Amalia.
Ça fait plus d’une minute que je dévale le tuyau sur les fesses pour atteindre le dixième sous-sol. Avec des lambeaux de tissus comme simple revêtement, on ne peut pas dire que ça fasse le plus grand bien ! Une fois arrivée à destination, je débloque la grille d’un coup de talon et descends dans un couloir d’un blanc immaculé. Nimaël fait de même en face de moi.
Nous sommes arrivés en même temps que Clyde, Nathaniel et Kat. Je m’approche d’eux et remarque que la chemise de Kat est tachée de rouge. Je retiens un cri de terreur et me précipite vers elle pendant que Clyde m’explique ce qui s’est passé.
Nimaël s’approche. Elle déchire la chemise de Kat à l’endroit où elle est blessée et sort un tissu qu’elle pose dessus. Le sang est tout de suite absorbé. Je regarde avec émerveillement ses doigts fins s’activer autour de la plaie avant de l’entourer d’un bandage semblable à ceux que je connais.
— Où as-tu trouvé tout ça ?
— Oh, tu sais, je n’ai pas fait que visiter le laboratoire… répond-elle d’un clin d’œil.
Je lui souris, amusée, et aide Nathaniel à faire avancer Kat. Je lui souffle des mots réconfortants pendant que nous cheminons dans les couloirs blancs. Au bout d’un moment, Nimaël s’arrête juste avant un tournant.
— Derrière cette porte, il y a les six gardes de la pièce principale ; trois à droite et trois à gauche. Je prends les deux premiers, Clyde les suivants et Amalia les deux derniers. Vous en serez capables ?
Clyde pince ses lèvres et je baisse la tête.
— Je n’ai pas envie d’avoir le poids d’un autre mort à porter sur mes épaules, déclare-t-il.
—Et je ne pourrai pas tuer quelqu’un, je continue.
— Vous avez bien tué des animaux, non ? proteste Nimaël.
— Ça n’a rien à voir. Les hommes ne sont…
— Ça a tout à voir. Vous voulez retrouver vos parents et sortir de cette île, oui ou non ?
Elle a presque crié. Je me raidis et interroge Clyde du regard. Il ferme les yeux en hochant la tête.
— Bien. Soyez rapides.
Nous saisissons nos armes (mon arc et Clyde un revolver), Nimaël pose un doigt sur la poignée, puis deux, et referme sa main autour en inspirant. Elle sort deux couteaux de sa ceinture et ouvre la porte. Je rentre la première en décochant une flèche sur un garde du fond. J’encoche une deuxième flèche et tire sur le second. Touchés. Mon cœur rate un battement et une décharge électrique parcourt ma colonne vertébrale Horrifiée, j’observe les deux corps qui s’écroulent comme des pantins désarticulés, leurs mains empoignant l’instrument de leur mort. Les autres sont déjà au sol ; deux morts d’un couteau dans la tête et deux d’une balle dans le ventre. Six gardes trépassés avant même d’avoir pu dégainer leurs pistolets.
J’ai tué. Moi qui vivais une vie tranquille à Paris, me voilà sur une île à chercher mes parents dans un laboratoire en assassinant tout le monde sur mon passage. Je laisse tomber mon arc qui rebondit au sol et tend mes paumes devant moi, ne croyant pas ce que je viens de faire. J’ai tué, c’est de ma faute s’ils sont morts. Je les ai tués. Je porte une main à mon front et commence à respirer de plus en plus vite et fort. Mes poumons sifflent, je sens mes jambes qui tremblent et je tombe à genoux en cachant mes yeux avec mes poings. Comment ai-je pu faire ça ? Je suis une meurtrière. Une vulgaire tueuse. Une assassine. Tuer un animal, ce n’est pas pareil, c’est uniquement pour survivre. Mais un humain… Je suis sûre qu’il y avait une autre solution. On aurait pu les contourner, on aurait pu…
Quelqu’un pose sa main sur mon épaule, me ramenant à la réalité. Je sèche mes larmes et regarde Clyde accroupit à côté de moi. Comment arrive-t-il à garder son sang-froid ? Comment fait-il pour ne pas s’effondrer en voyant les conséquences de ses actes ?
