Lorsqu’il arriva à la caserne, Henri constata avec soulagement qu’il avait devancé les forces d’Albine. Il eut aussi la surprise de voir Georgine.

– Qu’est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il. Tu n’as pas un groupe à diriger ?

– J’ai délégué mon commandement à un des sous-officiers de la milice. L’assaut sur ma position était limité, je suis convaincu qu’ils arriveront à repousser l’ennemi sans moi. En revanche, je pense que tu auras besoin de mon aide ici.

– Hum, il est vrai que tu ne seras pas de trop.

Ce n’était pas le moment de jouer l’arrogant. Albine l’avait déjà battu la dernière fois. Et elle disposait maintenant de plus de soldats.

Les deux paladins entrèrent dans la caserne. Le capitaine de la garde vint à leur rencontre.

– Content de vous voir tous les deux, dit-il. Cinquante mercenaires vont bientôt nous tomber dessus c’est ça ? Heureusement que vous êtes là !

Une partie des gardes s’était positionnée sur les remparts en bois de leur caserne. Le reste se tenait en réserve dans la cour.

Ils étaient un peu mieux équipés que les miliciens, disposant d’armures de cuir clouté, d’arcs, d’épées courtes, de lances et de boucliers en bois. Mais Henri savait que les gardes étaient avant tout formés à maintenir l’ordre. Au combat, ils étaient très inférieurs à des mercenaires aguerries. Il ne restait plus qu’à espérer que l’avantage défensif fasse la différence.

– Les voilà ! cria soudainement une vigie.

Le paladin monta sur les remparts pour voir leurs futurs adversaires. Ils étaient bien une cinquantaine, menés par Albine. Avec elle, il y avait quatre autres combattants en harnois, équipés d’armes diverses. La moitié de la troupe était composée d’arbalétriers montés, similaires à ceux qu’Henri avait affronté à Maxaberre, il y a sept ans de cela. Le reste portait un équipement de lanciers montés : cottes de maille, lances, boucliers en bois et épées courtes.
Mais ce qui inquiétait le plus Henri fut de voir un cheval de bât qui portait un petit bélier en métal.

A l’approche de la caserne, les mercenaires mirent pied à terre. Quatre lanciers prirent le bélier tandis que les arbalétriers se mettaient en position de tir.

Les gardes archers se mirent aussitôt à leur envoyer des flèches, tandis qu’Henri bloquait les tirs ennemis de ses pouvoirs.

Mais pendant ce temps, le bélier avançait. Les autres mercenaires couvraient son approche de leurs boucliers. Leur formation était impeccable et les archers se révélèrent incapables de les stopper : leurs flèches ne faisaient que s’enfoncer inutilement dans le bois des boucliers. Bientôt le bélier fut en place et la porte de la caserne trembla en subissant ses coups.

Comprenant que le reste du combat se jouerait au corps à corps, Henri descendit des remparts. Les gardes lanciers avaient formé une phalange devant la porte.

Celle-ci ne tarda pas à céder. Les mercenaires en harnois jaillirent alors par l’entrée, Albine en tête.

– Brisez leur formation ! ordonna-t-elle à ses soldats.

Les gardes tentèrent de l’attaquer, mais leurs lances ne parvenaient pas à transpercer les armures des mercenaires. Quant à Henri et Georgine, ils n’avaient pas l’espace pour effectuer une des manœuvres qui aurait permis de percer ces protections.

Les mercenaires obligèrent les gardes à reculer dans la cour. Tout en se faisant, ils brisèrent la phalange de leurs adversaires, arrachant les boucliers de ces derniers et chargeant à travers leurs rangs. Les autres mercenaires profitèrent de l’ouverture ainsi créée pour entrer dans la cour et engager le combat contre les gardes.

Les formations étant rompues, l’affrontement dégénéra en une mêlée confuse où les combattant se faisaient face par petits groupes de deux ou trois. Les lanciers avaient abandonné leur arme principale, peu pratique pour ce genre d’affrontement, et saisi leurs épées courtes.

