Saan’ee
9

Lorsque que je repris connaissance, je me sentais flotter dans les airs. Jusqu’à ce que je sente des bras puissant me soutenir. J’entrouvris les yeux et aperçu le visage fermé et contracté du guerrier Keedan. Mon corps bougeait au rythme de ses pas.
– Que faite vous ?! Fit la voix de Mina quelque part non loin de moi.
– Je répare ma faute, ce n’est pas ce que tu voulais ? Grommela le guerrier.
Je me sentais faible, si faible et si fatiguée. Mes yeux se fermèrent. J’étais engourdis. Mon tourment était terminé, mais mes membres ressentait encore le venin de pouvoir de Mère Prima. Je voulais juste dormir. Je ne m’inquiétais même plus de savoir ce que le guerrier allait faire de moi.
– Où l’emmenez vous ?
– Loin de cet enfer rempli de vieilles folles, répondit dans un grognement Keedan.
Mon corps ne me répondait plus. Je le sentais épuisé. Alors je lâchais prise et me laissais de nouveau entraîner dans une douce torpeur.

Je repris conscience étendu contre une motte de foin. À quelques pas de là se trouvait le cheval de Keedan qu’il entreprenait de harnacher. Mina était assise à mon côté, silencieuse. Quand elle vit que j’étais réveillée, elle me sourit et se mit à me caresser les cheveux.
– Comment tu te sens ?
– Vaseuse, répondis-je d’une voix pâteuse.
Elle rit, attendrie. J’adorais son rire. Et sa présence. Elle avait quelque chose qui m’apaisait. Bien que je ressentais toujours un peu de rancœur à son égard, je savais qu’elle mériterait son titre de Mère, lorsque Mère Prima laisserait sa place. Mère Mina. Cela sonnait bien.
Mina jeta un coup d’œil au guerrier et chuchota :
– Il va t’emmener. Les Saintes sont encore au sous sol je crois. Il s’est passé quelque chose, quelqu’un chose de grave. Je n’ai pas tout compris, mais elles ont envoyé chercher toutes les jeunes sœurs pour leur prêter main forte. J’ai préféré rester ici…
Ah oui, le fameux démon Illios. Je me demandais si je n’avais pas tout rêvé. J’inspirai profondément. Je tentais de me redresser, mais ne réussis qu’à me tortiller misérablement. Mina dût me donner son bras pour que je puisse m’asseoir. J’avais la sensation qu’on m’avait retiré toutes mes forces.
– Ça y est, tu es réveillée, fit Keedan en s’approchant. Tu te sens capable de monter à cheval ?
Je pris le temps de réfléchir avant de secouer la tête. Je ne pensais pas mes jambes aptes à supporter mon poids.
– Très bien, alors c’est parti, fit-il en me saisissant sous les bras.
D’une traction, il me mit sur pieds et me soutint aussitôt en réalisant que je ne tenais pas debout. Ma tête me tourna, suivi d’un si gros vertige que je crus m’évanouir. Je n’avais pourtant mal nul part.
Keedan m’approcha de son cheval et me souleva sur la selle. Mina l’aida à m’installer et il monta à ma suite. Ma tête dodelinait et je n’arrivais pas à me tenir droite. Monter à cheval m’aurait été parfaitement impossible.
– Mon cheval ! S’il vous plaît, prenez mon cheval, m’écriais-je d’une voix éraillée.
Mina et Keedan échangèrent un regard. Le guerrier sembla réfléchir, puis hocha la tête. Mina couru chercher mon cheval.
– Je croyais que ce n’était pas le tien, me dit-il.
– C’est mon préféré.
– Il n’a pas de nom ?
– Si, Torto. Mais c’est celui qu’on lui a donné ici. Je ne l’aime pas. Mais je n’ai pas le droit de le renommer, sinon cela prouverait que je me suis attachée à lui et on…. je m’interrompis, le souffle coupé.
Même parler me semblait au dessus de mes forces. Mais le guerrier n’en demanda pas d’avantage. Il saisit les rennes de Royal et referma ses bras autour de moi ; mais cette fois-ci, je sentais que c’était plus pour m’empêcher de tomber que de m’échapper.
Mina revint quelques secondes plus tard avec mon destrier harnaché. Elle lui avait mit la selle à la va vite mais son filet était bien attaché. Elle l’arma au cheval de Keedan et me tendit un manteau avec une capuche.
Ce n’est qu’en me tournant vers le ciel que je réalisais qu’il pleuvait. Une pluie fine, quasiment inaudible. Keedan me dit de bien m’asseoir dans la selle et de ne pas me pencher. J’obtempérai, gênée de sentir sont torse chaud contre mon dos.
Il avait une odeur de cuir, de terre et de pins mêlée à celle du cheval.
Mina m’observait avec un regard triste. Je ne voulais pas qu’elle pleure. Je le lui dis et elle me répondit que j’allais lui manquer, mais que je ne pouvais plus rester. Elle s’excusa aussi de la part de toutes les saintes de ce qu’elles m’avaient fait, et m’assura qu’elles ne l’avaient pas voulu et qu’elles s’en voudraient.
Je pensais à Sainte Syl’via et j’eus de la peine pour elle. Mais Mina m’annonça, comme si elle avait vu l’interrogation dans mon regard, que Sainte Syl’via n’avait pas pris part à l’exorcisme. Elle ne s’y était pas opposé, mais elle avait refusé d’en faire partie. Et je sus que mon départ la rendrait malheureuse.
Au moins, j’avais la satisfaction de savoir que je manquerais à deux personnes ici. Mina m’embrassa la main et me souhaita bon courage, puis recula. Keedan était impatient de partir et il nous le faisait bien comprendre. Son étalon piétinait, tout aussi pressé de galoper que son maître.
Puis nous prîmes la route. Nous traversâmes la cour déserte.
Cependant, avant d’avoir franchis le portail, je me contorsionnais dans les bras du guerrier pour jeter un œil derrière nous.
En haut des marches, sur le pas de la Grande Porte, se tenaient deux silhouettes. La plus petite était sans aucun doute Mina. La seconde ressemblait à s’y méprendre à Syl’via. Les deux silhouettes me firent un signe de la main.
De fatigue et de tristesse de devoir les quitter, les larmes roulèrent sur mes joues, puis ne s’interrompirent plus. Je me mis à sangloter en silence alors que les réminiscences de la douloureuse torture que j’avais me revenaient en mémoire. Je n’avais jamais rien subit de pareil ici. J’avais bien été battu une ou deux fois, mais ce n’était en rien comparable.
Royal se mit au trot, et je finis par ravaler mes sanglots.

