est solide, ne devrait-on pas aussi croire que la fin du monde est proche. Ne devrais-tu pas dans ce cas rebrousser chemin vers ceux que tu aimes ?
– Pour l’instant je reste car mon cœur est avec vous. Et si je veux sauver ma famille, je crois que la guilde du future est la meilleure chance qui m’est octroyée.

*

Après plusieurs jours à cheval, les Rois et leurs hommes grimpèrent une montagne en suivant un sentier caché. Arrivés dans les hauteurs, ils découvraient une grande porte en pierre creusée dans la montagne. Elle cachait une grande salle où se déroulait le haut-conseil. Mais d’abord, les conviés traversaient un long tunnel sombre gardé par des soldats. Les Rois de Beauport, de Moulin-sous-brume et de Terrelongue étaient présents.
Depuis la fin du règne du tyran noir, le pays de Mont-sur-feu n’avait plus de monarque. C’est pourquoi les seigneurs des autres pays revendiquaient sa gouvernance, mais en vain car cette terre était à présent sous le joug des gobelins et d’un ennemi fantôme. Eronnon le Légendaire érudit avait refait surface, il dirigeait à présent le conseil. Les Seigneurs écoutèrent avec attention son discours.
– Majestés, nous sommes réunis en ce jour en période de crise, c’est un fait et non plus un signe. Nos pays manquent de Mages et de soldats. Un mal puissant et ancien avance. Les morts semblent se lever de leur tombe et des créatures géantes du Nord envahissent nos terres. L’heure est grave mes seigneurs. Le seigneur Aldwil de Beauport, ici présent, peut témoigner de cette menace car Port-sur-pluie vient d’être attaqué. Pour cela il vient quémander de l’aide pour le bien de nos terres.
Le magicien Ataen, que vous connaissez tous sous le nom du mage rôdeur, un vieil ami, vous a prêté main forte, mais il ne s’est pas arrêté. Il s’en est allé vers le Nord. Un brouhaha emplit la salle.
– Mon ordre m’a appris qu’il cherchait la source du mal. Sa guilde compte explorer le Désert Sans Fin jamais cartographié. Je ne sais pas si je reverrai mon vieil ami un jour…
Mon action est bien moins vaillante que la sienne, mais je vais quand même vous dire ce que j’ai appris.
Notre monde est peuplé de nombreuses créatures, parmi elles existent des hommes avec de grands pouvoirs : nous les appelons Mages. Il se peut que parfois ces sorciers se mettent au service du mal : nous les appelons alors Dominateurs. Ainsi de nombreuses guerres ont vu le jour. De ces conflits naquirent des histoires, des légendes et des prophéties. Nous avons retrouvé dans nos archives d’anciens manuscrits rapportés par les compagnons des premiers Enchanteurs. Ces écrits se trouvaient, en vérité, sur des tablettes de pierre; c’est vous dire à quel point ces récits sont anciens. Nous pensons qu’ils datent du crépuscule des Mages. L’authenticité de certains de ces récits peut être mise en doute, c’est pourquoi pendant longtemps, mon travail et celui de nombreux autres savants a été de filtrer les récits authentiques des archives. Il apparaît que certains font mention de la fin de notre monde, marquée par l’apparition de signes prémonitoires. Ces signes, nous les vivons aujourd’hui.
Eronnon exposa en quoi la prophétie d’Ibus Le Sage s’avérait vraie. Les doutes furent ainsi levés et les royaumes s’allièrent dans la peur.