Albine s’était promptement portée face à Henri :

– Alors le comique, lui dit-elle d’une voix railleuse. Tu viens tenter ta chance une seconde fois ?

– Non. Je viens t’apprendre à marcher ! répondit-il sur le même ton.

Ce disant, il utilisa ses pouvoirs pour la faire trébucher, ce qui fit pousser un cri de surprise à Albine.

Le paladin profita de ce petit tour pour attaquer un autre mercenaire non loin. Une feinte détourna la défense de son adversaire et la pointe de l’épée s’abattit sur le bras du lancier, transperçant aisément la cotte de maille.

Des heures de combats et d’utilisation de ses pouvoirs avaient épuisé Henri. Il savait qu’il n’était pas de taille contre une Albine en pleine forme. Aussi préférait-il se concentrer sur les troupes ennemies.

La mercenaire s’était relevée et se dirigeait de nouveau vers lui.

– Tu as peur de m’affronter ?! lança-t-elle d’une voix furieuse.

Elle attaqua. Henri crut à une feinte et ne réagit pas. La fatigue lui fit comprendre son erreur une seconde trop tard. L’épée d’Albine s’abattit sur lui en un coup d’estoc au torse, qui transperça son armure.

– Tu as raison ! cria la mercenaire en le blessant.

Heureusement, le coup n’était pas très puissant et n’avait occasionné qu’une blessure légère. Mais Henri cria quand même de douleur.

Puis Albine trébucha de nouveau.

– Cela va aller, dit Georgine à son confrère, tout en imposant des mains sur sa blessure.

– Merci, répondit le paladin.

Et ils retournèrent au combat.

Mais malgré la présence des deux paladins, les gardes perdaient le combat. Un quart d’entre eux étaient déjà morts ou blessés, tandis que les arbalétriers ennemis avaient réussi à chasser les archers des remparts avant de prendre leur place. Henri et Georgine avaient beau soigner les gardes blessés, faire tomber les mercenaires les plus dangereux et se battre du mieux qu’ils pouvaient, cela ne suffisait pas. Leurs ennemis étaient tout simplement trop nombreux.

Le paladin para un coup d’épée d’Albine, avant de contre-attaquer d’un coup de pommeau sur un mercenaire non loin, faisant voler au loin son marteau de guerre. Puis une garde s’effondra devant lui, la tête transpercée par un carreau d’arbalète.

Il recula un peu pour ne pas être gêné par le corps et entraperçut Georgine en train de transpercer de son épée le torse d’un mercenaire, avant de dégager son arme d’un mouvement sec.

Il bougea sa lame pour parer un autre coup d’Albine. Mais c’était une feinte. Le pommeau de l’épée ennemi s’abattit sur son bras droit, l’engourdissant légèrement.

Puis il vit le capitaine des gardes tomber au sol, les mains collées à son ventre, d’où coulait un flot de sang.

– Bordel, maudits mercenaires…eut-il le temps de dire, avant que son visage n’entre en contact avec le sol.

Ce furent ces derniers mots.

Voyant leur chef mort, les derniers gardes rompirent les rangs ou à se rendirent.

– Nous n’allons pas y arriver Georgine ! cria le paladin à sa consœur, tout en esquivant une autre attaque d’Albine. Un de nous doit survivre pour abattre le démon qui va venir ou il pourra tuer des centaines de personnes ! Vas-y, je couvrirai ta fuite !

– J’ai promis à Marie de veiller sur toi ! répondit-elle en parant un coup d’une autre mercenaire, avant de lui transpercer le bras d’une vive contre-attaque.

N’ayant plus à affronter les gardes, leurs ennemis se rapprochaient du duo. Ce n’était qu’une question de secondes avant que les deux paladins ne soient submergés.

– Bon sang Georgine, nous savons tous les deux que tu es la plus douée pour combattre des démons ! cria Henri.

Il bougea sa lame une seconde trop tard et l’épée d’Albine lui cause une nouvelle blessure à l’épaule.

