Lorsque son réveil sonna, après avoir lu dans sa respiration la fin de son cycle de sommeil, Léa s’éjecta du lit comme une balle. Elle traça en automatique jusqu’à la salle de bain et s’enferma dans la douche, repoussant l’échéance de devoir regarder l’heure qu’il était. Le flux d’eau très chaude formait une membrane protectrice, un cocon où elle pouvait lentement revenir à la vie. Sans y penser, elle posa la main sur une plaque qui lut sa tension artérielle et préleva quelques gouttes de son sang. Les senseurs scannèrent l’échantillon et envoyèrent le tout au Kitch’n’tek pour un repas personnalisé, enrichi en magnésium. Encore trempée, elle sortit de la douche et accepta enfin de prêter une forme d’attention au monde qui l’entourait. Le miroir en face d’elle lui renvoyait l’image d’une peau rendue grise par l’excès de stimulants, des rides profondes autour des yeux et des lèvres. Ses cheveux autrefois roux éclatants avaient terni à la lumière violente de l’Antarctique, la faute à son mode de vie décousu. Sans doute, Léa aurait dû être plus raisonnable, faire attention à ses heures de sommeil, et se faire retirer cet implant amphétaminique dépassé qui affaiblissait son corps de jour en jour. Mais à bien y réfléchir, elle ne connaissait aucune autre manière de vivre. Aucune qui ne lui soit pas odieuse.

Les tartines de pain recomposé avaient un goût de papier mâché mais le café était toujours aussi satisfaisant. Elle avala son petit-déjeuner plus par acquis de conscience que par faim réelle et se dépêcha de s’habiller. Elle venait de recevoir une invitation pressante pour une réunion du Directoire. Ça allait être l’occasion pour ses patrons de s’écharper avec ceux de Northwind, pendant que James Diamond observerait en silence. Avant de partir, elle ouvrit le frigo et préleva sur un rack une dose de drogue anti-sénescence. Elle tint le petit flacon rempli d’un liquide doré entre ses doigts et le contempla pendant quelques minutes, avant de se décider à casser la capsule de verre pour en avaler le contenu. Nyobe tenait à ce qu’elle se soucie de son espérance de vie. Comme si ça allait faire la moindre différence à présent…

Le tunnel au-dessus du vide avait cette langueur atone des fins de matinée, lorsque tout le monde est déjà à son poste et qu’il ne reste plus que les retardataires dans les couloirs. Les regards ensommeillés et décalés se croisaient furtivement. Léa s’installa au fond de la rame et passa ses lunettes pour lire son journal, les verres opaques décourageant toute tentative de communication avec elle. Le GIEC venait de rendre une dernière étude optimiste sur le réchauffement climatique. L’explosion d’une comète dans l’orbite terrestre, trente ans plus tôt, avait créé un halo de matière à haute albédo autour de la planète, mais les scientifiques mettaient encore en garde contre une acidification des océans. La chute des réserves de pétrole, et le peu d’empressement à trouver de nouveaux gisements, mettait les gouvernements du Moyen-Orient face à la menace d’un défaut de paiement sur les marchés financiers. Néogénésis terminait le raccordement des portions les plus perdues de l’Afrique de l’Est et de l’Asie Centrale au Réseau mondial. Crise politique en Europe. Paralysie entre le Congrès et la Présidence aux Etats-Unis. Les nouvelles s’imbriquaient les unes dans les autres par le jeu des liens sortant, alors que l’algorithme personnalisé essayait de donner à Léa un sens global. Dans le flux, elle assimila les informations qui pouvaient l’affecter directement. Celles qui pouvaient affecter les opérations de la EagleEye. D’un mouvement de rétine, elle les stockait en mémoire pour les comparer avec ses propres sources. Un processus répété tant de fois qu’il en était devenu instinctif. Un message clignota en haut de l’interface. Elle était en retard.

Sans précipitation, elle sortit de la rame et monta une quarantaine d’étages de la tour Alpha-1, le siège de la Diamond. Ici, le cristal avait l’air plus usé par endroits, plus terne. Cette tour était la plus ancienne des douze. Autrefois, elle avait arpenté ces couloirs où dix étages étaient réservés à ses employeurs. Mener les réunions ici constituait un évident problème de sécurité que l’on soulevait souvent, justement lors de ces réunions. Aucun compromis n’avait encore été trouvé. Les compromis étaient des outils trop précieux, semblait-il.