Nous parcourrions le chemin de terre à une allure régulière. Parfois la pluie s’intensifiait puis se tarissait quelques temps.
Nous restions tout deux silencieux. Lui me maintenait fermement, au cas où je ne bascule de côté, mais il ne semblait pas vouloir me retenir.
Les minutes s’écoulèrent, durant lesquelles je me sentais curieusement vaseuse et déphasée. Les sons me parvenaient étouffés. Mes sensations étaient comme engourdies ; pourtant, les couleurs et les détails de ce qui m’entouraient apparaissaient d’une précision incroyable, plus délicats, avec une finesse surprenante. Les choses avaient une résonance et j’avais le sentiment de communiquer avec chaque brin d’herbe, chacun des souffles du vent, chaque respiration animale. Un rêve m’aurait certainement donné la même impression de fausse réalité. Car c’est ce que je pensais ; rien n’aurai pu mieux expliquer comment je me sentais.
Je sentais mon destrier à l’arrière, et je savais sans le voir qu’il avait les oreilles attentives et en avant, à l’affût d’un ordre. Je dénichais l’écureuil dans l’arbre à deux pas avant qu’il ne saute de sa branche. J’entendais les huit sabots heurter le sol tendre dans une harmonie doucereuse.
Les brins d’herbes s’inclinaient à notre passages.
Les branches basses des arbres se courbaient comme pour m’inviter à m’enfoncer dans les broussailles. Tout était bruyant de vie, de murmures et de chuchotements. La nature frétillaient littéralement autour de nous. J’avais le sentiment que la forêt entière était peuplée de fées heureuse de me voir.
Et puis subitement, tout s’arrêta. Tout disparu. Le monde devint de nouveau flou, grossier, silencieux et fade. La fatigue m’envahit comme une chape de plomb et dans un dernier long soupir, je m’endormis.

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