Premier cour d’informatique, les gosses se ruent comme des affamés sur les machines, il y en une pour deux, et ce n’est qu’un début. Ils crient comme des possédés, un boucan à réveiller les morts, ils ouvrent des yeux grands comme des assiettes, emplis d’émerveillement. Tu les observe et souris, excités comme des puces ils ne t’ont pas encore vue. La mère supérieure les laisse un peu, tu sens sa joie, voir ces gosses dans cet état fait vraiment plaisir, ils hurlent, chahutent et regardent les ordinateurs comme des reliques religieuses. Qu’est que c’est bon de les voir comme ça, pour toi, cela vaut tous les coups bas, les plans tordus, les agents véreux, les politicards à moralité douteuse… tout ce que tu as fait en valait la peine. Ça devrait être la seule chose qui compte, la seule priorité, la seule chose d’importance… Tu remarques Dalia dans le fond de la salle à l’opposé de toi, elle te regarde, puis souris…enfin… l’une des choses d’importance.
La mère supérieure s’éclaircit la gorge, tu imagines que c’est quelque chose qu’elle a l’habitude de faire, une sorte de rappel au calme. Hélas, le son est couvert par le vacarme ambiant, c’est la première fois que tu vois une faille dans son attitude austère…elle te regarde légèrement gênée, un faible sourire au coin des lèvres. Elle pousse un grand cri, tape des mains, il lui faut toute son autorité pour rétablir un semblant de calme. Elle a compris qu’il était inutile de leur faire de grand speech, il faudra attendre qu’ils soient habituer aux machines, elle se contente de dire qu’ils auront droit a 1 heure de cour d’informatique par jour. Un nouvel éclat de violence auditive érupte qu’elle n’arrive pas vraiment à maitriser. Tu l’observe et ton admiration pour la vieille femme augmente encore d’un niveau, elle aime vraiment tous ces gosses, tous, et ceux qui étaient là avant eux. Comment un être humain peut-il autant donner sans jamais recevoir? Tu comprends que ce qui l’a fait tenir toutes ces années c’est ce genre de moments. Les moments où ils sont malade, où ils ont besoin de quelqu’un. Tu penses vaguement à l’injustice d’un monde où ce genre de personnes passent entièrement inaperçu alors que les foules se déplacent pour des stars de pacotilles, qui chantent ou qui jouent mais surtout mentent, des gens trop soucieux de leur personnes pour s’apercevoir du pathétique de leur vie passée à se battre pour l’attention de fans aux loyautés douteuses. Des gens qui vendent leurs âmes, pour une existence fictive, par pure vanité ou besoin d’attention. La recherche d’une hypothétique existence? Ces gens ne s’appartiennent plus, et de fait n’existent plus. Ils sont des images, des mirages, perdants avant de commencer le combat, ils seront oubliés ou ringardisés plus vite qu’ils ont été connu, une pente sens cesse descendante qui ne donne que l’illusion de s’élever, une forteresse bâtie sur des sables mouvants.
La vraie vie, la signification de l’existence, la seule raison pour notre présence est là, en face de toi, sur ces visages impatients, dans ces petits corps qui se tortillent d’excitation. Un moment que tu voudrais voir se prolonger, durer toute l’éternité, tu n’as plus de doutes, plus de culpabilités, tu souris, ça en valait la peine.
C’est la première fois qu’ils voient un citoyen du G-12, tes cheveux ne sont pas noires, plutôt marrons, avec des reflets roux, assez rare ici, tes yeux, la couleur de ta peaux, tu es proche d’eux et pas du tout.
Tu penses aux tirants, dictateurs, aux puissants à tous ceux qui cherchent un pouvoir illusoire, leur propre raison pour exister et tu les plains. Le vrai pouvoir est là, dans ces mines ébahis, c’est là que tu veux être, là que ton existence a une justification… là qu’existe ta rédemption. Là que tu te sens vivant.

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