Malgré l’insonorisation, Léa entendit les voix bien avant d’entrer dans la pièce. Elle se glissa par une porte dérobée et arriva sur les gradins entourant la réunion. Les représentants de chaque entreprise étaient assis à une table ronde, sous la lumière d’un projecteur en trois dimensions. Au-dessus d’eux, dans l’ombre, leurs subordonnés transcrivaient, traduisaient ou écoutaient les échanges. Elle parcourut le balcon du regard et trouva son amie Malékith. L’Indienne prenait des notes mais ne semblait pas très impliquée. Elle cligna les yeux deux fois lorsque Léa approcha. Émulation sensorielle en implant, et déconnexion à la sauvage.

« – Du neuf ? »

L’Indienne hocha la tête en retournant à la réalité, ses tatouages faciaux brillant dans l’éclat fugace du plafonnier central. Elle s’était fait remplacer le camouflage de ses jeunes années par d’élégants motifs de ronces aux épines discrètes, dont la symétrie se rejoignait sur l’arête de son nez.

« – Rien que du vieux, ils s’engueulent. À cette vitesse, ils sauront pas sur qui taper avant la fin. »

Sous son carnet relié cuir, elle fit un petit geste de la main, pouce replié sous une paume qui partait en avant. Un signe de champ de bataille, pour signifier que la voie était libre. Aucun retour de leur implication dans les fichiers de la EagleEye, pour le moment. Malékith avait délaissé les missions sur le terrain pour un poste dans la sécurité informatique, obtenu grâce à ses indéniables compétences. Léa avait une totale confiance en elle. D’autant qu’elles partageaient la même haine pour Irina Doubinski.

« – Et je suppose qu’on doit rester là à les regarder s’écharper avant de savoir quoi faire…

– Hey, c’est pas si mal. T’as pas envie de voir comment se débrouille notre nouvelle patronne ? »

Elle pointa du menton la femme assise à la table des négociations, juste devant leurs rangs. On n’apercevait guère plus que son hijab d’un bleu sombre, très corporate, surmontant une veste jaune à liseré doré. Un choix subtil pour rappeler son appartenance à une société qui venait à peine de l’élire comme directrice générale. Tout le monde attendait Fatena Al-Sabri au tournant, sa jeunesse comme ses origines américano-saoudiennes soulevaient la suspicion. Pour l’instant, elle se contentait d’écouter Andréi Doubinski déverser sa colère. Impassible et stoïque, comme sortie d’un livre de gestion de crise.

« -… et vous ne nous ferez pas croire, mademoiselle Al-Sabri, que vous n’avez aucune responsabilité…

– Directrice. »

Andréi s’interrompit en pleine envolée lyrique.

« – Qu’est-ce que… Veuillez m’excuser ?

– Vous pouvez m’appeler Directrice Al-Sabri. Si les subtilités de votre langue ne me trompent pas, c’est ainsi que vous devez vous adresser à moi. »

Le tout asséné avec une maîtrise tranquille. Léa sourit, la nouvelle savait se défendre. Elle venait de gagner des points dans son estime.

« – Croyez bien que nous sommes tous attristés par la mort de votre mère. Nul ici n’ignore l’inimité qui peut parfois se lever entre nos sociétés. Mais cet assassinat scandaleux révèle une profonde faille de sécurité. Une faille qui exige d’être réglée, par tous les moyens nécessaires. »

Elle se leva et dévisagea l’assemblée. Cinq secondes, dix. Les chuchotement se firent gênés, puis se turent. Elle apprécia encore le silence avant de se lancer.

« – J’aimerais que les choses soient bien claires : cette crise n’est pas une nouvelle itération de nos oppositions traditionnelles. Jusqu’alors, nous nous sommes tenus à des exigences de respect mutuel, de courtoisie. »

Léa se retint d’éclater de rire. Jusqu’où pouvait bien aller cette vaste farce ?