*

Pendant ce temps Ataen et Neil continuaient la grande traversée des pays et le jeune fermier sentait un grand changement s’opérer en lui. Malgré tout, il avait finit par maîtriser la transe. Il avait aussi accès à un savoir illimité, mais c’était en vérité un signe car les deux esprits se mélangeaient. C’est là que Neil eût une révélation.
– Midan, l’Éloquence, nous pouvons améliorer le sortilège de Maître Ataen. Il suffirait de le combiner à un sortilège de Chloromancie. J’en suis sûr.
– Je n’ai pas cette compétence. Elle est réservée à un corps particulier de magiciens. Si le corps du Mage Lotedan a succombé à l’arrêt de son énergie spirituelle quand Ataen coupait le fil du Sorcier; si on pouvait par quelque manière relancer cette énergie alors l’exorcisme pourrait marcher. Mais il faudrait un Chloromancien pour lancer ce sort.
– Je connais un peu la Chloromancie grâce à Emyse et donc ce serait comme ramener médicalement à la vie un mourant !
– Si on peut sauver d’autres personnes ainsi, le sacrifice de Silvel n’aura pas été vain, remarqua Ataen.
Mais il faut que vous sachiez ceci. Le sort que j’ai lancé permet de libérer une marionnette du Sorcier. Il est inutile sur un être encore lucide et non sous l’emprise totale de l’Homme Noir.
Normalement un exorcisme devrait être traité savamment, avec raison et parcimonie. Cela demande du temps. En pratique il est très difficile de délivrer de façon immédiate, un humain d’un sortilège . Cela dépend de beaucoup trop de facteurs.
Mais, je suis pour qu’on poursuive dans cette voie, je crois que Maître Midan peut nous être d’une grande aide. Sa science nous sera peut-être salutaire.
– Vous ne croyez pas si bien dire, ajouta Neil. Trouvons un endroit pour faire une pause et achever notre sortilège. Grâce à cela nous pourrions en chemin réduire l’armée de l’Homme Noir avant de pénétrer Le Désert.
– Dans ce cas, je connais un endroit où on sera aidé, termina Ataen. Après tout, mon sortilège est liée à l’objectif de la guilde : découvrir une manière de vaincre le mal et suivre sa trace jusqu’à la source.

