La Lune, cette infatigable compagne de la terre, était habitée depuis la première moitié du 21ème siècle. Au début, ce n’était que quelques laboratoires parsemés sur sa surface. Mais aujourd’hui, plus de cent ans plus tard, c’était de véritables villes sous dômes, comme autant de bulles, qui s’illuminaient sous le clair de terre bleuté.
Tranquillité était bâtie dans la mer du même nom, un cratère résultant d’un très ancien impact de météore. C’était une des plus anciennes et une des plus grandes cités lunaires. C’était également là que la Compagnie avait décidé d’établir son siège, depuis que la Terre était devenue trop petite.
La faible gravité de la Lune autorisait des fantaisies architecturales complètement folles, et la tour de la Compagnie ressemblait à un arbre de métal, une apologie ironique de l’industrialisation à outrance.
Dans une des sections de cette tour, se trouvait la zone dédiée à la direction générale des colonies. Et au vu des éclats de voix, le directeur général n’était pas de très bonne humeur.
– Bon ! La plaisanterie à assez durée ! Nos profits sont en berne, et les actionnaires nous demandent des comptes. Je veux que dès ce soir, dès ce soir, vous m’entendez, un administrateur soit désigné pour chaque colonie ne remplissant pas ses quotas, et que chacun soit accompagné par un détachement de Marines Coloniaux. Si ces fainéants de colons pensent pouvoir se la couler douce, on va leur expliquer le contraire. La compagnie n’est pas une société à but non lucratif, que je sache ! Du profit ! Voilà ce que réclament les actionnaires, et c’est ce que nous allons leur donner. Je leur laisse un mois, pas un jour de plus, pour redresser la barre.
– Mais monsieur, le délai est un peu court pour…
– Je ne veux pas le savoir ! Demain, les administrateurs désignés doivent prendre leurs fonctions sur les colonies concernées. Point final.
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Le tunnel s’étirait et s’étirait encore, donnant l’impression qu’il n’avait pas de fin, pas de but. Un œsophage planétaire relié a aucun intestin.
– Ça fait combien de temps qu’on marche ? demanda Charron.
– Bien quatre heures. Il doit faire nuit dehors.
Les lumières continuaient à s’allumer sur leur passage, et à s’éteindre un moment après qu’ils soient passés. Les deux hommes s’étaient bien questionnés sur la source d’énergie qui alimentait l’éclairage, et surtout qui avait pu forer une telle galerie, quand et pourquoi. Mais ils n’avaient pas l’ombre d’un élément de réponse. S’ils voulaient savoir, ils devaient continuer à marcher. Mais la simple présence de ce passage avait déjà à jamais changé leurs vies, qu’ils décident ou non de révéler son existence.
Après ce qui leur sembla une éternité, ils tombèrent face à un mur. Dans l’expectative, ne pouvant concevoir que leur périple souterrain pouvait s’achevait de cette manière abrupte et ridicule, ils continuèrent à avancer. Ils allèrent atteindre le mur quand ce dernier se déroba dans la paroi, à la manière d’une porte coulissante, mais sans aucun bruit.
Seules les ténèbres les attendaient de l’autre côté, mais il semblait bien que le tunnel prenait fin. D’après les échos et leurs lampes, ils venaient de pénétrer dans un espace dégagé dont les proportions paraissaient immenses. D’un commun accord, ils décidèrent de prendre un peu de repos avant de continuer leur exploration. Ils n’avaient toujours pas d’eau, et John avait vu juste en disant que la soif serait de la partie. Ils s’assirent tous les deux contre un mur.
Arviss, le mineur, d’habitude un homme réservé, semblait devenu prolixe face à ce mystère qui s’épaississait sans cesse.
– Qu’est ce que tu crois que c’est, tout ça ?
– Aucune idée. Peut-être les vestiges d’une civilisation disparue, ou alors quelque avant poste d’une race éteinte. Ou pas. Nous devons surtout décider de ce qui est le mieux pour nous. Dire ou non à la Compagnie ce que nous avons découvert ici.
Un long silence, durant lequel les deux hommes se perdirent dans leurs pensées respectives. Un petit ricanement attisa la curiosité de Charron.