– Haaaaa ! Vas-y ! Maintenant ! réagit-il.

Il lâcha son arme, tandis que la lumière s’accumulait dans ses mains et ses bras, augmentant rapidement en intensité. Puis il tendit ses bras dans deux directions différentes et la lumière s’en élança en une vague éblouissante. Tous les mercenaires situés à proximité furent touchés et projetés au sol.

– Ton sacrifice ne sera pas oublié, dit Georgine à Henri. Puisse le Messager te guider dans ta prochaine vie, finit-elle en se mettant à courir vers la porte.

Les mercenaires qui étaient à côté d’elle, couchés sur le sol, ne purent l’empêcher d’avancer. Ceux situés plus loin n’avaient pas subi les effets des pouvoirs d’Henri. Mais ils étaient trop dispersés pour bloquer le passage de la paladine. Quelques carreaux d’arbalètes partirent dans sa direction. Mais cela ne suffit pas à stopper Georgine.

Henri réussit à rester debout assez longtemps pour voir sa consœur rallier leurs chevaux et s’enfuir avec. Puis le contre-coup de ses pouvoirs l’atteignit de plein fouet. Il avait l’impression que toute son énergie lui avait été subitement retirée, ne laissant qu’une immense fatigue à la place.

Henri tomba lourdement au sol, dans un fracas métallique. Il lui restait à peine la force de rester conscient.

Autour de lui, les mercenaires s’étaient déjà relevés.

– Allez libérer l’assistant de notre employeur, ordonna Albine à ses troupes.

Puis elle s’approcha d’Henri. D’un geste négligent, elle envoya un coup de pied dans l’épée du paladin, la faisant valser au loin.

– Se sacrifier pour sauver de futures victimes que tu ne connais même pas…dit-elle ensuite. Je ne comprendrai jamais votre mentalité.

Avec la victoire, la fureur du combat l’avait quittée et sa voix exprimait simplement une sincère incompréhension.

– Qu’attends-tu pour me tuer ? demanda faiblement le paladin.

– En vérité, tu as de la chance. J’ai été chargée de te capturer vivant. Et je suis une fille sage, ajouta-t-elle. Désarmez-le, occupez-vous de ses blessures puis ligotez-le, ordonna-t-elle ensuite à ses troupes.

Alors que sa vue s’obscurcissait, Henri sentit les mains des mercenaires qui le redressaient pour pouvoir lui retirer son armure. Puis il perdit conscience.

**
*

Tout en se soignant, Georgine chevaucha à pleine vitesse vers le groupe de miliciens le plus proche. Mais quand elle arriva à l’une des barricades, c’était le moment où la bataille contre Raimund était à son paroxysme. Elle dut ferrailler pendant une bonne heure avant que les bandits ne soient vaincus. Passé un tel délai, il était improbable qu’un retour à la caserne puisse donner quoi que ce soit. Mais, par principe, la paladine le fit tout de même, accompagnée de soixante miliciens.

Mais il était bien entendu trop tard. Albine, Amable et tous les autres prisonniers avaient disparu.

Jeanne et Myriam retrouvèrent Georgine juste après la bataille. Les deux écuyères virent que leur aînée affichait une mine triste et comprirent que quelque chose n’allait pas.

– Que s’est-il passé ? demanda Jeanne. Où est Henri ?

– Nous avons été défaits, dit Georgine. Les mercenaires nous ont submergés et ont pris la caserne. Henri s’est sacrifié pour que je puisse m’enfuir. Je n’ai pas retrouvé son corps. Mais je crains qu’il ne faille s’attendre au pire. Je suis désolée.

– Mais…mais, bégaya Myriam. Cela veut dire alors que… ?

– Que nous avons échoué, compléta Georgine. Oui, je le crains.

Jeanne regarda le sol avec rage.

– J’étais tellement excitée que la victoire ne soit pas garantie que j’en ai oublié d’envisager la défaite.