*

Zadion était assis sur un tronc d’arbre asséché. Accompagné par deux jeunes magiciens, l’Enchanteur méditait les paumes de la main sur son sceptre. Ses deux nouveaux compagnons étaient des Dominateurs, autrement dit des hors-la-loi. Le garçon blond semblait diriger la petite compagnie. Son bâton avait changé et son aspect montrait qu’il avait franchi de nombreux stades. L’extrémité contenait toujours un orbe à la différence près que le bout se terminait désormais par une lame tranchante.
– Es-tu sûr que nous pouvons faire confiance à la créature ? demanda l’un des compagnons.
– Pourvu que l’information qu’elle me donne soit utile. C’est tout ce que je demande pour l’instant, répondit Zadion.
Les deux adolescents niais qui accompagnaient le prodige étaient en vérité de fieffés idiots.
– Je sens une présence approcher, répondit l’autre compère. Rencontrer le Roi Noir est à l’accoutumé réservé aux élus. Es-tu sûr que nous ne craignons rien ?
– Ne vous en faites pas, j’ai passé un accord. Vous êtes avec moi. Il ne vous sera donc fait aucun mal.
Un bruit de pas s’accéléra et les magiciens écarquillèrent les yeux.
Un jeune garçon sortit de la foret. Vêtu d’une cape noire, il portait un masque en bois avec deux trous à la place des yeux. Il semble sortir d’un carnaval.
– Mage Zadion ? demanda-t-il.
En s’avançant vers eux, le garçon malhabile trébucha sur sa cape trop longue et tomba.
– Qui c’est celui-là ? demanda le premier jeune magicien boutonneux.
– Je crois qu’il s’est perdu, dit l’autre. Dis donc gamin tu ferais mieux de déguerpir d’ici et vite.
Le jeune garçon se releva, enleva la poussière de sa cape et ôta son masque. Il avait la peau noire, un nez aquilin et des cheveux roux.
Cela choqua les deux jeunes disciples Dominateurs.
– Tu n’es pas d’ici toi, n’est-ce pas ? Mate un peu ça, un basané ! continua l’arrogant.
Le garçon roux ignora la remarque.
– Satané masque ! Je pensais qu’il me donnerait plus d’allure. Tous mes tours ne sont pas réussis, mais tu sais Zadion, je suis débordé en ce moment. Je n’ai pas eu le temps de préparer mon arrivée. Comment tu as trouvé mes autres sortilèges ?
Zadion écarquilla les yeux. Le jeune garçon n’avait pas plus de quinze ans. Et son regard perçant révélait qu’il n’avait rien d’un gamin ordinaire.
– Tu es le Sorcier ?! Le prodige reconnut celui qu’il cherchait depuis des années. L’Homme Noir n’était qu’un gamin en mal de reconnaissance.
– C’est ça le Roi Noir ?
– Laissez-moi rire, ce n’est qu’un puceau qui veut se donner de l’allure pour appâter les damoiselles du carnaval. Alors minus, tu joues à être le Roi Noir pour impressionner les filles ?
– Imbéciles, puisque je vous dis que c’est lui ! ajouta Zadion qui se rendait compte de la bêtise des deux.
Mais le garçon roux ignorait toujours les moqueurs.
– Comme convenu, je suis venu te révéler l’emplacement d’un Sommet secret qui réunit les Rois, dont le Roi comploteur de Moulin-sous-brume. C’est ce royaume qui a commis le massacre sur ton peuple. C’est une occasion en or mon Prince. Puis tu reprendras le trône qui te revient de droit.
– Quel est ton prix ? J’ai tendance à ne pas croire à la gratuité de tes services, tu n’es pas connu pour cela.
– Tu as déjà payé le prix en passant mes épreuves avec brio. Je t’ai réservé une place de choix dans mon armée. Je n’ai aucunement l’intention de te manipuler, tu es trop malin pour ça.
– Ceci n’est pas un jeu et ne m’appelez pas comme ça. Si Prince j’aurais pu être du vivant de mon père, je ne suis qu’un traître pour mon pays à ce jour.
Le Sorcier sourit.
– Dois-je te rappeler les nombreux surnoms qu’on me donne ? Un homme déterminé se moque bien des sobriquets dont on l’affuble. Ton Roi est est hors de sa coquille, il est sans protection. Une telle occasion ne se représentera pas de si tôt. Ne t’ai-je pas donné ce que tu désirais le plus ?
– Je le reconnais et j’occirai quiconque se mettra en travers de ma route. Voilà ma détermination.
– Ne parle pas trop vite, tu tomberas bientôt sur des visages familiers. C’est à ce moment précis que tu devras choisir quel sentier prendre.
– Les piètres Mages que j’ai rencontrés dans le passé n’ont que peu d’importance. Crois-tu que des amitiés éphémères peuvent faire oublier le massacre de son clan ? Où est la justice des Mages ? Si ils étaient si bons, ils seraient de mon côté.
Le sinistre Enchanteur sourit car cette parole allait dans son sens.
– C’est pourquoi je t’ai choisi. Nous savons tous les deux que la paix prônée par les Mages blancs n’existent pas. Il n’y a pas de magiciens blancs ou noirs, tous sont gris comme les chats la nuit. Tous sont perdus dans l’obscurité et leurs yeux leur jouent des tours. Certains se croient meilleurs car il se voient plus blancs que les autres. Je suis né dans la Nuit, c’est pourquoi ma vue est perçante. Si un être supérieur existait, il serait moi car j’ai eu la vision de votre monde à l’agonie. Un grand pouvoir m’a alors été conféré pour que je puisse quitter le mien et entrer dans le vôtre. Si un prophète existait, il serait moi car j’ai eu cette vision avant même d’entrer dans ton monde. Si un Dieu existe vraiment, il m’a donné ce pouvoir et je suis sa main. D’un autre point de vue, je suis ce que vous appelez Dieu.
Il est dans mon devoir de tout rebâtir à ma guise. Je ne suis pas un monstre comme tu le vois, j’aime juste mettre de l’ordre.
– Dis cela à tous ceux à qui tu as ôté la vie !
Parfois nous n’avons pas le choix. Ne projettes-tu pas toi même de tuer pour arriver à tes fins ?
Maintenant je dois partir, comme tu peux le voir, j’ai beaucoup de travail. Ah mais j’oubliais…
Le garçon fit un geste et les deux idiots devinrent en un instant des marionnettes ayant l’aspect d’ hideux homme-crapauds.
– Personne n’est fiable Zadion, ils t’obéiront mieux comme ça. Je les trouve plus beau, tu ne trouves pas ? Ils auront plus de chance avec les filles.
– Attends, j’ai tellement de questions. Comment es-tu revenu à la vie ?
– Je t’ai dit que si Dieu existait j’étais sa main. Dans ce cas, il conviendrait de dire qu’il en a une autre. Si j’étais la gauche, le titre de main droite reviendrait à un puissant Nécromancien. Quand je suis revenu à la vie, j’avais retrouvé mon apparence originelle, celle du petit garçon qui quittait son monde. J’étais bien plus vieux quand j’ai conquis Mont-sur-feu, cela explique mon allure dans tes livres d’histoire.
Zadion n’avait jamais imaginé le Roi Noir sous ce jour. Il n’était qu’un autre gamin perdu. Mais il dégageait quelque chose de différent. Il venait d’un autre monde et sa magie dépassait tout ce qu’il pouvait imaginer.
Après un enchantement qui transporta les régicides au pied de la montagne du Sommet secret, le garçon roux disparût.
Avec l’enchantement de la transe, les Dominateurs montèrent sur le roc aussi vite que des elfes.