— Je les ai tués…je gémis, comme si ça ne suffisait pas que je me le répète. J…je ne suis plus moi-même.
— A mes yeux, tu es toujours la même personne.
Je renifle bruyamment et lâche un nouveau sanglot incontrôlable. J’ai envie de m’enfouir sous terre, de ne plus penser à rien et de dormir pour ne plus jamais me réveiller.
Clyde dépose un baiser sur ma tempe, prend ma main dans les siennes et souffle :
— Tu as fait ça pour tes parents, ne l’oublie pas.
Pendant notre progression, je n’ai pas eu à tuer à nouveau. Nous sommes passés devant de nombreuses portes : une salle des mélanges, une salle de voyage dans le temps, une salle d’expériences sur des animaux, une autre servant la production de produits chimiques et bien d’autres. Clyde serrait fermement ma main pour m’aider à ne pas flancher de nouveau. J’aime bien quand il me tient la main. J’ai l’impression qu’il peut me protéger de n’importe quoi et je me suis accrochée à cette idée pour ne pas m’effondrer à nouveau.
Nimaël porte Kat sur son dos et Nathaniel à l’air d’aller mieux. Mes paupières commencent à tomber quand nous arrivons devant une porte automatique. Je m’appuie contre le mur et me force à respirer lentement. J’ai le cœur au bord des lèvres. Je commence à ressentir le même malaise que lorsque j’ai tué ces deux hommes. Clyde s’approche de moi et me rattrape alors que je tombe. Il m’assoit délicatement contre le mur et appelle Nimaël. Ma vision se brouille et je distingue quelques mouvements flous. Je crois qu’elle sort un flacon. Elle me fait boire un liquide sucré et attend qu’il fasse effet. Au bout d’un moment, je me sens mieux et je n’ai plus envie de vomir, comme si cette liqueur avait nettoyé mon estomac de fond en comble. Je frotte mes yeux et me relève lentement. Clyde me pose une question muette et je hoche la tête pour lui faire comprendre que tout va bien.
— C’est derrière cette porte que tout va se jouer, annonce Nimaël. Couvrez mes arrières et je m’occupe du leader.
— Et Kat ?
— Elle va devoir rester ici, elle se ferait massacrer.
Je grimace. Ça veut dire que nous aussi, on a des chances de se faire tuer.
J’installe ma meilleure amie dans un coin juste derrière la porte et Clyde lui donne son revolver en lui expliquant comment s’en servir.
— Ne l’utilise que si tu en as besoin, je lui rappelle.
Elle acquiesce et je serre fort ses mains dans les miennes.
— Tout va bien se passer. On reviendra avec les frères de Nimaël et
on pourra s’en aller.
— Amalia… elle murmure d’une voix faible. Si tu trouves mes parents, est-ce que…
— Oui, compte sur moi.
Je reste quelques temps auprès d’elle, consciente que c’est peut-être la dernière fois que je la vois.
— Allez Amalia, on y va.
Chargée d’inquiétude, je ferme les yeux et me relève.
— On devrait essayer avec la carte, j’avance.
Nimaël la passe dans une fente, mais rien ne se passe. Elle a beau essayer dans tous les sens et à des vitesses différentes, la porte reste bien fermée.
— Ça aurait été trop beau pour être vrai, soupire Nathaniel.
Nous nous creusons les méninges pour trouver comme accéder à la salle quand Kat souffle mon nom. Je me retourne et elle me tend une épingle à cheveux. J’essaie de déverrouiller la porte, mais encore une fois, rien ne se produit. Je commence à perdre patience. Clyde tente de la forcer mais elle est bien trop résistante.
Agacé, il s’appuie à côté de la porte et une tablette camouflée sort du mur. Emerveillé, Nathaniel s’en approche et commence à taper sur un clavier interactif. Le mot de passe est craqué au bout de quelques secondes et un message de confirmation d’ouverture apparaît. Nathaniel nous interroge du regard. Nous acquiesçons et la porte s’ouvre.
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