– Quand on ne connaît pas le goût de l’échec, il est facile d’oublier son éventualité, lui dit Georgine. Mais maintenant tu es plus sage. Cette bataille aura au moins permis cela.

Elles furent interrompues par l’arrivée de Roland. Le chef milicien portait une armure de cuir clouté et était armé d’une lance. Les deux étaient largement tachées de sang, de poussière, en plus de porter la marque de nombreux coup.

– On a gagné ! cria-t-il, joyeux. Ha, ha, c’était un sacré combat ! Je n’ai pas honte d’avouer que j’ai eu peur. Mais nous avons tenu bon et cela a payé !

Il se tourna vers Jeanne :

– Nous n’aurions jamais réussi à repousser ces bandits sans ton plan et tes conseils. Au nom de toute cette ville, merci infiniment. Tu nous as évité de devoir subir un nouveau pillage de ces bandits.

Puis, il remarqua la grise mine qu’arboraient les trois femmes.

– Heu…pourquoi vous faites cette tête ? demanda-t-il, soudainement hésitant et mal à l’aise.

– Henri et moi avons échoué, lui expliqua Georgine. Amable a été libéré. Je suis désolée, Roland, mais nous ne pourrons pas faire condamner Fernand.

– Mais…mais, on a gagné ! répéta-t-il. Les bandits sont en fuite… Ils ont subi quasiment trois fois plus de pertes que nous…

– C’était juste une diversion, Roland, dit Jeanne. Le vrai combat se jouait à la caserne de la garde. Et celui-là a été perdu.

– Repousser les forces de Raimund restait une tâche importante, dit Georgine. Si ces bandits n’avaient pas été vaincu, le nombre de morts aurait été bien plus important. Vous trois avez empêché cela, sauvant de nombreuses vies. Vous pouvez en être fiers.

– Je…je suppose, non, je sais que le plus important est de protéger les habitants de la ville, réagit Roland. Mais…j’aurais tellement voulu que Fernand paye pour ce qu’il nous a fait !

– Si seulement nous avions mis plus de soldats à la caserne…dit Myriam d’une petite voix.

– Alors nous aurions perdu contre Raimund, répondit Jeanne. Nous avions besoin de tout le monde pour le retenir et si ton groupe avait été moins nombreux, il n’aurait pu infliger suffisamment de dégâts pour mettre fin à l’assaut. Puis, les bandits se seraient occupés eux-mêmes de libérer Amable. Non…nous avons fait de notre mieux. Il n’y a pas d’erreur de notre part. L’ennemi était juste trop fort.

– Qu’est-ce que nous allons faire maintenant, sire ? demanda Myriam à sa mentore.

– Fernand va invoquer un démon, répondit Georgine. Cette créature échangera sa liberté contre quelques sortilèges de magie noire. Puis, elle se rendra ici, avide d’utiliser ses pouvoirs pour dominer et détruire. Mon devoir sacré est de l’éliminer au plus vite. Nous devons donc attendre sa venue, puis lui faire face.

– Est-ce que je peux aider en quoi que ce soit ? demanda le chef milicien.

– Je regrette, mais non, Roland, dit la paladine. Ni toi, ni tes miliciens n’êtes suffisamment expérimentés pour affronter un démon dans toute sa puissance. Vous vous feriez tuer pour rien. Ta ville a suffisamment souffert. Aide plutôt les tiens à se remettre de cette deuxième attaque. Ils en auront bien besoin.

– Et…pour Henri ? demanda Jeanne.

Georgine baissa la tête et versa quelques larmes :

– Cela me cause une peine infinie mais je ne peux rien faire pour lui. Vaincre le démon est un devoir plus important que de tenter de secourir un frère paladin, même si c’est un de mes amis les plus chers. J’ai prêté serment. Je dois le respecter.

– Je comprends, sire, dit l’écuyère.

Malgré tout, elle ne put se retenir de pleurer elle aussi.

Toute deux savaient qu’il y avait peu de chance qu’elles revoient un jour Henri vivant.

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