*

La progression de Neil était fulgurante. Si le destin de Zadion était de devenir un assassin de haut niveau, celui de Neil le poussait à acquérir un pouvoir inhabituel. Pour devenir un sage magicien, ce dernier méditait souvent. Un jour, son sommeil dura plus longtemps qu’à l’accoutumée et cela inquiéta son maître.

Neil rêvait d’un lointain souvenir de Midan qui ressemblait plus à un cauchemar. Le fermier se trouvait dans la peau du fantôme.
Jadis Midan était un homme heureux et amoureux. Sa délicatesse et ses traits fins lui donnaient une allure noble et sa magie attirait toute l’attention du royaume. Ses spectacles étaient d’une beauté rare, ses feux d’artifice prenaient l’apparence de dragons constellés et de navires qui racontaient moult histoires. Ces tours éblouissaient la cour du château ainsi que le Roi. Ainsi, ce dernier avait la sympathie de ses sujets et de son peuple. Midan avait ainsi largement contribué à la souveraineté du monarque.
Libre comme l’air, Midan aimait se promener en compagnie de sa moitié : une fille de sang royal, autrement dit une princesse. Ce jour-là elle apporta une mauvaise nouvelle à son amant Enchanteur. Dans le jardin du château, elle la lui annonça.
Un magicien itinérant du Nord proposait d’assister gratuitement à son spectacle, à condition d’occuper officiellement la fonction de Midan s’il faisait ses preuves. Le Roi ingrat et égoïste oublia vite la fidélité de son magicien qui avait, toutes ces années, préparé de dure labeur ses incroyables spectacles. Ainsi le Roi sans scrupule accepta l’offre. Le Sorcier venu du Nord avait une robe noire, une peau sombre comme les Nordiens, un nez aquilin et des cheveux roux. Autant dire que sa dégaine était inhabituelle.
En apprenant cette nouvelle par son aimée, Midan eut le cœur brisé. Mais cette dernière sut trouver les mots pour l’encourager à gagner ce concours. Midan s’attela sans plus attendre à la tâche. Il avait gardé une idée de côté depuis longtemps. Il décida de s’en servir pour son prochain concert. Tout Mage digne de ce nom sait que rien ne disparaît, tout se transforme. Qu’ils soient Elémentalistes, Nécromanciens ou Chloromanciens, les magiciens transformaient la matière comme les alchimistes. Les Nécromanciens utilisaient les esprits et les Elémentalistes arrachaient les éléments des plans environnants. Il fallait donc quelque chose d’inédit : un nouvel élément. Dans le monde des chiffres, nous avions le zéro, dans le monde des mots nous avions le silence et dans le monde des vivants il y avait la mort. Tout cela pouvait être invoqué. D’après ce corollaire l’élément du vide, qu’on appelait aussi l’élément nul, pouvait aussi l’être. C’est ce qu’avançait la thèse de Midan.
On n’avait jamais démontré son existence et ses implications, mais Midan était un fin chercheur qui suivait son instinct. Il travailla jour et nuit afin d’invoquer l’élément nul.
Un grand frisson le parcourut quand il réussit pour la première fois, son expérience dans son laboratoire. Son travail et son génie avaient payé, de ce fait il avait surpassé bon nombre de chercheurs. Fièrement, il baptisa sa création et lui donna le nom d’Ether.
Lorsque le grand jour arriva, Midan avait attendu impatiemment la démonstration de son prestigieux tour. Le cœur empli d’excitation, il désirait montrer au monde entier sa trouvaille qui allait sans doute révolutionner le monde de la magie.
– Mes seigneurs, ceci n’est plus de la magie, c’est l’avenir, dans un lointain future nous appellerons cela science ! Rien ne disparaît sans laisser de trace dit-on, c’est à moitié vrai.