« – L’événement d’hier soir est d’une toute autre nature. Il viole les règles à la fois tacites et explicites de notre communauté. Au risque de de tomber dans les évidences, nous sommes au milieu de l’Antarctique. Nous ne pouvons permettre la moindre dissension. Encore moins que quelqu’un fasse entrer une arme dans l’enceinte de la Cidade. »

Elle laissa passer une nouvelle pause, le temps pour tout le monde d’enregistrer son discours. Au troisième angle du triangle que formait la table, un vieil homme l’écoutait avec un plaisir évident. Celui du vieux joueur accueillant un nouveau dans la partie.

« – Cet attentat terroriste, car c’est ainsi qu’il faut nommer les choses, crée un précédent intolérable. Il clame au monde que nous sommes désunis et affaiblis. La plus grande erreur que nous pourrions faire serait de leur donner raison. Bien au contraire, notre rôle aujourd’hui consiste à mettre en sommeil nos différents, à afficher clairement notre union. À faire savoir à tous nos ennemis que nous ne craignons pas leurs menaces. Cette crise ne sera pas notre fin. Elle sera l’affirmation de notre puissance ! »

Un applaudissement sarcastique vint l’interrompre dans sa course. Andréi s’était enfoncé dans son fauteuil et avait échangé la colère contre un rictus carnassier.

« – Très sympathique, madame Al-Sabri. Et concrètement, qu’est-ce qu’on fait ? Parce que je ne sais pas si vous êtes bien au courant, mais on a besoin de solutions là. »

Léa observa attentivement le Russe. Il était passé de la rage attristée au calcul intéressé en quelques secondes. Elle révisa d’instinct son jugement sur Andréi. Il avait de l’ambition et les moyens d’atteindre ses objectifs. Elle doutait même que la mort de sa mère soit autre chose qu’une opportunité à ses yeux.

« – C’est l’évidence. »

La voix avait surgi de la lisière de l’ombre, forte, habituée à être entendue. James Diamond, la troisième pointe, s’avança dans la lumière qui dansait sur sa longue crinière blanche. Ses soixante-dix ans bien tassés se voyaient à peine sous la masse de muscles, qu’on voyait sous une large chemise à col en V. Ses yeux brillaient d’un éclair rusé et franc. La silhouette racée d’un patricien habitué à être entendu, obéit. L’homme avait cette conviction inaliénable de celui dont les succès n’ont pas encore été démentis malgré son âge.

« – Veuillez m’excuser pour cette interruption, mon cher Andréi. Et vous aussi, ma chère Fatena, à qui je souhaite la bienvenue dans ce conseil, par la même occasion. Puissions-nous vous offrir les moyens d’agir pour le bien de notre Cidade. »

En le voyant se lever, assuré, confiant, Léa se souvint que derrière chaque représentant se cachait une petite armée de communicants, d’experts et de psychologues. Les discours étaient soigneusement calibrés, les mots choisis avec un soin exquis. Les réunions du Directoire n’étaient en fait que la partie émergée d’un iceberg qui s’étendait jusqu’aux racines gelées de la cité.

« – Le bien de la Cidade, oui, voilà de quoi il est question, personne ici n’en doute. Avant de prendre la mesure de la menace, il convient, je pense, de prendre celle de notre succès. Depuis notre installation, il y a vingt ans, nos entreprises ont acquis le leadership dans le domaine de l’énergie propre, grâce à ce cadeau inespéré que nous a offert la comète Kleiss-Sedan. Je n’apprendrais rien à personne en disant que cet impact fut à la fois l’instrument de notre chute et celui de notre renaissance. Nous eûmes le bonheur d’en être à l’avant-garde, et nous avons pu prospérer, faire naître cet Eden au milieu de l’Enfer blanc. Mais nous voici arrivés au sommet de notre prospérité, et c’est aujourd’hui que le vrai combat commence : nous maintenir ou faillir. Nous voici face à la première véritable épreuve, hier n’aura été qu’un échauffement. »

Il parlait de manière lente et claire, dans un style différent de celui de Fatena. Sans prompteur ni affichage tête haute sur des lunettes, mais Léa savait son cerveau lourdement augmenté. Ce n’était pas très difficile d’y loger son texte.

