Deux immenses rideaux rouges sont reliés devant une scène en bois par un léger cordon de cuir noir et de nombreuses chaises orangées sont alignées. Les murs, oranges eux aussi, représentent des fresques de déliés dorés et blancs. Des lustres de cristal pendent fièrement au plafond et éclairent la salle de leurs yeux luminescents. Tout ce luxe fait presque mal aux yeux.
Je suis derrière les rideaux, debout devant un piano noir. Le présentateur, de l’autre côté, annonce ma prestation avec enthousiasme.
Les grands bouts de tissus rouge sang sont tirés, je salue maladroitement le public et m’assois devant l’instrument. Mais je n’arrive pas à commencer : j’ai peur. Mes mains sont moites et mes jambes tremblent. Je m’efforce de fixer les touches du piano en ébène. Le plat du blanc, le relief du noir. Ne pas les regarder dans les yeux… Je jette un coup d’œil au public, puis retourne aussitôt à la contemplation de mon piano. Ils me dévisagent tous avec de grands yeux impatients.
Le présentateur du spectacle, qui reste à l’écart de la scène, commence à perdre patience.
— Eh bien, Amalia, de quoi avez-vous peur ? Notre piano ne mord pas, vous savez !
Des éclats de rire fusent dans la salle. Je sais bien qu’il ne mord pas ! Furieuse, je décide de lui montrer de quoi je suis capable. Mes doigts tremblotants effleurent la surface lisse du clavier puis s’enfoncent lentement. Un son long et grave s’échappe. Le début de la mélodie me rassure. La musique commence terne, clairsemée, puis devient plus riche, s’intensifie jusqu’à devenir presque incontrôlable. J’ouvre la bouche et chante au rythme de cette musique. J’ai moi-même créé cette chanson, elle raconte en quelque sorte ma vie. Celle que j’avais avant que je n’apprenne que mes parents sont en instance de divorce.
Cela me permet de me remémorer de bons moments. Je termine la chanson sur ce point, et une larme chaude roule sur ma joue. Je me lève et salue le public qui applaudit bruyamment.
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