Midan récita des incantations et puisqu’elles étaient sujettent à invoquer une abstraction, la conjuration devait utiliser l’inverse des mots : le silence. Une première incantation ôta ainsi le son et chaque spectateur perdit sa voix. Pour lancer son deuxième sort, Midan utilisa le langage des signes. Le moindre détail avait son importance durant le sortilège. Dans une énorme cloche de verre, une sphère sombre parsemée d’étoiles magnifiques attira l’attention des spectateurs. La matière noire creusée dans l’espace aspira les objets qu’on avait disposé dans l’enceinte en verre : une canne, une chaise… puis la sphère gourmande grossit de plus en plus, engloutissant tout comme si elle en redemandait. Toute la cour trouva le spectacle saisissant. Jamais on n’avait vu tel prodige, la boule obscure se creusa encore et encore.
Midan était maintenant pris de panique, car la boule finit par éclater la cloche de verre pour avaler tout ce qui se trouvait dans la pièce. Quand il mit fin à l’expérience, il était trop tard. Parmi les débris, la bouche démoniaque avait aspiré l’héritier du Roi assis au premier rang. L’accident coûta plusieurs vies.
Midan s’effondra, il avait pourtant répété maintes fois l’expérience. Il avait minutieusement préparé chaque paramètre. En l’espace d’un instant, il venait de passer du statut de magicien à celui de condamné à mort.
Il fut placé aussitôt en cellule. Le cœur lourd, le magicien pleura jour et nuit, demandant pardon aux victimes. Le sommeil et la faim l’avait quittés.
Au bagne, il se répéta maintes fois la scène pour trouver la variable qui avait faussé son équation. Il n’en trouvait aucune et pourtant l’expérience ne s’était pas déroulé comme prévue. La sphère s’était anormalement développée, comme si un catalyseur avait accéléré sa croissance. Une pensée lui vint ensuite à l’esprit : si aucune erreur n’avait été commise durant les nombreuses préparations du tour, une seule chose pouvait expliquer l’échec le jour du spectacle. Une autre personne avait pu volontairement influencer le sortilège. Il pensa à son rival. En sabotant son spectacle, il gagnait les faveurs du seigneur en l’écartant pour de bon. Mais si cette hypothèse était la bonne, cela impliquait que le sinistre homme noir avait agit directement sur la sphère de matière noire. Autrement dit, qu’il avait aussi le pouvoir de manipuler l’Ether.
Le jour de son exécution, on trouva la cellule de Midan vide et le monarque ingrat en fut fou de rage. Quant au pauvre magicien, il se réveilla très loin de sa cage. Il s’était déplacé inconsciemment grâce à l’Ether qui faisait dorénavant partie de lui. Il erra ainsi longtemps, seul, comme un rôdeur sans âme. Il avait tout perdu, sa bien-aimée et son immense passion pour la magie.
La matière noire le transporta ensuite dans ses quartiers au château. Le portrait de sa bien aimée, qu’il avait lui-même peint, décorait toujours la pièce. Ses affaires étaient encore intactes mais bientôt les lieux seraient vides. Le magicien contemplait le tableau de sa fiancée et il réalisa qu’il ne reverrait plus jamais la femme de sa vie. Sa beauté, sa grâce, son parfum, tout s’évaporait d’un seul coup. Puis il eût un sursaut d’espoir : sa bien aimée pouvait peut-être lui venir en aide et répandre la vérité sur le Sorcier. C’est pourquoi il partit aussitôt la rejoindre. Lorsque l’Ether l’amena par enchantement dans la chambre de la princesse, celle-ci vit un sorcier enveloppé d’une longue cape de matière noire. Elle cru d’abord voir un démon avec le visage de son ancien amant, mais Midan lui fit reprendre ses esprits.
– Mon aimée, ce n’est que moi, aide-moi je t’en prie, on m’accuse à tort. Je suis innocent, crois-moi, c’est… cet homme, le magicien du Nord, c’est lui l’assassin.
Elle fit silence pendant un moment. Puis elle se redressa et son visage devint dure.
– Tu n’es qu’un monstre, mon oncle avait raison ! Et elle se mit à crier à l’aide.
Midan recula, prit de panique et le cœur brisé il disparut dans sa cape enchantée pour retrouver son laboratoire. Blessé au plus profond de son âme, il ne lui restait plus qu’une solution. Il mélangea le contenu de plusieurs fioles pour créer un poison. Il décida d’embrasser la mort.

