Pavel était nerveux. La situation était plus délicate qu’il n’y paraissait. Il aurait voulu pouvoir simplement débarquer chez Gary et Adelyn pour mettre les choses au clair avec l’imposteur, mais il doutait que la lutine puisse encaisser si simplement le choc. Il ignorait même si elle accepterait la vérité, et il avait donc décidé de confronter Gary de son côté, seul à seul, dans l’un des restaurants des quartiers populaires. Ce dernier était arrivé avec plusieurs longues minutes de retard, le visage aussi fermé que la dernière fois, sans doute décidé à rester muet.
— J’ai accepté de venir à votre rendez-vous, mais je ne vous dirai rien. Je ne veux pas risquer inutilement la vie d’Adelyn.
— Une raison fort noble et fort louable. Mais je doute que vos mensonges lui soient d’une grande aide.
— Je vous demande pardon ?
Pavel n’était pas subtil. Ou plutôt, il ne voulait pas l’être avec ce bonhomme là. Il préférait réserver sa patience à des personnes qui en valaient la peine. Alors que le détective prenait son temps pour répondre, la serveuse leur amena leurs plats. Pavel regarda avec appétit l’entrecôte qu’il avait commandé et il regretta à l’avance de ne sans doute pas avoir le temps de la savourer.
— Je pense que vous m’avez parfaitement compris, Gary.
Tranquillement, sans laisser paraître la façon dont il bouillonnait intérieurement, le détective commença à mastiquer lentement la feuille de salade qui accompagnait son repas. Il ne jeta qu’un rapide regard à Gary ; ce dernier l’observait les sourcils froncés. Il avait tout perdu de son air aimable et Pavel se surprit à se demander s’il avait jamais montré pareil visage à Adelyn.
— Je crois que je ne vais pas rester plus longtemps, dit-il sèchement en faisant un geste pour se lever.
— A moins que vous ne préfériez vous expliquer à vos anciens compagnons des Goules de Bulldock, je vous conseille de rester encore un peu.
Le détective ne prit pas la peine de le regarder alors qu’il attaquait son entrecôte. Gary jeta des regards furieux tout autour de lui et se rassit. Pavel sourit intérieurement. Les deux membres du gang qu’il avait rencontré avaient refusé de participer à son plan, préférant rester dans l’anonymat, mais il lui préparait une bien meilleure surprise.
— Parlons donc de vos activités de l’époque. A quel point les avez-vous développées ?
— Vous ne me croyez tout de même pas assez stupide pour vous en parler ?
— Je vous crois assez stupide pour imaginer faire appel à un détective privé pour vous fournir un alibi.
— L’agence où travaille Adelyn ne recrute que des imbéciles.
Un sourire vint jouer sur les lèvres de Pavel ; ce n’était certainement pas lui qui dirait le contraire.
— Vous n’avez aucune preuve. Vous n’êtes qu’un pauvre type sans travail, personne ne vous accordera de crédit. Maintenant, vous m’excuserez, j’ai une cargaison à récupérer.
— Poudre de fées non raffinée ? Lamelles de champignon bleu ?
— Un peu des deux.
Gary prit un ton à la fois dégagé et méprisant en se levant pour de bon cette fois-ci.
— Et Adelyn ? demanda précipitamment Pavel.
— Je vous l’ai dit. Votre agence ne recrute que des imbéciles.
Sur ces mots, il salua Pavel de façon théâtrale et se dirigea vers la sortie. L’une des personnes assises à la table voisine se leva soudainement et se mit en travers de son chemin.
— Qu’est-ce que… ?
Pavel se leva et les rejoignit. Une perruque blonde sur la tête, Adelyn faisait face à son fiancé les yeux rougis. Le détective n’entendit pas les quelques mots qu’ils échangèrent, mais la gifle qu’elle lui donna résonna dans tout le restaurant.
— Toi non plus, tu n’as rien contre moi, se contenta de dire Gary en se massant la joue.
— Elle non, mais moi, j’en ai assez entendu.
Une autre personne se leva, et Pavel s’autorisa cette fois-ci un véritable sourire. L’inspecteur Bergamote affichait cet éternel air blasé alors qu’il faisait un signe de la tête vers Gary.
— Embarquez-le moi.
Trois autres policiers se levèrent et se chargèrent de procéder à l’arrestation de Gary. Ce dernier ne put que jeter un dernier regard haineux à Pavel avant de sortir du restaurant. Le détective l’ignora et alla poser une main sur l’épaule d’Adelyn. Cette dernière était plus ravissante que jamais dans le tailleur lavande qu’elle portait sous l’imperméable qui lui servait de déguisement et il sentit le bout de ses oreilles chauffer légèrement. Elle lui jeta un regard plein de lassitude et le remercia du bout des lèvres avant de disparaître à son tour. Le lutin poussa un profond soupir et retourna s’asseoir à sa table. Il mit de côté son assiette. L’appétit l’avait quitté pour un moment. Ce fut un raclement de chaise qui le sortit de sa léthargie.
— Alors mon vieux ? On ne devrait pas célébrer une petite victoire ?
Pavel leva les yeux et sourit faiblement à Fil qui tirait d’un air pensif sur une longue pipe en bois.
— On devrait…
Sans rien dire, le korrigan fit signe à la serveuse de leur amener deux tisanes.
— Tu ne bois toujours pas d’alcool ?
— Parfois je me dis que je devrais m’y mettre.
Fil hocha lentement la tête.
— Et ensuite ? Qu’est-ce que tu comptes faire ?
— Je ne sais pas… Ouvrir mon propre cabinet ?
Fil hocha la tête d’un air approbateur et recommença à longuement tirer sur sa pipe.
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