« – Les épreuves de ce genre, nous savons ce qu’elles sont. Elles sont une mise en danger de notre souveraineté. Et bien que nous partagions votre douleur, mon cher Andréi, n’en doutez jamais, ce problème dépasse le simple cas particulier. Les Nations Unies nous guettent. Le Protocole de Madrid a été renégocié dans la douleur il y a à peine deux ans. Nous sommes au point de bascule, survivre ou périr. »

Léa commençait à se lasser de cette profusion lyrique, et aurait aimé se lever pour lui crier d’en venir aux faits. Mais ça aurait été un grave manquement à l’étiquette du Directoire, ainsi qu’une atteinte à la position précaire de Fatena Ben Ahmed Al-Sabri.

« – Voilà pourquoi je recommande que nous procédions sans attendre à l’activation de la procédure d’Expulsion. »

Cette fois-ci, plus question d’étiquette. Les voix s’élevèrent dans une cacophonie que l’acoustique de la salle peinait à étouffer. Fatena se dressa comme une fusée sur son pas de tir et cria :

« – Silence ! Silence. Diamond, de quoi s’agit-il ?

– Oui, vous n’êtes sans doute pas encore aux courants des protocoles de décisions que nous avons instauré lorsque nous avons fondé cette cité. Je vous en prie, rattrapez donc votre retard. » répondit-il en pointant poliment la main vers l’écran de son interlocutrice.

Léa pencha la tête en arrière pour afficher la liste des mesures sur ces lentilles. Un vague plan prédictif, conçu pour le moment où le dôme serait terminé. Style lapidaire et juridique, où une information ressortait : la plupart des résidents permanents seraient remplacés par des contrats de trois ans, renouvelables une fois. Léa vacilla en lisant le projet. Il concernait directement sa famille, sa femme et sa fille en premier plan. Et elle-même, si elle ne pouvait prouver son caractère indispensable. James Diamond voulait les jeter hors de la Cidade. Comment pourraient-elles soigner Iridia dans ces conditions ?

« – C’est intolérable ! » clama Fatena en relevant la tête. « – Vous voulez implanter des datalink à tous les employés. Vous imaginez vraiment que nous allons libérer le brevet et assumer ce coût sans rien dire ? »

Et cette conne qui acceptait tout ça, qui se plaignait pour ses marges ! Qu’est-ce qu’elle croyait ? Que la EagleEye pourrait se passer de ses meilleurs éléments ? Qu’on pouvait les priver de leurs maisons, de leurs vies ? Elle serra les points sur les accoudoirs de son siège et les sentit grincer, alors que son implant chargeait ses veines d’amphétamines. Les premiers phosphènes montaient déjà dans son champs de vision.

« – Léa… Léa, qu’est-ce qui t’arrive ?

– Mal’, si on reste ici, je vais tous les mettre en pièce. Je te le jure. »

Malékith pouvait voir la fureur qui déformait les traits de son amie dans un masque plus dense que les tatouages qu’elle portait. Elle ne plaisantait pas. Profitant de l’attention du public rivée sur le centre de la pièce, Malékith la prit par le bras et l’emmena discrètement dans le couloir. Là, Léa marcha quelques pas absents, essayant de reprendre son souffle. Elle frappa un seul coup de poing dans un mur, moins fort qu’elle ne l’aurait espéré, puis s’adossa et glissa au sol, vidée.

Bordel, elle se sentait aussi faible qu’un chaton. Son corps ne répondait plus, et ça la faisait encore plus chier.

« – C’est bon, t’as fini ? »

Malékith se tenait debout face à elle, branchant son jack sur le récepteur du micro qu’elle avait laissé dans la salle.

« – Je commence.

– On dirait une ado qui vient d’être privée de sortie, c’est marrant.

– C’est ça, fous-toi de ma gueule. »

Léa accepta la main tendue pour se relever et expira un long moment. Ses muscles étaient raides, ses mains tremblaient, serrées contre ses bras. Elle haletait encore, et son regard croisa son reflet dans une portion réfléchissante du mur. Les yeux cave, les rides comme des toiles d’araignées lui bouffant le visage, le corps creusé sur sa faiblesse. Livide. Pas vraiment encourageant. Elle sortit sa cigarette électronique et aspira une faible bouffée.