*

Un rideau enchanté se leva derrière Neil, faisant apparaître une matière noire et aspirante. Déclenchant une tempête magique, l’apprenant disparut dans une étrange tornade.
Tout comme l’éveil de la transe, Neil venait de s’éveiller de la réalité comme si elle n’était qu’un rêve. Le magicien réapparut ensuite au même endroit et dans la même posture, comme si rien ne s’était passé.
Ataen avait l’impression de voir un élu de Dieu et il y vit un signe providentiel.
Son cœur fut empli de bonheur, d’excitation et de fierté pour son élève.
Après ce réveil, le maître exposa avec beaucoup d’enthousiasme ses théories, jusqu’à ce qu’ils fussent coupés par un oiseau mouche, le même qui avait sauvé Ataen des griffes des gobelins.
– Mon petit ami ailé, est-ce bien toi ? lança Ataen.
Un parchemin attachée à sa patte fut arraché par le maître Enchanteur qui lut l’air grave.
– C’est pour toi Neil.
Le message évoquait un conseil exceptionnel qui se tenait secrètement dans une montagne. Mais des Dominateurs rôdaient et un régicide se préparait dans l’ombre.
De puissants Sorciers étaient à l’œuvre. L’un d’eux maîtrisait le pouvoir de la foudre. Un frisson parcourut le corps de Neil, son cœur lui disait que c’était son vieil ami.
Tout était lié dans le temps et l’espace : son nouveau pouvoir qui tombait à pic. Le destin de Neil se dessinait clairement. Il prit donc congé de son maître.
– Maître je crois que c’est Dieu lui-même qui s’est manifesté en me confiant ce pouvoir, j’en ferai bon usage pour sauver un vieil ami des ténèbres. Il s’est perdu comme le fut votre ami il y a longtemps. Il s’est détourné du chemin de Dieu, je dois le ramener.
– Va mon garçon. Mes prières t’accompagnent. Je t’attendrai ici deux jours. Si tu ne reviens pas d’ici là, je continuerai ma route car Dieu aura voulu que nos chemins se séparent. Ainsi nous ne romprons pas le serment fait à la guilde du future. Et tu ne rompras pas la promesse faite à ton amie.

4