Charles et Anis sont à genoux devant un cercueil de pierre surmonté d’une statue de leur père en habits d’apparat. Tout de noir vêtus, les deux jeunes gens prient. Cela fait maintenant trois jours qu’ils sont dans le caveau, sans manger, pour veiller au salut de l’âme de feu leur père. Au coucher du soleil, leur deuil sera terminé. Dehors, les préparatifs pour le couronnement battent leur plein. C’est alors que le jeune homme rompt le silence.
—Anis.
—Oui mon frère ?
—Je ne suis pas d’accord avec le choix de père.
—Comment ça ?
— Je pense que de par le travail que j’ai fourni pour connaître tous les secrets du règne, de la stratégie, et autres ficèles du métier de souverain, je mérite plus que toi, plus que quiconque l’accès au trône ! Surtout que tu n’as fait que te promener dans les rues, batifoler, chanter et t’amuser ! C’est injuste ! Il aurait dû me confier la régence plutôt que les armées !
Son ton monte. Calmement, Anis l’écoute avant d’intervenir.
—Charles, je te comprends. Tu as travaillé dur, c’est vrai. Mais si père a fait ce choix, c’est qu’il y a une bonne raison, tu ne crois pas ? Sinon, il n’aurait pas donné à chacun sa place actuelle.
—Peut-être. Mais je pense tout de même être meilleur souverain que toi !
—Tu en es donc convaincu ?
—Oui.
Anis réfléchit quelques instants.
—Alors voilà ce que je te propose : demandons à messire Merlin IIIème du nom de créer une distorsion temporelle. C’est un grand magicien, il n’aura pas de mal à le faire. Nous lui demanderons aussi de transformer l’un d’entre nous en une créature inexistante et de lui donner une armée. Celui qui ne sera pas transformé sera le souverain temporaire du royaume et de cette armée. Lorsque toute l’armée de créature aura été anéantie, excepté leur chef, soit l’un d’entre nous, alors le transformé redeviendra humain et les place seront échangées. Le but : régner le plus longtemps possible avant que l’autre ne prenne notre place. Nous n’avons droit qu’à un tour. A la fin du tour de chacun, le défi sera clos et celui qui aura régné le plus longtemps sera le souverain hors de la distorsion temporelle. Bien évidemment, tout ce qui sera dans cette distorsion sera imaginaire à part nous deux et l’arbitre. Je te propose de choisir l’arbitre. Il faut qu’il soit neutre. Qu’en penses-tu ?
Il réfléchit lui aussi quelques minutes.
—Cela me semble équitable. En arbitre, je propose Lord Simon. C’était un grand ami de père. Il nous aimait tout deux autant.
—Bien. Qui règne en premier ?
—Comme père t’a choisi, pourquoi pas toi ?
—Bien.
—Allons-y.
Le jeune homme se lève, suivi de sa sœur. Tout ce qui avait été dit fut accompli et le règne d’Anis commença.
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Dans une ruelle sombre, un homme vient de tuer un énième Devil, une sorte de harpie masculine. Depuis quelques temps, ces monstres attaquaient sans raison les habitants et la reine avait de plus en plus de mal à les contenir. Alors elle avait ordonné à Lord Simon de les faire tuer. Ce qu’il avait fait. Il venait de tuer l’avant dernier, il ne restait que leur chef. Il se tournait vers celui-ci. Se posant à terre, l’imposant monstre inclina la tête. Lord Simon rengaina son épée.
Rapetissant, le Devil devint un homme fort, et nu comme un vers. Sortant des vêtements de son sac, Lord Simon les lui tend avant de le conduire jusqu’à la Citadelle, siège du pouvoir.
Dans la salle du trône une jeune femme aux cheveux roux les attend. Au-dessus d’elle flottent le nombre des années de son règne : cinq-cents ans.
—Anis, dit l’ex-Devil.
—Charles.
—C’est à ton tour.
A ces mots, elle descend du trône et se place devant son frère. Un magicien à barbe longue et blanche, jusqu’alors passé inaperçu, lève les bras vers le ciel. La jeune fille se transforme en harpie et d’autres apparaissent autour d’elle. La distorsion se renouvelle alors et le règne de Charles commence.
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