C’est vrai, j’aime l’ordre. Beaucoup me le reprochent, voient en moi une vieille fille un peu coincée, qu’importe, ils ne me connaissent pas et, personnellement, je ne tiens pas à les connaître. Par exemple, ce pot de fleurs n’est pas à sa place tout comme cette serpillère oubliée dans le couloir, et ça, c’est inacceptable. Pas question de voir mon lycée transformé en dépotoir. La proviseure n’étant pas là cette semaine, la malheureuse est tombée malade, il me revient la lourde tâche d’administrer l’établissement, et je ne veux pas laisser un souvenir désastreux de ma gestion de cette institution. C’est pourquoi, je vais devoir tirer les oreilles à Roseinberg, à condition de trouver ce prétendu intendant récemment embauché. Bah, comme à son habitude, il doit conter fleurette à mademoiselle Joly, notre documentaliste. Ce pauvre bougre n’a aucune chance d’atteindre son but, s’il savait seulement pour elle.
— Bonjour Madame.
— Bonjour.
Un élève poli, c’est si rare, une douce musique dont je profite, musique harmonieuse bientôt remplacée par la vue de ma secrétaire surprise en pleine consultation d’un site d’achat en ligne de lingerie fine.
— Bonjour Liesbeth.
— Madame la proviseure.
Loin de se démonter, mon assistante cache d’un clic sa page compromettante et fait semblant d’inspecter sa boîte mail où, visiblement, ne trône aucun nouveau message. Agacée – on le serait à moins – je laisse passer le coup de foudre installé sur ma langue et lance ma traditionnelle requête :
— Des appels, Liesbeth ?
— Rien d’important, madame.
Cette manière hautaine de me répondre fait également partie de la tradition, une tradition que je compte bien éradiquer rapidement.
— Laissez-moi donc seule juge de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas, s’il vous plaît.
— Soit. Dans ce cas, voilà pour vous…
À découvrir le tas de documents empilés sur son bureau, le tout en désordre, les bras m’en tombent. Pourquoi ai-je accepté cette charge de proviseur adjointe aussi lourde que cette paperasse administrative ? Voyons, Solène, tu le sais bien. Mon but est clair, quitter ce lycée de banlieue pour trouver une place au ministère. Là-bas, mon talent sera reconnu à sa juste valeur, tout du moins je l’espère. En attendant ce jour béni, il me faut régler les tâches les plus urgentes. Mon doigt se lève dans l’intention de tancer mon assistante. Qu’elle contemple des petites culottes, c’est son affaire, mais pas ici. En plus, je trouve ses goûts en matière de couleur regrettable. Malheureusement, mon initiative est aussitôt coupée par une arrivée inopportune. La porte s’ouvre sur la tête déconfite d’une élève, Hermione ! J’avais presque oublié cette perturbatrice de renom. Est-ce le préambule à la laborieuse journée à venir ?
Non, non, Solène, ressaisis-toi !
— Mademoiselle Grangé ? Que puis-je pour vous ?
— Le prof de math m’a expédié dans votre bureau.
Me voilà debout à la toiser de mon mauvais regard. Le respect, ça ne s’invente pas, ça se gagne et pour cela, je ne connais qu’une seule méthode, la discipline.
— Premièrement, mademoiselle, on ne dit pas prof mais professeur. Deuxièmement, vous cessez immédiatement votre masticage de Chewing-gum et pour finir, vous sortez et vous frappez avant d’entrer.
— Mais…
— Immédiatement !
Ma voix a claqué si fort dans mon bureau que ma secrétaire m’observe à l’image d’une taupe apparue de son trou. Même si mon visage reste de marbre, je dois l’avouer, j’apprécie ce genre de situation. Comment disent-ils les jeunes, déjà ? Ah oui, prendre son pied. La gamine, petite brunette à l’air toujours triste, possède ce regard de biche et ce faciès d’ange qui ne trompe plus personne dans ce lycée. C’est une véritable peste, une de celle que l’on aimerait renvoyer dans un autre établissement à défaut de l’expédier aux confins de l’univers, histoire d’ôter une mauvaise épine plantée là où il ne faut pas. Malheureusement, le papa, Jean-Christophe Grangé, est grand magister à l’école de magie de Polodar. Il y enseigne les pratiques de la magie blanche, et, à en croire le dossier de cette gamine, il s’est même lancé dans l’écriture.
Qu’importe, Jean-Christophe Grangé ou pas, cette effrontée va apprendre à me respecter. Elle frappe, un premier pas vient d’être franchi.
— Entrez !
Sa tête à la longue chevelure ondulante passe le cap de la porte. D’un geste, je l’invite à s’assoir devant moi, le temps pour elle de jeter son fameux chewing-gum dans la poubelle de l’entrée.
— Mademoiselle Hermione Grangé, qu’avez-vous encore fait cette fois-ci ?
— Moi, rien madame, je vous jure.
— Madame la proviseure, s’il vous plaît. Nous n’avons pas lancé des Ridiculuces ensemble.
— Ridiculuces, c’est quoi ?
— C’est… j’ai vu ça dans un magazine de… laissez tomber. Bon, mademoiselle, avouez, ce sera plus rapide. Si pour chaque je vous jure entendu, j’avais reçu une promotion, le président me servirait mon café tous les matins.
Et voilà, elle endosse son costume de la petite gamine fragile, sa bouille triste à l’image d’un enfant pris sur le fait. Ma chère et tendre, si tu savais combien de fois on me l’a joué, celle-là.
— C’est à cause d’Harry.
— Harry ? Qu’a-t-il fait encore celui-là ?
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