– Quoi ? Qu’est ce qui t’amuse ?
– Oh rien. Je me disais simplement qu’on trouverait peut-être ici de quoi racheter notre liberté. Ça, ça résoudrait tous nos problèmes. Nous serions en position de force pour négocier avec la Compagnie.
C’était une chose à laquelle Stix n’avait pas pensé. Et pourquoi pas ? Était-il possible que la clé de la liberté des colons de Perséphone se cache dans ces ténèbres ?
Ils ne dormirent que quelques heures, mais quand ils se réveillèrent, ils étaient étrangement de bonne humeur.
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Le réveil bipa frénétiquement pour indiquer que l’heure de se lever était venue. Lana chercha à tâtons son mari, mais fut complètement réveillée quand elle constata que ce dernier n’était pas rentré de la nuit. L’inquiétude l’assaillit aussitôt. Lui était-il arrivé quelque chose ? Non elle l’aurait su, quelqu’un l’aurait appelé. Mais elle trouvait quand même étrange qu’il ne l’ait pas prévenue. Puis les paroles de Jeanne lui revinrent en mémoire. Pas ce soir. Ce soir il ne rentrera pas.
Elle alla dans sa chambre, mais la petite dormait encore. Elle referma doucement la porte. Elle alla au salon et décrocha le téléphone. Il était encore tôt mais on ne savait jamais. Elle composa le numéro du bureau de Charron. La secrétaire répondit presque aussitôt, et cela ne fit qu’augmenter son angoisse. Le personnel ne prendrait son service que dans une heure.
– Bonjour, c’est madame Stix. Mon mari est là ?
– Il n’est pas avec vous ?
– Non, il n’est pas rentré de la nuit, je croyais qu’il était resté au bureau.
Elle ne s’en était pas aperçue, mais sa voix avait brusquement grimpé dans les aigus.
– Il est parti hier au secteur 5, et je croyais qu’il était rentré directement chez lui après. Mais il a dû passer la nuit là-bas. Il faut impérativement qu’il rentre ce matin.
– Pourquoi ? Qu’est-il arrivé ?
– Nous attendons pour ce matin une navette de la Compagnie. A son bord il y aura l’administrateur désigné, et un détachement de Marines Coloniaux.
Lana sentait les larmes qui montaient à l’assaut de ses yeux malgré elle. Elle fit de son mieux pour contenir son sanglot.
– Je vous en prie, retrouvez mon mari !
– Ne vous affolez pas madame Stix. Je suis sûre qu’il est au secteur 5 et que tout va pour le mieux. Je vous appelle dès que j’ai de ses nouvelles.
La secrétaire raccrocha. Pour qui se prenait-elle celle-là ? Pourquoi aurait-elle des nouvelles de son mari avant elle ? S’il devait appeler quelqu’un, c’était sa famille, pas son bureau. D’ailleurs pourquoi ne l’avait-il pas déjà fait ? Elle composa le numéro de son portable, mais elle tomba directement sur la messagerie. Elle raccrocha sans laisser de message. Elle sentait ses larmes qui coulaient malgré elle sur ses joues.
Mais qu’est-il arrivé à mon mari ?
Et la Compagnie qui venait de lâcher ses chiens sur Perséphone… Une tourmente venait de s’élever, et elle dépassait de loin les bourrasques de cet endroit.
– Maman ? Pourquoi tu pleures ?
Jeanne s’était réveillée, et Lana ne l’avait pas entendue venir.
– Pour rien ma chérie. Maman est fatiguée, c’est tout.
– Si c’est à cause de papa, il va bien. Toby veille sur lui. Je lui ai demandé, et il m’a dit qu’il l’aurait de toute façon.
– Merci ma chérie. C’est très gentil de sa part.
– Maman ?
– Oui mon bébé ?
– Toby voudrait qu’on le rejoigne. Maintenant !
– C’est bien, mais on ne peut pas. Et le rejoindre où d’abord ?
– Dessous. Avec papa.
– Comment tu sais qu’il est dessous ? Et dessous quoi, d’abord ?
– Dessous la terre, dans les tunnels. C’est Toby qui me l’a dit.