« – Hey, ça va ? Tu te remets ?

– Ça ira quand on aura trouvé une solution. Qu’est-ce qu’ils disent, là-dedans ? »

Malékith pencha la tête sur le côté dans un pur mouvement réflexe, un changement d’attention théâtral. Léa savait qu’elle avait enregistré chaque minute de la conversation dans la salle de réunion. L’Indienne avait élevé le traitement parallèle au rang d’art, et son cerveau lourdement augmenté décuplait encore ses talents.

« – Le fils Doubinski essaie de faire passer la facture au Directoire. Ils veulent remplacer les voyages en avion par un train magnétique. Réduire les contrats à trois ans. Implanter des datalink à tout le monde.

– Ouais, ils veulent une armée de robots quoi…

– On dirait bien. Qu’est-ce qui te fait croire qu’ils vont vous mettre dehors ?

– Nyobe leur a tout donné, ça fait des mois qu’elle planche sur un moyen de soigner notre fille. Elle ne leur sert plus à rien. Tu les connais. Sont pas vraiment subtils.

– Ouais, bah c’est pas les seuls. »

Léa la foudroya du regard, lui interdisant de s’engager sur ce chemin. Malékith acquiesça, manifestement mécontente, et sortit une de ses saloperies de cigarettes indiennes, qui puaient la mort. Elle tira Léa par le bras et la mena vers une large verrière qui dominait la ville, juste au-dessus d’un des ponts cristallins. Un espace neutre, l’un des rares du siège de la Diamond, mais du coin de l’oeil, le conditionnement tactique de Léa lui permettait de repérer les logements élégants et discrets de deux projecteurs à énergie pulsée. La pièce était blindée de matériel anti-émeute. Sans attirer l’attention, Malékith sortit de sa poche un brouilleur qu’elle posa sur la rambarde.

« – Je savais que c’était une idée à la con.

– Et t’en avais une meilleure, peut-être ?

– Ouais, ne pas la tuer ! »

Malékith avait haussé la voix juste assez pour qu’un secrétaire à lunette d’à peine dix-neuf ans relève la tête vers elles. Léa le foudroya du regard et lui fit signe de décamper. En se tournant à nouveau vers Malékith, elle vit qu’elle avait remplacé son détachement quotidien par une forme d’accusation muette.

« – Si t’étais pas d’accord, pourquoi tu nous as aidées ?

– Parce que tu me l’as demandé. Et parce que, Ky et toi, vous vous seriez plantées si j’avais pas été là. Ça ne veut pas dire que je soutiens ton délire de vengeance. Et vu le résultat, tu aurais mieux fait de m’écouter.

– C’est un peu tard maintenant. »

Elles se turent, le temps d’admirer le soleil qui empourprait le désert de glace. Il disparaîtrait bientôt dans la nuit polaire. Léa ne doutait pas un instant de la justesse de son choix, abattre Irina Doubinski avait été la meilleure chose à faire, tant pour la mémoire de Zacarias que pour les dégâts que pouvait faire cette femme. Simplement, elle n’avait pas calculé toutes les conséquences. À présent, elle allait se faire chasser du seul endroit où elle pouvait faire soigner sa fille.

« – On fait quoi maintenant ? » reprit Malékith.

« – Moi, je vais aller me saouler. Ensuite j’irai annoncer ça à Nyobe et Iridia. Et puis on trouvera une solution, j’espère.

– Une solution moins radicale que la dernière, j’espère.

– Ça va, ne remue pas le couteau dans la plaie. »

Elle la planta là et partit, laissant Malékith face à l’océan écarlate. Ses tremblements s’assoupissaient dans cette moiteur cotonneuse qu’elle avait appris à connaître, mais qu’elle redoutait. Cette torpeur annonçait l’arc aigu du manque, froid et dur. Plus jeune, elle se serait contenté d’entrer dans une salle de combat pour tabasser le premier assez stupide pour la provoquer. Mais elle n’en avait malheureusement plus la possibilité.

Au moins, à présent, elle avait largement les moyens de se payer un verre.

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