Tu te retrouves dans le bureau des ressources humaines d’une grande société, les entreprises pharmaceutiques ont remplacées les entreprises énergétiques des 20-22 emes siècles, une fois que la fusion nucléaire maitrisée, il n’y avait plus de réel besoin de ce genre de chose… sauf dans l’autre monde.
Le directeur t’a reçu, tu es habitué à ce genre de traitement, personne ne te prend au sérieux, ils veulent voir la bête, la créature… peut-être gratter quelques-uns des comprimés blanc sans en réaliser les conséquences. Tu ne peux vraiment leur en vouloir, chacun veut voir son lot s’améliorer, l’immortalité semble tentante vu que les gens ne reviennent que rarement de l’autre cote pour nous dire ce qu’il s’y passe. Pour toi c’est la preuve que ça ne peut être si mal que ça, pour les autres, y compris la personne en face de toi c’est la quelque chose de terrifiant. Mais pour être honnête, tu sais que ce n’est qu’histoire d’être différent, d’avoir quelque chose que les autres n’ont pas, “Etre ou avoir plus que…” une vieille obsession humaine. S’il savait… mais tu sais aussi que ce n’est pas ta place de le juger. Tu sais, lui non. Tu lui parlerais du vrai prix à payer qu’il ne serait toujours pas découragé, certaines choses se disent, d’autres s’expériencent… et l’expérience a ça en commun avec le temps qu’ils ne peuvent être réversible. Quand tu réalises c’est déjà trop tard.
Enfin, tu te retrouves donc dans ce bureau avec un être humain que tu n’as aucun mal à imaginer dur et autoritaire avec son équipe, voir tyrannique, alors qu’il apparait guère mieux qu’un chiot excité en face de toi, tout sourire étalé à se fendre le visage en deux. Tu lui parles d’ordinateurs dont il n’a plus d’utilité, d’enfants dans un orphelinat et d’une mère supérieure. Tu t’en tireras avec l’article numéro tel ou untel. Il y a dans tous les pays une loi qui permet d’économiser sur certaines taxes lorsque l’on donne à la charité. Dans ce cas précis, le montant des donations peut être déduis des taxes a payer au gouvernement, il suffit donc de lui mettre dans l’idée qu’il pourrait gonfler un peu la générosité de sa compagnie pour avoir une tape sur l’épaule de la part de ses employeurs, le pourcentage du dit “gonflement” étant laissé à sa discrétion, il pourra aussi s’arranger un petit bonus pour ses bonnes actions, et pour ton conseil tu ne prendrais qu’un maigre pourcentage sur l’affaire. Bien sur vous comprenez tous les deux que c’est de ton silence qu’on parle, puis commence l’autre jeu, celui de trouver le bon pourcentage, trop haut, et tu gagnes un fauteur de trouble potentiel, il te lâchera a la première occasion, trop bas et il ne te prendra pas au sérieux tu ne verras jamais le matériel, ce coup-ci tu t’es arrangé à 25%. Tu comprends qu’il voulait trouver un potentiel “Bouc Emissaire” au cas où ça tournerait mal… Tu n’aurais rien proposé il ne t’aurait pas pris au sérieux, aurait préféré tout abandonner et les gosses n’auraient rien eu.
Tu n’as guère de problèmes avec ça, chacun essai d’améliorer son lot dans la vie, personne n’est réellement lésé, les gosses auront leurs ordinateurs. Et si tu ne t’es pas trompé sur tes estimations, tu devrais pouvoir régler d’autres petits problèmes de ta liste.
Ces compagnies tentent d’être autant économes que possible mais le cas présent prouve qu’il est possible de contourner le système ou tout du moins en partie, il n’est donc pas impossible de penser que les équipements seront d’un niveau technologique nettement plus élevé que prévu par ceux qui vont s’en débarrasser, la vente de ces pièces à des particuliers ou à des usines de recyclage (le plastique est toujours utilisé dans l’autre monde et coute cher à cause de la raréfaction du pétrole) devrait pouvoir couvrir les factures d’électricités et certaines rénovations de l’orphelinat.
Il t’a fallu renouveler l’opération plusieurs fois, a chaque fois un nom différent, des traits et couleur/ texture de peau légèrement altérées (pas de chirurgie reconstructive, juste quelques différences dans la structure graisseuse et/ou musculaire, assez pour qu’on te prenne pour quelqu’un de la même famille à la rigueur, mais pas toi), des “particules organiques” différentes, des empreintes digitales différentes, tu as bien fait de marcher à des angles ne permettant pas aux cameras de sécurités d’avoir une image utilisable de toi et suffisamment de bruits dans ton appart pour faire jurer les voisins que tu étais bien chez toi pendant les dites “réunions”. Rien de trop high-tech, cela avait été ton erreur à Hong Kong, à être trop efficace ils se sont vite rendu compte que quelque chose n’allait pas.