– Jeanne, je voudrais que tu arrêtes, maintenant. Toby n’existe pas pour de vrai.
Un petit éclat de déception passa dans les yeux de la petite fille.
– Il m’avait dit que tu ne me croirais pas. Il dit qu’il trouve ça dommage, que les grands ne croient plus en rien. Mais il dit que ça ne fait rien, il va t’appeler.
Le téléphone sonna, faisant sursauter Lana. Jeanne, quant à elle, attendait patiemment que sa mère décroche. L’origine de l’appel était inconnue, et des astérisques remplaçaient les chiffres sur le cadran. Lana vit sa main se tendre vers le combiné, comme dans un rêve, le décrocher, et le porter à son visage.
– Bonjour Lana. Je suis Toby.
La voix était masculine et profonde, mais le ton était d’une douceur infinie.
– Vous allez bientôt courir un grand danger, vous et tous les autres. Vous devez m’aider à vous sauver. J’ai besoin que Jeanne me rejoigne. Rendez-vous dans ce que vous appelez le secteur 5 et suivez les traces de votre mari. Il vous attendra au bout du tunnel.
– Mais… je… si c’est une plaisanterie elle n’est pas drôle !
– Pourquoi perdez-vous la faculté de rêver en vieillissant ? Je vous en prie, nous n’avons que très peu de temps.
C’était fini. Le mystérieux Toby avait raccroché.
– Tu me crois maintenant, maman ?
L’esprit plein de doutes et de questions, Lana s’habilla et prépara Jeanne. Elle prit tout ce qui lui passait par la tête, de l’eau, des fruits secs, des conserves, des piles, une lampe. Elle chercha sur une carte où se trouvait exactement le secteur 5, et en releva les coordonnées pour les programmer dans sa voiture.
Elle n’était vraiment pas certaine qu’elle faisait le bon choix. Mais il y avait cette voix dans sa tête. Une voix qu’elle n’avait plus entendue depuis son enfance et qui lui disait qu’elle devait écouter son cœur.
Elle décida de lui faire confiance.
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Robert somnolait adossé contre la porte qui lui interdisait de sortir de la galerie. Il était plongé dans le noir le plus total, les lumières s’étant éteintes depuis longtemps.
Il crut d’abord que c’était ses yeux qui lui jouaient un tour, quand il vit une petite flammèche virevolter à quelques mètres de lui. Il regarda avec plus d’attention. Oui, il y avait bien quelque chose. Doucement, le feu follet s’approchait de lui. Robert ne bougeait pas, fasciné par ce spectacle. Dans sa tête, résonnèrent les premières mesures de Pierre et le loup.
La flammèche finit par se retrouver à quelques centimètres de lui, et sans prévenir, se posa sur son nez. Il vit alors que ce n’était pas une flammèche, mais une petite nymphe, haute de deux centimètres. Elle avait deux paires d’ailes de papillons dans le dos, et sa peau luisait d’un éclat blanc et pur. Elle lui tapota sur la visière en lui faisant un geste d’invite pour qu’il la suive.
C’en fut trop pour Robert. Son émerveillement se transforma en terreur pure instantanément. Il se redressa contre le mur en hurlant, et il se mit à tambouriner sur la porte en vociférant : je deviens fou ! S’il vous plaît sortez-moi de là. Je vous en prie ! Mais rien ne lui répondit, même pas l’écho de ses propres cris.
La minuscule nymphe avait repris son vol, et attendait pour savoir si l’homme allait se décider à la suivre. Elle resta ainsi plusieurs minutes, mais comme Robert continuait à crier et taper contre la porte, elle repartie, déçue, vers les ténèbres du Tunnel.
Robert ne reprit son calme qu’au bout d’un long moment. Il chercha partout, mais finit par se persuader qu’il était à nouveau seul. Il s’écroula et éclata en lourds sanglots. Étrangement, il ne pleurait pas parce qu’il était terrifié, mais parce qu’il réalisait qu’il venait de laisser passer une occasion qui ne se présenterait peut-être jamais plus.
Un moment plus tard, il se releva à nouveau et cria à l’adresse du tunnel vide : Attends-moi ! J’arrive.
Les lumières se rallumèrent sur son passage.
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