Nestor s’étant fait discret cette nuit, j’arrivais à l’université à l’heure et assez serein dans l’ensemble. Je ne remarquais que peu les regards dont j’étais la cible, étranger depuis suffisamment longtemps en Thaïlande on finit vite par oublier la façon dont on est regardé.
C’est alors que les des courageux membres de l’encadrement de l’université (Ils sortent toujours en troupeau… c’est vrai que ca peut être dangereux un universitaire, on reconnait le chef de meute au fait que c’est celui qui marche en tête de file) vint me dire que le Père Somchai voulait me parler. Le père somchai était le directeur de l’université, oui oui, j’étais dans une université catholique, mais je ne le sus qu’une fois les cours commencés et les frais payés. Le fait n’était indiqué pratiquement nulle part, on s’en apercevait juste lorsqu’on parlait aux officiels qui se retrouvaient tous être “père”.
Le père Somchai donc, me reçut dans son bureau, j’étais assez à l’aise avec la salutation Thaï (étrange comme chez eux le “Wai” étant un salut montrant le respect, alors que chez moi le “oai” signifiait tout autre chose…), et donc me fendait d’un “sawadi Khap” tonitruant à son arrivée (oui oui, il vous demande d’aller dans son bureau, mais il ne s’y trouve jamais quand il vous convoque, d’autant plus étrange qu’il y passe le reste de son temps), il se contenta de me sourire et de tendre la main pour une salutation plus européenne, chose que je haïssais vu qu’il avait tendance à garder possession de la dite main pendant un certain temps, tout en se promenant à travers son bureau. J’avais l’impression qu’il dansait au son d’une musique qu’il était seul à entendre. Apres un temps (et quelques courses circulaires autour de son bureau), Il m’invita à m’assoir et commença par:
– Il faut que vous sachiez… il est bien connu que les blancs n’ont pas de pouvoir…
Ca tombait bien on me l’avait pas encore faite aujourd’hui.
– Pourtant, mon ami Brother Sripachai m’a indiqué ce qu’il s’est passé chez vous.
– Sripachai? (Sripachai n’arrivant qu’en numero deux dans la course aux prenoms les plus populaires en Thailande… juste apres Somchai…)
Les prêtres qui étaient venu étaient “occidentaux”… Sripachai était en fait l’un des moines bouddhistes, il se trouve que le père Somchai était aussi un habitué des temples. Je n’avais jamais pris les religions très au sérieux… je n’étais visiblement pas le seul.
– Je remarque que l’adresse à laquelle vous étiez n’est pas celle que vous avez indiquée le jour de votre inscription…
– Oui, j’occupe actuellement l’appartement d’une amie partie en vacance.
– Ah… Miss… Vanessa, n’est ce pas?
– Oui…
– Vous savez que nous n’approuvons pas de ce genre de chose….
– Que je passe la nuit dans un appartement vide?
– Vous savez très bien de quoi je parle…
– Heu… pas de choses qui ont un lien direct avec l’université je pense….
– Vous êtes tous les deux étudiants ici, je…
– … semble oublier que ma vie privée est… privée.
– Oui, oui. Ce n’était pas pour cela que je vous avez demande de venir.
– Tant mieux je venais de clore le sujet.
Ce n’était pas la première fois que j’avais ce genre de conversation avec un père ou un autre, les cadres de l’université n’acceptaient guère les différences et ne manquaient aucune occasion de les faire remarquer. Rien que le fait d’être gaucher avait entrainé une suite de problèmes insolubles, la totalité des tables étant pour droitier uniquement, il m’en fallait deux afin de pouvoir prendre des notes, ce qui était visiblement impensable lors des examens (puisque nous étions tous placés à l’avance), je proposais alors de me mettre à coté d’une fenêtre ce qui était aussi impensable pour la « réputation » de l’établissement, j’en étais à devoir me mettre sur le bureau du professeur, mais pas du coté ou se mettait le dit prof afin de ne pas « manquer de respect », bien sur la plupart des prof prenaient très mal la chose (j’en ai même eu quelques uns qui m’ont sommé de devenir droitier) qui s’asseyaient en face de moi et me toisaient d’un regard qui se voulait noir. Et cela n’était rien, pour ces gens les élèves étaient toujours à l’université et il n’était pas rare que des surveillants soient payés à écumer les coins « chauds » (y compris les rayons de sous-vêtements féminin des supermarchés… visiblement) de Bangkok afin de vérifier que les purs étudiants ne se promènent pas dans ces endroit de perditions. Enfin certains élèves avaient aussi droit à des visites jusque chez eux (même s’il y avait une préférence pour les elles mais passons)… Tout ça pour dire que j’étais considéré comme plus ou moins l’Antéchrist dans le coin (mais ils ne pouvaient me virer vu qu’avoir des « occidentaux » faisait bien sur les photos et que je faisais monter considérablement la moyenne de la classe). J’étais donc un habitué du bureau des « cadres » et considérant comme indécent leur intrusion dans ma vie privée, ces visites étaient guère cordiales (en résumé, on me rappelait tous les jours que je n’étais pas thaï, il fallait que je ne sois pas thaï, mais on me reprochait de ne pas agir comme).
– Oui… Je vois que vous n’avez pas perdu votre mordant.
J’admets avoir été un peu direct (voir plus haut) mais je sais aussi faire preuve de pitié. Là par exemple je vais vous passer la demi heure de conversation qui suit, le bon père ayant perçu avoir perdu la face, essai de me faire oublier le problème pour nous faire revenir à ce qu’il voulait dire. A sa décharge, ce garçon savait quand il avait franchis la ligne.
– D’après frère Sripachai, donc il semblerait qu’il y ait chez vous un esprit d’une grande force. Contre laquelle leurs efforts furent vains. J’ai donc pris la liberté de demander de l’aide à un ami.
J’ai toujours apprécié combien les gens prenaient la peine de me demander mon avis avant d’envahir ma vie… et pendant que je ruminais là dessus, il demanda à travers son interphone de faire venir son invité.
La porte s’ouvrit sur un homme habillé en noir, blond, les yeux bleus, Steve Mac Queen réincarné avec la musculature de Stallone et toute la hauteur de Mister T.
– Mon ami, le révérend William Show.
Je prenais ma liste, effectivement les protestants manquaient à l’appel. Mais ce n’était pas ça qui m’interloquait, je connaissais bien le révérend. Très bien même, je ne pouvais qu’espérer qu’il ne m’ait pas reconnu.

162