Ta prochaine visite te mène dans une sorte d’agence locale pour l’emploi, ce coup-ci tu t’es fait accompagner par la demoiselle. Qui se nomme Dalia, soit dit en passant, il semble qu’elle prenne ombrage à t’entendre l’appeler “demoiselle”… Bien étrange d’ailleurs vu qu’elle ne semble pas s’offusquer du préfixe “charmante” que tu mets pourtant un point d’honneur à placer devant. Ainsi sont les femmes, cette pensée te remémore un autre sale caractère… ponctué de sourires, un sentiment que la plupart des gens réfère à de l’amour. La vieille séparation entre ta psyché et ta viande revient en galopant, ton corps ressent quelque chose et ton esprit quelque chose d’autre. Malgré la douleur physique et mentale tu te prends à sourire, ta rébellion interne se porte bien, tant que tu vis tu as un espoir de vaincre, et vu ta durée de vie potentielle… tu ne vois que des raisons pour être optimiste… l’association d’idée te fais sourire. Heureusement que Dalia n’est pas télépathe, les images que tu conjures pour soutenir ta révolution cérébrale feraient rougir d’embarras une de ces actrices de film pornographique que tu as vu dans certains pays de l’Autre Monde. Sa réaction potentielle t’arrache un bref éclat de rire que tu contiens comme tu peux histoire de ne pas attirer l’attention sur toi, surtout la sienne. Tu la regardes de nouveau, toute l’électricité d’une batterie nucléaire, elle croit en ce qu’elle dit, avec tout l’enthousiasme de la jeunesse, tout ce qu’il te manque. Elle est encore à l’âge où l’on pense que la force des émotions suffit à changer le monde, c’est un beau rêve, tu l’écouterais des heures, juste pour ressentir ne serait-ce qu’une ombre de cet enthousiasme, de cette force… de cette innocence.
Encore ce pique de culpabilité, chaque fois plus perçant, tu détournes ton regard de sa silhouette, et tu te concentres sur celui à qui échut la charge de gérer cette branche de l’agence nationale pour l’emploi. Un jeune de 50 ans, visiblement plus habitué des fast food que des salles de gym, deux petits yeux presque invisible dans une face ronde. Il serait visiblement tout aussi ravi que toi d’écouter Dalia s’enthousiasmer pendant des heures en le regardant droit dans les yeux… tout du moins ceux au milieu de sa poitrine, il semblerait. Ouai pas beaucoup de similitude en fait… quelque part tu te sens bien, et coupable, tu n’as pas besoin d’aller à la salle de gym tu as une pilule pour ca aussi, tu pourrais t’enfiler trois fois sa ration alimentaire par jour sans que ton corps change d’un pouce. Jeunesse, beauté, sante mais pas de choix, dictature esthétique qui force ton état d’esprit, à voir des déesses toute la journée tu n’as finalement que peu de raisons d’aller chercher “ailleurs”. Es-tu réellement meilleur que lui? Tu aurais regardé Dalia dans les yeux (ceux du visage de préférence), mais ce n’est pas comme si tu pouvais faire autrement. Si tu avais le choix es-tu bien sûr que tu ne serais pas non plus un adepte des repas sur caloriques bon marché avec un nombril aussi profond qu’un puits de pétrole?
Tu n’as toujours rien dit, tu observes, le miroir derrière lui. La réflexion te renvois ce qu’il fait derrière son bureau, où il se touche, le tiroir à sa gauche entre ouvert. Ta rétine a été “augmentée” tu peux agrandir une partie de ton champ de vision, tu vois le magazine qu’il lisait avant que vous arriviez, tu imagines son état d’esprit. Tu évites de le juger, il a choisis sa voie parmi les choix qu’il avait, comme tu l’as fait, comme Dalia l’a fait, que sais-tu de sa vie? Certains ont toujours de meilleurs options que les autres, peut être a t il fait pour le mieux vu ce qu’il avait.
Tu continues d’observer alors que l’échange s’enflamme, il essai de voir s’il peut tirer parti de la situation, préférablement avec Dalia, qui commence à s’en douter. Elle ne va pas tarder à exploser de colère, tu n’as que peu de temps. Sa cravate, au delà des taches de graisses (noire sur noire), tu vois un bout d’étiquette, une marque. Si tu joues sur sa cupidité maintenant, alors qu’il commence à comprendre que sa libido n’aura pas sa loi, il va être trop gourmand, non sa fierté vas être mis a mal, c’est la dessus qu’il faudra jouer, et ce avant qu’elle ne touche la fond ou que Dalia n’en vienne aux mains.
Tu commences par un petit compliment sur la tenue du bureau, sur la décoration, tu sous entends que c’est un homme de gout. Cela a le mérite d’écourter la conversation, et d’avoir l’attention momentanée de ton “ami” et ce avant qu’il ne fasse la remarque qui transformera Dalia en furie vengeresse assoiffée du sang d’un fonctionnaire véreux. Ta remarque vient tellement à contrecourant de la conversation qu’ils n’ont pas grand autre chose à faire qu’à te regarder avec des yeux grands comme des soucoupes. Tu enchaines sur une carrière bien menée, et son regard, mixte entre incrédulité (il sait qu’il n’a rien fait de notable) et fierté, te montre que tu ne t’étais pas trompé. Tu ne t’attendais pas par contre à la réaction de Dalia, tu pensais qu’elle serait interloquée, voir peut être furieuse ou autre chose, au contraire elle attend, intéressée. Et toi, pire encore, tu te prends a vouloir l’impressionner, comme un gosse, guère mieux que la bouée en face de vous. Tu laisses le compliment en suspend un moment, en regardant les deux petit poids d’yeux perdus dans l’immensité graisseuse. Tu te surprends à être dégouté par ce personnage, pas parce qu’il est, ni par les choix qu’il a pu ou ne pas faire… juste pour le fait d’avoir osé penser à coucher avec la demoiselle à tes cotés. Au prix d’un effort beaucoup plus important qu’il n’aurait du l’être, tu arrives à mettre ces pensées de cotés et a te reconcentrer sur ton interlocuteur.
Tu commences doucement, tu parles de croyances, de religion. Cela te fait toujours quelque chose, comme si tu parlais de quelque chose d’interdit, la religion est un sujet dérisoire dans le G-12 depuis longtemps mais certaines choses restent. Tu continues, parce que tu connais leur attachement, tu fais comme des milliers d’années d’église, tu utilises leur croyances. L’orphelinat aurait eu un nom relatif à de la pâtisserie tu aurais fait appel à sa gourmandise, ce n’est qu’un moyen pour une fin. Il t’écoute, il n’a pas d’autre choix, tu ne sais pas si Dalia joue la comédie ou non, mais elle a son regard fixé sur toi, avec une telle flamme… qu’elle te donnerait l’envie de croire à ce que tu dis, tu te sentirais moins… lâche… profiteur… menteur… Reconcentre toi. Tu es toutes ces choses, assume.
Tu lui parles de la tâche à accomplir, du fait que beaucoup de ses gens ont du mal à trouver un travail parce que cela fait longtemps qu’ils sont restés sans. Tu parles d’une chance d’être reconnu pour avoir fait quelque chose de bien, la volonté divine, l’esprit chrétien dans tout ce qu’il a de plus pur, les travaux dans un orphelinat. Tu tires toutes les ficelles, joues sur tous les tableaux, tu vas en boire de la Tequila ce soir pour te faire passer ce gout dans ta bouche. La façon dont Dalia te regarde, tu voudrais t’arrêter que tu ne le pourrais pas, maintenant là de suite tu existes, tu es quelqu’un. Tu inspires quelqu’un, tu es vivant.
Tu continues ce qui devient de plus en plus un monologue, tu lui parles de rédemption et surtout tu lui parles d’un homme seul, d’un homme que tout le monde aime à moquer, à oublier, tu lui parles d’un homme qui a eu la force, le courage de faire ce qui devait être fait. D’un homme dont le génie lui aura permis d’aider de pauvres orphelins tout en remplissant son devoir, adulé de ceux qu’il a aidé. Tu parles d’un homme méritant, que les gens regarderont avec envie et respects, un homme bien, un homme digne… digne de… soudain tu t’arrêtes, le regard de Dalia… Tu n’as plus envie de dire quoique ce soit, tu te dégoutes. Elle était la pour ça, tu l’as utilisée, et elle le sait. Le fonctionnaire la regarde et finit le monologue par lui-même. Tu le regarde de nouveau, toi et lui vous avez fait vos choix, les tiens ne te rendent pas meilleur que lui. Tu l’utilises tout comme tu as utilisé Dalia, et ça marche… Bien sûr qu’il accepte, il veut être l’homme dont tu as parlé, tu lui as enlevé le choix. Et Dalia… elle veut tellement te croire que tu en as la nausée. Tu es passé d’excentrique à l’équivalent de prophète, tu en chialerais si cela ne ruinait tout ce que tu as accomplis.
L’électricité a été réglée aussi, une autre vieille loi dont personne n’était au courant, obligeant les sociétés gouvernementales pour les cas d’absolus nécessitées. Tout le monde se fout des orphelins, mais personne ne veut être associé au refus de les aider. De fait, les travaux de l’orphelinat ont pu commencer, la mairie a même proposée de payer les travailleurs, le maire a flairé l’affaire électorale, les orphelins ne pourront pas voter, la plupart n’auront même pas de papiers, mais la rénovation de l’orphelinat fera bien dans le CV. Les gens aiment penser qu’ils font une bonne action, surtout quand ils demandent à quelqu’un d’autre de la faire.
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